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21/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15806

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 mai 2003, 15806


Tribunal administratif N° 15806 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 décembre 2002 Audience publique du 21 mai 2003 Recours formé par la société anonyme … S.A., …, contre le règlement grand-ducal du 1er octobre 2002 instituant une prime à l’entretien du paysage et de l’espace naturel et à l’encouragement d’une agriculture respectueuse de l’environnement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15806 du rôle et déposée au greffe du

tribunal administratif en date du 24 décembre 2002 par Maître Victor ELVINGER, avocat à la Cour,...

Tribunal administratif N° 15806 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 décembre 2002 Audience publique du 21 mai 2003 Recours formé par la société anonyme … S.A., …, contre le règlement grand-ducal du 1er octobre 2002 instituant une prime à l’entretien du paysage et de l’espace naturel et à l’encouragement d’une agriculture respectueuse de l’environnement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15806 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 décembre 2002 par Maître Victor ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme de droit belge … S.A., établie et ayant son siège social à B- …, tendant à l’annulation du règlement grand-ducal du 1er octobre 2002 instituant une prime à l’entretien du paysage et de l’espace naturel et à l’encouragement d’une agriculture respectueuse de l’environnement ;

Vu les pièces versées au dossier ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Hervé MICHEL, en remplacement de Maître Victor ELVINGER, en ses plaidoiries à l’audience publique du 5 mai 2003.

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Considérant que par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 décembre 2002, la société anonyme de droit belge … S.A., ci-après désignée par « la société », a introduit un recours en annulation sur base de l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif contre le règlement grand-ducal du 1er octobre 2002 instituant une prime à l’entretien du paysage et de l’espace naturel et à l’encouragement d’une agriculture respectueuse de l’environnement.

Considérant qu’encore qu’aucun mémoire n’ait été déposé pour compte de l’Etat, le tribunal est néanmoins amené à statuer à l’égard de toutes les parties suivant un jugement ayant les effets d’une décision contradictoire conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Considérant qu’avant de procéder à l’examen de la recevabilité et du bien-fondé du recours, le tribunal est amené à examiner en premier lieu la question de sa compétence pour connaître de l’acte déféré ; Considérant que d’après l’article 7 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 précitée, le tribunal administratif est actuellement appelé à statuer « sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent » ;

Considérant que le critère de distinction regroupant les actes administratifs à caractère réglementaire est à rechercher au-delà de leur seule nature réglementaire – ces actes formant un sous-ensemble des normes réglementaires – et s’opère à la fois par rapport à la nature administrative de l’acte déféré et par rapport à l’existence d’un effet direct susceptible d’affecter les intérêts privés d’une ou de plusieurs personnes, sans nécessiter pour autant la prise d’un acte administratif individuel d’exécution, abstraction faite à ce stade de la question de l’intérêt à agir spécifique de la personne qui agit devant le tribunal, lequel ne s’apprécie qu’au niveau de la recevabilité du recours par elle introduit ;

Que la compétence du tribunal est ainsi vérifiée si l’acte administratif à caractère réglementaire déféré a un effet direct sur les intérêts privés, ne fût-ce que d’une personne, dont il affecte immédiatement la situation, sans nécessiter pour autant la prise d’un acte individuel d’exécution et sans que la personne ainsi affectée par l’acte déféré ne soit nécessairement demanderesse dans l’instance portée devant le tribunal et dirigée contre ledit acte sur base de l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 précitée (cf. trib. adm. 19 juin 2000, Barthelemy, n° 10009 du rôle, confirmé par Cour adm. 21 décembre 2000, n° 12162C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Actes réglementaires, n° 3, et autres décisions y citées, p.

31) ;

Considérant que dans la mesure où le règlement grand-ducal déféré énonce au titre des conditions générales pour bénéficier d’une prime à l’entretien du paysage et de l’espace naturel et à l’encouragement d’une agriculture respectueuse de l’environnement, toute une série d’interdictions et de conditions directement applicables aux personnes qui entendent bénéficier de cette prime, et auxquelles ces personnes ne peuvent se soustraire sous peine d’enfreindre la loi, ledit règlement grand-ducal constitue un acte administratif à caractère réglementaire de nature à produire un effet direct sur les intérêts privés des bénéficiaires de la prime mise en place sans nécessiter pour autant la prise d’une décision administrative individuelle d’exécution ;

Qu’il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours sous examen ;

