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22/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15660

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 mai 2003, 15660


Tribunal administratif N° 15660 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 novembre 2002 Audience publique du 22 mai 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15660 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2002 par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoca

ts à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Berane (Monténégro/Serbie et Monténegro), de nationa...

Tribunal administratif N° 15660 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 novembre 2002 Audience publique du 22 mai 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15660 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2002 par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Berane (Monténégro/Serbie et Monténegro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-

…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 14 juin 2002, lui notifiée le 23 juillet 2002, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision implicite de confirmation dudit ministre, se dégageant de son silence observé pendant plus de trois mois par rapport au recours gracieux introduit par le demandeur en date du 1er août 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 février 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Renaud Le SQUEREN, en remplacement de Maître Lex THIELEN et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 4 juin 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 13 juin 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 14 juin 2002, notifiée le 23 juin 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous exposez que vous avez fait votre service militaire de 1962 à 1964 en Serbie.

Vous n’étiez membre d’aucun parti politique.

Vous exposez que vos problèmes au Kosovo proviennent du fait que vous appartenez à la minorité bochniaque et que votre épouse est Albanaise. Vous vivriez dans une insécurité permanente et vous seriez écarté du marché du travail par les Albanais. Votre commerce aurait été attaqué à plusieurs reprises par des Albanais sans que la KFOR puisse trouver les coupables. Vous disposeriez encore d’une maison au Kosovo, mais vous seriez sans moyens d’existence.

Vous ajoutez que l’un de vos fils habiterait au Luxembourg et que vous aimeriez vivre avec lui.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne le Kosovo, force est de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’y est installée et qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

De plus, les Albanais du Kosovo ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, je prends acte que, durant le conflit du Kosovo, vous avez pu trouver refuge à Novi Pazar en Serbie chez des amis. Vous avez donc bénéficié d’une possibilité réelle de fuite interne, étant donné que vos problèmes se sont limités au Kosovo.

Je constate que vos dires reflètent un sentiment d’insécurité générale, mais qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Le recours gracieux introduit par le demandeur par courrier de son mandataire datant du 1er août 2002, n’ayant pas fait l’objet d’une décision du ministre dans les trois mois qui s’ensuivirent, Monsieur … a fait déposer un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus du 14 juin 2002 et celle implicite confirmative se dégageant du silence observé par le ministre par rapport à son recours gracieux, par requête déposée en date du 27 novembre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

Le demandeur soulève en premier lieu un moyen qualifié d’« incompétence » consistant à soutenir que la décision du 14 juin 2002 serait illégale en ce qu’« aucune base légale motive la possibilité pour une autorité administrative luxembourgeoise de déclarer une demande d’asile irrecevable, alors qu’elle préjuge au fond » et en ce que ladite décision n’aurait pas respecté la pratique administrative qui « rend la commission consultative pour les réfugiés (…) compétente, en tant qu’instance administrative d’instruction et instance politique de décision à statuer tant sur la recevabilité que sur le fond de la demande » (sic).

Indépendamment du fait qu’une simple lecture de la décision critiquée du 14 juin 2002 permet de constater que la demande en obtention du statut de réfugié de Monsieur … a été déclarée non fondée sur base de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996, précitée, il convient de rappeler que le ministre de la Justice a la faculté de consulter la commission consultative pour les étrangers en vue d’obtenir son avis sur un dossier individuel, mais que la saisine de cette commission n’est en aucun cas obligatoire. Le fait de ne pas avoir soumis le dossier du demandeur à la commission consultative ne saurait entraîner l’annulation d’une décision ministérielle prise pour juger du bien fondé d’une demande d’asile (cf. trib. adm. 25 octobre 2001, n° 12842 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 11). Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter.

Le demandeur allègue en deuxième lieu que la décision ministérielle ne reposerait pas sur une véritable motivation ni en fait, ni en droit.

Le moyen afférent est cependant à écarter, étant donné que même en admettant que le reproche soit justifié, le défaut d’indication des motifs ne constitue pas une cause d’annulation de la décision ministérielle, pareille omission d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours, ne commencent pas à courir. En effet, au vu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, la motivation expresse d’une décision administrative peut se limiter à un énoncé sommaire de son contenu et il suffit, pour qu’un acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment de la prise de décision. Pour le surplus, les motifs énoncés dans la décision initiale du 14 juin 2002 ont permis au demandeur d’assurer la défense de ses intérêts en connaissance de cause, c’est-à-dire sans qu’il ait pu se méprendre sur la portée du refus ministériel, et faute d’éléments nouveaux dans le recours gracieux, aucune motivation additionnelle de la part du ministre n’était requise.

Le demandeur soulève ensuite comme moyen d’annulation le fait que les autorités qui ont procédé à son audition n’auraient pas eu « l’autorité compétente pour ce faire » et il expose que l’origine du traducteur fourni aux fins d’interprétation l’amène à penser que ses propos auraient fait l’objet d’une interprétation défavorable.

Ce moyen manque cependant en fait en l’absence de précisions quant au manque de compétence des autorités qui ont procédé à son audition et à défaut d’indiquer lesquels de ses propos auraient été déformés, aucun élément concret n’ayant été soumis au tribunal. Partant, il convient d’écarter le moyen soulevé comme n’étant pas fondé, d’autant plus que le demandeur a signé en date du 23 juillet 2002 sans aucune réserve la réception de la décision ministérielle du 14 juin 2002 et qu’il n’a nullement exposé dans le cadre de son recours gracieux les reproches dont question ci-avant.

A l’appui de sa demande, le demandeur fait valoir qu’il serait originaire du Kosovo, de confession musulmane, qu’il ferait partie de la minorité des « bochniaques », que son épouse serait Albanaise et qu’il aurait vécu avant son départ dans une insécurité permanente. Dans ce contexte, le demandeur relève plus particulièrement que son commerce aurait été attaqué à plusieurs reprises par des Albanais sans que la KFOR ne puisse le protéger, qu’il se trouverait pour le surplus écarté du marché du travail et qu’en raison des brimades et menaces quotidiennes, il se serait résigné à quitter son pays d’origine.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9, p. 519).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, sur base des éléments du dossier et sans qu’il soit nécessaire de recourir à une nouvelle audition du demandeur – telle que sollicitée au dispositif de la requête introductive -, l’examen des déclarations faites par le demandeur dans sa requête, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment du groupe majoritaire des Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par le demandeur en raison de son appartenance à la minorité « bochniaque » et de la situation générale tendue dans sa région d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre de la part de membres de la population albanaise, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, étant entendu qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 mai 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15660
Date de la décision : 22/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-22;15660 ?

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