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22/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15814

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 mai 2003, 15814


Tribunal administratif N° 15814 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 décembre 2002 Audience publique du 22 mai 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15814 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2002 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des av

ocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mitrovica (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeu...

Tribunal administratif N° 15814 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 décembre 2002 Audience publique du 22 mai 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15814 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2002 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mitrovica (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 octobre 2002, notifiée le 28 novembre 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2003 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître François MOYSE déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Frédérique NEISS, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 16 août 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut encore entendu en date du 26 septembre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 22 octobre 2002, notifiée le 28 novembre 2002, le ministre de la Justice informa Monsieur … que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous déclarez être albanais du Kosovo et avoir vécu du côté serbe à Mitrovica. Vous auriez été chassé de votre domicile pendant la guerre. Vous vous seriez alors installé chez votre sœur à Vucitern. Vous y seriez depuis deux ans. Vous auriez décidé de partir de chez elle parce qu’il n’y aurait pas eu assez de place. Vous dites être sans logement et sans argent.

Vous ne faites pas état de persécutions.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations et qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Le fait que vous auriez été chassé de votre domicile pendant la guerre et que vous n’auriez pas pu réintégrer votre maison unifamiliale située au quartier serbe de Mitrovica ne saurait suffire pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique.

Vous n’avez par ailleurs à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer du côté albanais de Mitrovica voire dans une autre partie du Kosovo pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne. Le fait qu’il n’y aurait pas assez de place chez votre sœur et que vous ne posséderiez pas d’autre logement ne constitue pas non plus un acte de persécution, car il ne rentre pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les élections municipales du 28 octobre 2000 et les élections parlementaires du 17 novembre 2001 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 27 décembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 22 octobre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

En premier lieu, Monsieur … reproche au ministre de la Justice que la décision critiquée ne remplirait pas l’exigence de motivation inscrite dans les textes légaux, à savoir l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et l’article 1er, section A, 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951.

Ledit moyen est cependant à rejeter, étant donné qu’il manque en fait. En effet, la décision du ministre de la Justice du 22 octobre 2002 est suffisamment motivée et les faits résumés dans ladite décision correspondent aux faits sousjacents de la demande d’asile du demandeur et les motifs de refus, tant en droit qu’en fait, ont été indiqués de manière détaillée et circonstanciée et ont ainsi été portés à suffisance de droit à la connaissance du demandeur.

A l’appui de sa demande d’asile, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du quartier serbe de la Ville de Mitrovica au Kosovo et de confession musulmane, qu’il aurait dû quitter son logement en raison du fait qu’il en aurait été chassé au courant de l’année 1998 par les Serbes et que depuis cette date, il n’aurait plus pu réintégrer son ancien domicile, de sorte qu’il devrait être considéré comme persécuté, même en l’absence de toute agression physique.

Le demandeur estime qu’il ne pourrait décemment retourner vivre dans son pays d’origine, qui serait toujours emprunt d’instabilité et de terreur du fait des disparités religieuses, politiques et ethniques persistantes.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.

D’après l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 26 septembre 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient encore d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par le demandeur en raison de la situation instable dans la ville de Mitrovica s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de craintes de voir commettre des actes de violence à son encontre de la part des Serbes de Mitrovica, problèmes liés surtout à la criminalité de droit commun, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, étant entendu qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent exclusivement autour de la situation de la partie nord de Mitrovica, où une majorité de Serbes est installée, et le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans la partie sud de la ville de Mitrovica, où la communauté albanaise est largement prédominante où dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale, d’autant plus que le demandeur a déclaré avoir vécu jusqu’à son départ du Kosovo chez sa sœur à Vucitern et qu’il n’a dû quitter ce logement qu’en raison du fait qu’il était devenu trop exigu.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 mai 2003 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15814
Date de la décision : 22/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-22;15814 ?

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