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22/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15760

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 mai 2003, 15760


Tribunal administratif Numéro 15760 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 décembre 2002 Audience publique du 22 mai 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15760 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2002 par Maître Fränk ROLLINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mitrovica (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégr

o), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une ...

Tribunal administratif Numéro 15760 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 décembre 2002 Audience publique du 22 mai 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15760 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2002 par Maître Fränk ROLLINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mitrovica (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 11 juillet 2002, notifiée le 7 octobre 2002, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 18 novembre 2002 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé en nom et pour compte du demandeur le 14 avril 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Fränk ROLLINGER et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 15 novembre 2001, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 12 décembre 2001, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 11 juillet 2002, notifiée le 7 octobre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que pendant la guerre du Kosovo vous et votre famille auriez été chassés de votre maison à Mitrovica pour vous réfugier à Sarajevo en Bosnie. Vous seriez retournés en juin 1999 et vos voisins albanais auraient commencé à proférer des menaces contre votre famille et spécialement contre votre père. Vous continuez qu’il y aurait eu plusieurs tentatives de kidnapper votre père parce que votre frère aurait effectué son service militaire du côté serbe et que selon vous les Albanais auraient voulu se venger de votre père.

Vous auriez alors décidé de quitter le Kosovo pour vous réfugier successivement à Spillane puis à Tutin en Serbie d’où vous seriez partis un plus tard [sic] pour venir au Luxembourg.

Vous ajoutez que vous auriez en vain tenté de trouver du travail en Serbie.

Enfin, vous exposez être membre du parti politique SDA sans faire état de quelconques problèmes à cause de cette adhésion.

Concernant la situation particulière des musulmans slaves au Kosovo, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Les autres motifs que vous invoquez, à savoir les menaces des Albanais (incendier la maison, tirs isolés) et les tentatives de kidnapping de votre père, même à les supposer établis, ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

De plus les Albanais du Kosovo ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il faut souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. A cela s’ajoute qu’à la suite des élections parlementaires du 17 novembre 2001 les minorités nationales du Kosovo, à savoir les Roms, les Bosniaques, les Turcs et autres se sont vues attribuer quelques sièges leur assurant une représentation au sein du parlement du Kosovo. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

Par ailleurs, vous n’avez à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous n’auriez pas été en mesure de vous installer en Serbie où votre famille s’était réfugiée, et ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d’asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 6 novembre 2002 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 18 novembre 2002.

Le 19 décembre 2002, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 11 juillet et 18 novembre 2002.

Avant de procéder à l’examen de la recevabilité et des mérites dudit recours, il convient en premier lieu d’examiner le moyen de recevabilité du mémoire en réplique déposé en nom et pour compte du demandeur le 14 avril 2003, soulevé d’office par le tribunal lors de l’audience à laquelle l’affaire a été plaidée, les mandataires des parties ayant été appelés à prendre position par rapport à cette question relative aux communications et dépôts des mémoires dans les délais prévus par la loi, qui touche à l’organisation juridictionnelle, étant donné que le législateur a prévu les délais émargés sous peine de forclusion, tel que cela ressort de l’article 5 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Les mandataires des parties se sont rapportés à la sagesse du tribunal quant à cette question.

L’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999 prévoit en ses paragraphes (5) et (6) que :

« (5) Le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse, la partie défenderesse et le tiers intéressé sont admis à leur tour à dupliquer dans le mois.

(6) Les délais prévus aux paragraphes 1 et 5 sont prévus à peine de forclusion. Ils ne sont pas susceptibles d’augmentation en raison de la distance. Ils sont suspendus entre le 16 juillet et le 15 septembre ».

Il convient encore de relever qu’aucune prorogation de délai n’a été demandée au président du tribunal conformément à l’article 5 paragraphe (7) ni, par la force des choses, accordée par ce dernier.

Dans la mesure où le mémoire en réponse du délégué du gouvernement a été déposé au greffe du tribunal le 7 mars 2003 et notifié par voie de greffe, de sorte qu’à défaut de contestation y relative, il est censé parvenu au mandataire du demandeur le 10 mars 2003, le 7 mars 2003 ayant été un vendredi. Il s’ensuit que le dépôt du mémoire en réplique du demandeur a dû intervenir pour le 10 avril 2003 au plus tard. Or, il convient de constater que le dépôt du mémoire en réplique n’est intervenu qu’en date du 14 avril 2003. Par conséquent, à défaut d’avoir été déposé dans le délai d’un mois légalement prévu à peine de forclusion, le tribunal est dans l’obligation d’écarter le mémoire en réplique des débats.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur expose être originaire du Kosovo et, plus particulièrement de la ville de Mitrovica, où il aurait résidé dans la partie majoritairement peuplée par des membres de la communauté albanaise et qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison de l’hostilité des Albanais à l’égard des membres de la communauté « bochniaque », à laquelle il appartiendrait, étant donné qu’on leur reprocherait notamment d’avoir collaboré avec les Serbes lors de la guerre du Kosovo. Dans ce contexte, le demandeur relève que son frère aurait effectué son service militaire au sein de l’armée fédérale yougoslave, ce que nul n’ignorerait dans sa ville d’origine, de sorte qu’il serait particulièrement exposé à des actes de persécution et risquerait de subir des représailles de la part de membres de la population albanaise de Mitrovica, ce que les autorités actuellement au pouvoir au Kosovo ne seraient pas en mesure d’éviter, étant donné qu’ils ne seraient pas en mesure d’éviter de nouveaux heurts inter-ethniques ni de garantir l’ordre et la sécurité publics.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes, ce défaut de protection devant être mis suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile.

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de subir des persécution de la part d’Albanais du Kosovo en raison de son appartenance à la minorité des « bochniaques » et du fait que son frère aurait accompli son service militaire au sein de l’armée fédérale yougoslave.

Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des « bochniaques », est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant un rapport récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, la situation de sécurité générale des « bochniaques » du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the general security situation of Kosovo Bosniaques remains stable with no incidents of serious violence »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des « bochniaques » au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

En l’espèce, le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit une crainte personnelle de persécution, voire une incapacité des autorités en place d’assurer sa protection, de sorte que le recours laisse d’être fondé sous ce rapport.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo et plus particulièrement de la ville de Mitrovica, et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, notamment au Monténégro, où il a trouvé refuge pendant plusieurs mois avant son départ de son pays d’origine et ou ses père et mère résident encore à l’heure actuelle, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, écarte le mémoire en réplique des débats, reçoit le recours en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 mai 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15760
Date de la décision : 22/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-22;15760 ?

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