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22/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15652

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 mai 2003, 15652


Tribunal administratif Numéro 15652 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2002 Audience publique du 22 mai 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15652 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2002 par Maître Isabelle HOMO, avocat à la Cour, assistée de Maître Sandra CORTINOVIS, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avo

cats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dragas (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro...

Tribunal administratif Numéro 15652 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2002 Audience publique du 22 mai 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15652 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2002 par Maître Isabelle HOMO, avocat à la Cour, assistée de Maître Sandra CORTINOVIS, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dragas (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 1er août 2002 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par le susdit ministre le 23 octobre 2002, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 février 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Isabelle HOMO et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Le 27 novembre 2001, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 4 avril 2002, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 1er août 2002, notifiée le 6 septembre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 27 novembre 2001 que le 24 novembre 2001 vous auriez quitté votre domicile à Dragas/Kosovo pour vous rendre à Belgrade où vous auriez été attendu par un passeur. Vous auriez alors pris place à bord d’une voiture qui vous aurait emmené au Luxembourg, où vous dites être arrivé le 27 novembre 2001.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié ce même jour.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo parce que vous seriez maltraité par les Albanais en raison de votre appartenance ethnique, à savoir goranaise.

Vous dites ne pas pouvoir circuler librement et avoir peur pour votre vie. Vous ne faites pas état de persécutions personnelles.

Vous ajoutez que votre père aurait été attaqué et maltraité en 1999 par les Albanais et ceci parce qu’il serait membre du parti socialiste SPS à Dragas. Vous n’apportez pourtant pas de preuve quant à cette adhésion. Vous précisez que durant la guerre votre père aurait travaillé dans un magasin militaire appartenant à l’Etat yougoslave. On lui reprocherait maintenant d’avoir collaboré avec Milosevic.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Concernant la situation particulière des musulmans slaves au Kosovo, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er A,2 de la Convention de Genève. Ainsi, les motifs que vous invoquez ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Des groupements d’Albanais ne sauraient par ailleurs être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention.

En ce qui concerne vos déclarations vagues sur votre père, elles ne sauraient à elles seules constituer un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié. Le simple fait d’appartenir à un parti politique, même à supposer ce fait établi, alors que vous ne communiquez aucune pièce y relative, est insuffisant pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié.

Enfin, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer au Monténégro ou en Serbie pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. A cela s’ajoute qu’à la suite des élections parlementaires du 17 novembre 2001 les minorités nationales du Kosovo, à savoir les Roms, les Bosniaques, les Turcs et autres se sont vues attribuer quelques sièges leur assurant une représentation au sein du parlement du Kosovo. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

En ce qui concerne la situation plus précise des Goranais, il ressort qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait plus être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 30 septembre 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 1er août 2002.

Par décision du 23 octobre 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Le 25 novembre 2002, Monsieur … a introduit un recours en réformation sinon en annulation contre les décisions ministérielles de refus prévisées.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur soulève en premier lieu un moyen d’annulation tiré de ce que les décisions querellées ne seraient pas suffisamment motivées en fait et en droit.

Ledit moyen d’annulation, basé sur la violation notamment de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et de l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 est cependant à écarter, étant donné que, même à admettre que le reproche formulé soit justifié, il ne s’en dégagerait pas une cause d’annulation des décisions ministérielles litigieuses, l’omission de l’obligation d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir. - Ceci étant, il convient d’ajouter qu’il se dégage du libellé ci-avant repris de la décision ministérielle initiale du 1er août 2002 que le ministre a énoncé une motivation circonstanciée tant en droit qu’en fait et que, faute d’éléments nouveaux produits dans le cadre du recours gracieux, il a pu se référer dans sa décision confirmative à la décision initiale.

Sur ce, le demandeur expose qu’il serait originaire du Kosovo, qu’il appartiendrait à la minorité des « goranais » et qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison de son appartenance ethnique et parce qu’il aurait fait l’objet de persécutions en raison des convictions politiques de son père, lequel aurait été membre actif du parti SPS à Dragas. Dans ce contexte, il relève qu’il aurait subi des violences, non autrement spécifiées, et des menaces, au motif qu’on reprocherait à son père d’avoir collaboré avec les Serbes durant la guerre qui a sévi au Kosovo et que de ce fait, tous les membres de la famille auraient fait l’objet de menaces téléphoniques anonymes. Il ajoute encore que la situation générale régnant au Kosovo ne serait toujours pas stable et que les forces onusiennes serait incapables de garantir la sécurité publique et il fait état de ce qu’un membre d’une famille apparentée aurait été tué par une bombe le 6 mars 2001 Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques, elles ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes. Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par le demandeur d’asile.

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de subir des persécutions de la part d’Albanais du Kosovo en raison de son appartenance à la minorité des « goranais ». Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des « goranais », est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre de cette minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risquent de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ.

En ce qui concerne cette situation actuelle en l’espèce, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant un rapport récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, à l’exception de certaines zones de tension locales, la situation de sécurité générale des « goranais » du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse, ceci spécialement dans les alentours de la ville de provenance du demandeur (« Concerning the Goranis, with the exception of Gjilan/Gnjilane region, in particular Ferizaj/Urosevac, their security situation can likewise [par référence à la situation générale des bochniaques] be considered relatively stable particularly in the rural communities of Dragash municipality which has a high concentration of Gorani »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des « goranais » au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

En ce qui concerne les craintes basées sur la prétendue appartenance politique du père du demandeur et du meurtre d’un membre d’une famille apparentée, force est de constater que les craintes exprimées par le demandeur en raison de ces faits s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur n’a ni démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place, ni concrètement étayé qu’il risquerait réellement de subir un sort similaire à celui du membre de la famille apparentée qui aurait été la victime d’un attentat à la bombe.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 mai 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15652
Date de la décision : 22/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-22;15652 ?

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