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22/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15686

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 mai 2003, 15686


Tribunal administratif Numéro 15686 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 décembre 2002 Audience publique du 22 mai 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15686 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2002 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pec (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nati

onalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulat...

Tribunal administratif Numéro 15686 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 décembre 2002 Audience publique du 22 mai 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15686 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2002 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pec (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 23 octobre 2002, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 février 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé en nom et pour compte du demandeur le 14 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Stéphanie JACQUET, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 23 juillet 2002, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 8 août 2002, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 23 octobre 2002, notifiée par lettre recommandée le 4 novembre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Berane/Monténégro pour prendre place dans le camion d’un passeur, qui vous a conduit jusqu’au Luxembourg où vous êtes arrivé le 22 juillet 2002. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 23 juillet 2002.

Vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1997/1998 à Prizren. Vous auriez été appelé à la réserve le 23 mars 1999, mais vous n’y seriez pas allé et vous seriez parti pour Berane. Aucune conséquence dommageable pour vous ne s’en serait suivie.

Vous exposez que, quand vous étiez au Kosovo, en 1999, vous auriez été maltraité par des Albanais. Vous auriez été battu à plusieurs reprises, notamment en janvier et en août 1999, par des personnes portant des vêtements noirs. Vous avez ensuite quitté le Kosovo pour vivre chez un ami à Berane/Monténégro. Aujourd’hui, vous dites craindre encore les Albanais du Kosovo. Au Monténégro, vous dites n’avoir rien à craindre, mais n’y avoir ni domicile ni moyens d’existence.

Vous ajoutez que vous n’étiez membre d’aucun parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate, en ce qui concerne le Kosovo, que vos assertions traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution. Or, ce sentiment ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. De plus, les Albanais du Kosovo ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la prédite Convention.

En effet, force est de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et qu’ une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

En ce qui concerne le Monténégro, où vous avez séjourné pendant deux ans, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de vous y installer définitivement et profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er, A, 2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 3 décembre 2002, Monsieur … a introduit un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus du 23 octobre 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Quant au fond, le demandeur soulève en premier lieu un moyen d’annulation tiré de ce que la décision querellée ne serait pas suffisamment motivée en fait et en droit.

Ledit moyen d’annulation, basé sur la violation notamment de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et de l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 est cependant à écarter, étant donné que, même à admettre que le reproche formulé soit justifié, il ne s’en dégagerait pas une cause d’annulation de la décision ministérielle litigieuse, l’omission de l’obligation d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir. - Ceci étant, il convient d’ajouter qu’il se dégage du libellé ci-avant repris de la décision ministérielle litigieuse que le ministre a énoncé une motivation circonstanciée tant en droit qu’en fait.

Sur ce, le demandeur expose être originaire du Kosovo et qu’après s’être réfugié au Monténégro pendant un certain temps, il aurait quitté son pays d’origine en raison du fait que, après avoir accompli son service militaire de décembre 1997 à décembre 1998, il aurait refusé de donner suite à un appel (mars 1999) de l’armée fédérale yougoslave pour la réserve militaire. Il ajoute que son refus serait basé sur des raisons de conscience valables et qu’en raison de son insoumission et de son départ du pays, il risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire et d’être condamné à une peine de prison et qu’il risquerait en outre de subir des représailles de la part du reste de la population et que la loi d’amnistie votée en Yougoslavie ne serait pas de nature à le garantir contre un risque de condamnation. Il précise que si les autorités serbes ne seraient actuellement pas présentes au Kosovo, de sorte qu’il n’y aurait pas de risque de persécution de leur part, tel serait le cas s’il devait aller au Monténégro.

En ce qui concerne le Kosovo, il fait état d’un risque de persécution émanant de membres de la communauté albanaise qui, en raison du fait qu’il aurait normalement effectué son service militaire, auraient menacé de le tuer s’il devait revenir pour s’y réinstaller.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de relever que le demandeur est originaire de la région du Kosovo et qu’il convient d’analyser sa demande d’asile en priorité par rapport à cette région de l’Etat de Serbie et Monténégro.

Ceci étant précisé, il y a encore lieu de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Or, il suit de ce constat que, dans la région du Kosovo, le demandeur n’a pas, à l’heure actuelle, de raison de craindre une persécution de la part des autorités serbes en raison de son insoumission.

En ce qui concerne les prétendus risques émanant de membres de la population albanaise en raison du fait qu’il aurait jadis accompli son service militaire au sein de l’armée yougoslave, il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s) et qu’une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Or, en l’espèce les craintes exprimées par le demandeur en raison de la prétendue hostilité de certains Albanais à son égard et de la situation générale tendue dans sa région d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il n’a pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo et qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

A cela s’ajoute que le demandeur pourrait se réfugier au Monténégro, où il a vécu dans un premier temps, cette conclusion n’étant pas ébranlée par l’argumentation basée sur ce que l’état d’insoumission de M. … s’opposerait à une possibilité de fuite interne, étant donné que s’il est vrai qu’en se rendant dans une autre partie de la Etat de Serbie et Monténégro, notamment au Monténégro, le demandeur devrait se replacer sous l’autorité des organes serbo-monténégrien, il n’en reste pas moins que l’insoumission et la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté pour un des motifs prévus par la Convention de Genève. En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que la condamnation que M. … risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle dans l’Etat de Serbie et Monténégro et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de l’ex-République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement. - Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que la désertion constituerait un délit continu et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits qui auraient cessé avant le 7 octobre 2000, c’est-à-dire aux situations d’insoumission ou de désertion qui auraient été régularisées avant cette date par une présentation volontaire de l’intéressé devant les autorités compétentes, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm. 18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 mai 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15686
Date de la décision : 22/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-22;15686 ?

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