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31/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15620

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 00 juin 2003, 15620


Tribunal administratif Numéro 15620 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2002 Audience publique extraordianaire du 13 juin 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, Esch-sur-

Alzette contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15620 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2002 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg. au nom de Monsieur …, né le â

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Tribunal administratif Numéro 15620 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2002 Audience publique extraordianaire du 13 juin 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, Esch-sur-

Alzette contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15620 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2002 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg. au nom de Monsieur …, né le … et de son épouse, Madame …, née le …, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 27 mai 2002, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision implicite de confirmation dudit ministre se dégageant de son silence observé pendant plus de trois mois par rapport au recours gracieux par eux introduit en date du 17 juillet 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 février 2002 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Olivier LANG pour le compte des époux …-… et consorts déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 mars 2003 ;

Vu la rupture du délibéré prononcée le 2 mai 2003 afin de permettre à l’Etat de verser le dossier administratif de Monsieur … … ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport complémentaire et Maître Olivier LANG en sa plaidoirie à l’audience publique du 2 juin 2003.

Le 27 août 1998, Monsieur … et son épouse Madame …, agissant en leur nom personnel, ainsi qu’en celui de leur enfant mineure …, née le …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 8 octobre 1999, les époux …-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 27 mai 2002, leur notifiée en date du 17 juin 2002, le ministre de la Justice informa les époux …-… de ce que leur demande avait été refusée au motif qu’ils n’invoqueraient aucune crainte raisonnable de persécution du fait de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social.

Par courrier de leur mandataire datant du 17 juillet 2002, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 27 mai 2002. Celui-ci n’ayant pas fait l’objet d’une décision du ministre dans les trois mois qui s’en suivirent, les époux …-… ont fait déposer, tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs, un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus du 4 mars 2002 et celle implicite confirmative se dégageant du silence observé par le ministre par rapport à leur recours gracieux, par requête datant du 18 novembre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs, appartenant à la communauté religieuse des Musulmans font valoir que leur départ aurait été motivé par l’arrestation de Monsieur … au mois d’octobre 1994 et les événements qui ont suivi cette arrestation. Ils exposent que Monsieur … aurait été membre actif du parti politique SDA depuis sa création en 1991 et que dans ce cadre il aurait participé à des actions humanitaires du « SDA MERHAMET ». Début 1994, le pouvoir serbe aurait décidé de paralyser les activités du SDA et de procéder à l’arrestation massive de certains de ses membres. Monsieur … aurait été arrêté le 6 octobre 1994 par les membres de la police militaire et civile monténégrine au petit matin pour arriver vers minuit à Dekani au Kosovo au commissariat de police où il aurait été placé dans une pièce et menotté en hauteur à un tuyau de radiateur. Ils précisent que pendant tout le trajet jusqu’au commissariat de police, Monsieur … aurait été frappé et menacé de mort. Ils relatent que Monsieur … aurait été emprisonné avec deux autres hommes dont … et … Ils relatent encore qu’à chaque relève des gardiens au cours de cette nuit, Monsieur … et Monsieur … auraient dû subir le défoulement de cinq à six policiers qui les auraient frappé avec leur matraque à chaque passage, que vers 5 ou 6 heures du matin, il aurait été détaché pour aller aux toilettes et que les policiers l’auraient frappé sur tout le trajet à tel point qu’il aurait failli perdre connaissance. Le 7 octobre 1994 vers 10 heures du matin, les policiers auraient commencé à l’interroger sur les activités du SDA, notamment sur les armes que les membres de ce parti étaient censés détenir, sur leurs préparatifs quant à une cession du Sandjak et de son rôle dans ses activités. Ils exposent que Monsieur … n’aurait répondu à aucune de leurs questions et que ce serait à ce moment là que les policiers auraient commencé à le torturer et à le frapper et même à lui donner des électrochocs à tel point qu’il aurait perdu connaissance à trois reprises. Ils continuent qu’en date du 8 octobre 1994, Monsieur … aurait été conduit dans un centre fermé à Pec. Après deux jours dans cette cellule, les policiers monténégrins l’auraient sorti et ils auraient essayé de le convaincre d’être coopératif en le forçant à signer des documents. Il aurait cependant refusé de les signer et suite à ce refus les coups auraient recommencé à tomber pendant près de deux heures après quoi il aurait été reconduit vers 23 heures dans sa cellule avec 12 autres prisonniers.

