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22/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15659

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 mai 2003, 15659


Tribunal administratif N° 15659 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 novembre 2002 Audience publique du 22 mai 2003

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Recours formé par Madame …, épouse … contre une décision prise par le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15659 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2002 par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, épouse …, née le … à Pec (Kosovo), tendant à l’...

Tribunal administratif N° 15659 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 novembre 2002 Audience publique du 22 mai 2003

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Recours formé par Madame …, épouse … contre une décision prise par le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15659 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2002 par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, épouse …, née le … à Pec (Kosovo), tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision implicite de rejet du ministre de la Justice relativement à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour qu’elle avait introduite le 14 juin 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 février 2003 ;

Vu les pièces versées en cause ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Renaud Le SQUEREN et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 14 juin 2002, Madame … sollicita l’obtention d’une autorisation de séjour auprès du ministre de la Justice sur la base du regroupement familial.

Restant sans réponse de la part du ministre de la Justice suite à cette demande, Madame … a déposé le 27 novembre 2002 un recours contentieux tendant à l’annulation sinon à la réformation de la décision ministérielle implicite de rejet découlant du silence gardé pendant plus de trois mois suite à l’introduction de sa demande en obtention d’un permis de séjour.

Encore qu’un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision (cf. trib.

adm. 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 2 et autres références y citées).

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (cf. trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 4 et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande subsidiaire en réformation de la décision critiquée.

Le recours principal en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

La demanderesse estime en premier lieu que l’absence de décision de la part du ministre de la Justice devrait être assimilée à un refus et que cette attitude devrait être annulée, étant donné que « l’acte par lequel l’autorité compétente s’est abstenue de statuer dans un différend pour lequel il a compétence est à considérer comme un cas d’ouverture du recours en annulation du chef d’incompétence ».

A l’appui de son recours, la demanderesse soutient qu’un de ses fils, Monsieur V. … résiderait au Luxembourg avec son épouse et ses trois enfants et bénéficierait d’une autorisation de séjour et de travail. De même, son second fils résiderait depuis mai 1999 à Metz en France ce qui permettrait également des rencontres fréquentes avec ce dernier. Pour le surplus, elle-même et son époux seraient soutenus financièrement par leurs deux fils.

Partant, elle serait en droit de solliciter le regroupement familial tel que découlant de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, étant donné qu’elle souhaiterait « reconstituer son unité familiale qui préexistait avant la guerre en Yougoslavie ».

Le délégué du gouvernement soutient que la décision ministérielle implicite serait justifiée par le fait que la demanderesse n’aurait pas disposé de moyens d’existence personnels suffisants au moment de la prise de décision. Pour le surplus, le représentant étatique estime que pour qu’il y ait ingérence au sens de l’article 8, alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, il faudrait l’existence d’une vie familiale effective avant la venue au pays, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, étant donné que Monsieur V. …, fils de la demanderesse, se serait déjà installé au Luxembourg au courant de l’année 1998 et que partant la vie familiale entre Madame … et son fils n’aurait pas existé avant l’immigration de la demanderesse.

Concernant tout d’abord le motif d’annulation basé sur la fiction que l’absence de décision serait intervenue dans le chef d’une autorité incompétente, il échet de rappeler qu’une décision implicite de refus est supposée avoir été prise trois mois après l’introduction d’une demande, sauf si une décision expresse a été prise avant l’expiration de ce délai de trois mois. Un recours contentieux est valablement dirigé contre une décision implicite de refus tirée du silence de plus de trois mois de l’autorité administrative depuis l’introduction de la demande, même si entre l’écoulement du délai de trois mois et l’introduction du recours contentieux, une décision explicite est prise par l’administration (cf. trib. adm. 23 décembre 1998, n° 19386 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Actes administratifs, n° 13).

En l’espèce, il échet de constater que la demande en obtention d’une autorisation de séjour a été adressée à l’autorité administrative compétente, à savoir le ministre de la Justice et que partant une décision implicite de refus est supposée avoir été prise par ledit ministre après l’écoulement d’un délai de trois mois après l’introduction de la demande, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Il convient ensuite de préciser que le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué. L’appréciation des faits échappe au juge de la légalité, qui n’a qu’à vérifier l’exactitude matérielle des faits pris en considération par la décision (cf.

trib. adm. 27 janvier 1997, Pas. adm. 2002, V° Recours en annulation, n° 9 et autres références y citées).

En outre, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise (cf. trib. adm. 27 janvier 1997, Pas. adm. 2002, V° Recours en annulation, n° 12 et autres références y citées).

L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers, 3. l’emploi de la main d’œuvre étrangère dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 121 et autres références y citées).

En l’espèce, force est de constater que la demanderesse ne fait pas état de revenus personnels puisqu’elle déclare dans sa requête introductive avoir comme seules ressources le soutien financier de ses deux fils. Partant, la demanderesse n’a pas rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels suffisants, de sorte que le ministre de la Justice a dès lors valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée en raison de ce motif.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le moyen soulevé par la demanderesse et tiré du droit au regroupement familial tel qu’il se dégage de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En effet, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en tant que tel ne confère pas aux membres de la famille d’un étranger le droit d’être accueilli dans tout pays, ni à un étranger le droit à ne pas être expulsé d’un pays où résident les membres de sa famille.

Pour qu’il y ait ingérence au sens de l’article 8, il faut l’existence d’une vie familiale effective, résultant non seulement d’un lien de parenté, mais aussi d’un lien de fait réel et suffisamment étroit entre les différents membres de cette famille. Dans le contexte du regroupement familial, la vie familiale doit avoir existé avant l’immigration. Si l’article 8 garantit l’exercice du droit au respect d’une vie familiale existante, il ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de cette vie familiale, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux. (cf. trib. adm. 24 février 1997, n° 9500 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 136).

En l’espèce, et même en admettant qu’à l’heure actuelle la demanderesse vit ensemble avec son époux chez son fils V. et la famille de ce dernier, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement soutient que la demanderesse est venue au Luxembourg pratiquement 4 ans après la venue de son fils et que partant plus aucune vie familiale effective entre la demanderesse et son fils n’a existé avant l’immigration de la demanderesse au pays, en l’absence d’indications plus circonstanciées de la part de la demanderesse permettant d’établir l’existence de pareille vie familiale. Pour le surplus, la demanderesse n’a pas non plus prouvé une impossibilité de mener une vie familiale normale dans son pays d’origine, à défaut de plus amples renseignements à ce sujet.

Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle est légalement fondée et que la demanderesse est à débouter de son recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 mai 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15659
Date de la décision : 22/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-22;15659 ?

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