Les demandeurs relatent encore que le 11 octobre 1994 vers 21 heures, deux policiers auraient emmené Monsieur … dans une autre pièce et lui auraient présenté à nouveau les mêmes documents à signer en lui annonçant que ce serait vraiment mieux pour lui et toute sa famille qu’il coopère. Devant le nouveau refus de Monsieur …, ces deux policiers l’auraient déshabillé et l’auraient placé sous les jets d’un tuyau d’eau à très forte pression pendant près d’une heure. Par la suite, ils l’auraient ramené dans une pièce et l’auraient laissé dans la même tenue devant une fenêtre maintenue ouverte. Au bout de dix minutes, les policiers seraient revenus avec les mêmes papiers et qu’à ce moment là, Monsieur … se serait résigné à les signer, n’ayant plus eu la moindre force de résister aux actes inqualifiables auxquels les autorités de police se seraient livrés contre lui depuis son arrestation.

Le 12 octobre 1994, Monsieur … aurait été conduit par les inspecteurs monténégrins devant un juge d’instruction de Pec qui l’aurait inculpé tout en lui faisant remarquer qu’il aurait dû coopérer depuis le début. A la suite, Monsieur … n’aurait plus été maltraité, mais il serait resté enfermé à Pec jusqu’au 23 novembre 1994, date à laquelle son procès aurait commencé pour se terminer le 24 novembre 1994.

Le 24 novembre 1994, Monsieur …, ensemble avec d’autres personnes dont … … et … …, aurait été condamné à quatre années d’emprisonnement. Dès la sortie du procès, Monsieur … se serait enfuit pour rester jusqu’au 10 juin 1996 en Turquie. Sur le conseil de son avocat, il serait rentré de la Turquie le 10 juin 1996, mais il aurait été arrêté au poste de frontière.

Le 10 octobre 1997, Monsieur …, ensemble avec 15 autres inculpés, aurait été de nouveau jugé par le tribunal de Pec qui l’aurait condamné toujours sur base des aveux qu’il avait signés à une peine d’emprisonnement d’un an et huit mois. Monsieur … n’aurait pas assisté à ce second procès et c’aurait été en août 1998, au moment où il aurait reçu la décision définitive de condamnation, qu’il se serait enfuit au Grand-Duché de Luxembourg. Depuis, ses parents et son avocat auraient obtenu que la Cour suprême de Belgrade se prononce sur la légalité du jugement du 10 octobre 1997, mais la Cour suprême aurait confirmé ce jugement dans toute sa teneur.

Les demandeurs font valoir que les faits pour lesquels Monsieur … aurait été condamné ne seraient pas couverts par la loi d’amnistie, parce que les faits qui lui seraient reprochés relèveraient de l’article 33, alinéa 3 du code pénal yougoslave, article qui ne rentrerait pas dans l’énumération limitative des infractions couvertes par la loi d’amnistie. Par ailleurs, ils se réfèrent à un document émis par la commune de Bérane certifiant que la peine de prison devra effectivement être exécutée en cas de retour de Monsieur … au Monténégro.

Ils sont d’avis qu’en cas de retour dans leur pays d’origine Monsieur … serait immédiatement arrêté et devrait purger une peine d’emprisonnement dont le fondement reposerait sur des aveux qui auraient été extorqués par des actes de torture et de traitement hautement dégradant au sens de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils font valoir que la peine de prison qu’il devrait purger, ainsi que les circonstances dans lesquelles elle aurait été prononcée constitueraient indiscutablement un motif justifiant l’octroi de l’asile politique aux membres de la famille …, parce que cette condamnation serait la conséquence directe des activités politiques de Monsieur … et de l’appartenance religieuse des membres de sa famille.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs font valoir que le ministre n’aurait pas du tout pris position par rapport aux faits détaillés et précis par eux relatés et qu’il ne pourrait pas les « balayer » en prenant position par des considérations générales. A titre subsidiaire, les demandeurs demandent d’entendre à titre de témoin Monsieur … … demeurant à …, lequel bénéficierait au Luxembourg du statut de réfugié qu’il aurait obtenu pour les mêmes raisons que celles par eux développées à l’appui du présent recours.

Attendu qu'aux termes de l'article 1er, section A, 2, de la Convention de Genève, le terme « réfugié »s'applique à toute personne qui « craignant avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou des opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas la nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner ».

Il appartient au demandeur d’asile d’établir concrètement que sa situation subjective spécifique a été telle qu'elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l'évaluation de la situation personnelle du demandeur, l'examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de ses déclarations.

En premier lieu il appartient donc au tribunal d’examiner les faits lui soumis par la famille …-….

La participation de Monsieur … depuis 1991 au parti de l’action démocratique du Monténégro (SDA) résulte de sa carte de membre versée en cause (pièce 2) et d’un certificat établi par le parti le 15 décembre 1997 (pièce 3). Ce certificat relate également qu’il fut incarcéré et condamné à plusieurs années à cause de ses activités politiques au sein du parti.

Il résulte d’une décision portant la référence Kio No 14/94 du 10 octobre 1994 prise par le Tribunal de l’arrondissement de PEC que Messieurs … et … … ont été mis en examen avec 14 autres personnes soupçonnées avoir commis plusieurs infractions à l’article 33, alinéa 3 de la loi sur les armes et munitions et que les accusés ont été mis en détention provisoire (pièce 4).

Il résulte d’un jugement portant la référence K no 81/94 du « Conseil de tribunal d’arrondissement » à PEC du 24 novembre 1994 que Monsieur … a été retenu coupable en 1992 de vente et d’achat d’armes à feux et munitions illicites et condamné à une peine d’emprisonnement de 4 années, à compter de la détention provisoire purgée du 6 octobre 1994 au 24 novembre 1994. Messieurs … et … … ont été condamnés pour les mêmes délits à une peine de respectivement 4 années et 6 mois et de 6 années (pièce 5).

Il résulte encore d’un jugement portant la référence K no. 6/96 du tribunal d’arrondissement à PEC du 10 octobre 1997 que Monsieur … a été retenu coupable en 1992 de vente et d’achat d’armes à feux et munitions illicites et condamné à une peine d'emprisonnement d’une année et huit mois, Messieurs … et … … ayant été condamnés pour les mêmes délits à une peine de respectivement d’une année et 10 mois et deux années et 8 mois, inclusivement la détention provisoire purgée (pièce 6).

Il résulte d’un arrêt poratnt la référence 523/99 de la Cour de cassation de Serbie à Belgrade du 6 février 2001 que le jugement K no 6/96 rendu le 10 octobre 1997 a été confirmé (pièce 7).

Ces différents jugements non autrement contestés en cause quant à leur authenticité sont de nature à sous-tendre utilement le récit des demandeurs.

Pour le surplus Monsieur … a présenté un récit crédible et cohérent de tout ce qui lui est arrivé depuis son arrestation en 1994, soit environ trois années depuis le jour qu'il est devenu membre du parti SDA.

Eu égard à l’exceptionnelle gravité des faits relatés pour les demandeurs et trouvant leur origine dans les activités politiques de Monsieur … et face au constat que le ministre n’a pas apporté des éléments suffisant permettant de mettre sérieusement en doute le caractère véridique des déclarations des demandeurs, ceci d’autant plus que Monsieur …, lequel a été emprisoné ensemble avec Monsieur … pendant la période du 6 octobre au 23 novembre 1994 et lequel a également été condamné pour vente et achat d’armes à feux et munitions illicites par les jugements cités ci-avant, a fait l’objet au Luxembourg d’une décision d’octroi du statut de réfugié le 16 avril 1998, le tribunal vient à la conclusion que les demandeurs ont établi avec la précision requise qu'ils remplissent les conditions prévues par l'article 1er section A2 de la Convention de Genève, de sorte qu'il y a lieu de leur reconnaître le statut de réfugiés.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare justifié, par réformation de la décision ministérielle du 27 mai 2002 dit que les demandeurs remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique, renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice pour exécution, condamne l'Etat aux frais de l'instance.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 13 juin 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15620
Date de la décision : 31/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-06-00;15620 ?

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