Considérant qu’au titre de l’intérêt à agir, la société renvoie à ses explications fournies dans le cadre du recours par elle dirigé à l’époque contre le règlement grand-ducal du 9 novembre 2001 ayant eu le même objet que celui actuellement déféré, tout en affirmant que cet intérêt serait d’autant plus accentué actuellement en raison de l’article 8 du règlement grand-ducal du 1er octobre 2002 déféré prévoyant qu’à partir de l’année 2003/2004 elle ne pourra plus écouler des boues chaulées et compostées auprès d’exploitants agricoles qui auront choisi de bénéficier d’une prime annuelle conformément aux dispositions y contenues ;

Considérant qu’il convient de relever liminairement que sur le recours introduit à la requête de la société demanderesse le 22 février 2002 sous le numéro 14598 du rôle, le règlement grand-ducal du 9 novembre 2001 instituant une prime à l’entretien du paysage et de l’espace naturel et à l’encouragement d’une agriculture respectueuse de l’environnement avait encouru l’annulation en ce que le recours a l’urgence devant justifier la non-saisine du Conseil d’Etat sur base des dispositions de l’article 2 (1) de la loi du 12 juillet 1996 portant réforme du Conseil d’Etat, ne fut pas légalement justifié ;

Considérant qu’il appert que le règlement grand-ducal actuellement déféré ayant le même contenu que celui du 9 novembre 2001 précité, a été pris sur l’avis du Conseil d’Etat du 24 septembre 2002, versé au dossier ;

Considérant qu’en l’absence de contestation y relative, toute choses étant restée égales par ailleurs à défaut de précisions contraires fournies au dossier, la société demanderesse justifie d’un intérêt à agir suffisant au regard de l’impact financier par elle mis en exergue, actuellement prédéterminé, concernant la perte commerciale appelée à découler dans son chef de l’application du règlement grand-ducal déféré au regard plus précisément des limitations et interdictions d’épandage de boues d’épuration y prévues dans le chef des exploitants agricoles ayant choisi de bénéficier d’une prime annuelle conformément aux dispositions du règlement grand-ducal attaqué, lesquels ont jusque lors figuré parmi ses clients ;

Considérant que le recours est recevable pour avoir été introduit pour le surplus suivant les formes et délai prévus par la loi ;

Considérant qu’au fond, la société demanderesse conclut à l’annulation du règlement grand-ducal déféré pour violation de la loi, « à savoir :

- du cinquième programme d’action adopté par la Communauté en matière d’environnement et la Stratégie communautaire, ainsi que l’article 3.1. de la directive du Conseil du 15.7.1975 (75/442/CEE) relative aux déchets, telle que modifiée par la Directive 91/156/CEE établissant un ordre de priorité en matière de gestion de déchets ;

- de la directive n° 86/278 CEE du 12.6.1986 « relative à la protection de l’environnement et notamment des sols, lors de l’utilisation des boues d’épuration en agriculture » ;

- de la résolution du Conseil du 24.2.1997 sur une stratégie communautaire pour la gestion des déchets (97/C76/01) ;

- du règlement CE n° 1257/1999 du Conseil du 17.5.1999 concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) et modifiant et abrogeant certains règlements » ;

Considérant que la société demanderesse fait valoir à titre préliminaire qu’étant pris en exécution du règlement CE n° 1257/99 précité, le règlement grand-ducal déféré serait appelé à observer les lignes directrices y tracées, notamment aux articles 22 et 37, en ce qu’il doit contribuer à la réalisation des objectifs communautaires en matière d’agriculture et d’environnement et être cohérent avec les autres politiques communautaires et plus particulièrement avec les mesures prises en vertu de celles-ci ;

Que suivant la société demanderesse les mesures prises à travers le règlement grand-

ducal déféré équivaudraient à l’élimination de déchets et seraient dès lors contraires au cinquième programme d’action adopté par la Communauté en matière d’environnement et à la Stratégie communautaire établissant un ordre de priorité en matière de gestion de déchets, repris par la directive 75/442/CEE relative aux déchets, en ce qu’avant toute élimination de déchets, il conviendrait de donner la faveur aux mesures de prévention et de valorisation de ceux-ci ;

Que ce serait en droit fil de cette hiérarchie qu’aurait été conçue la directive n° 86/278 CEE du 12 juin 1986 précitée réglementant l’utilisation de boues d’épuration en agriculture non pas dans un sens prohibitif, mais dans une vision d’utilisation correcte ;

Que cette vision résulterait encore du règlement grand-ducal modifié du 14 avril 1990 relatif aux boues d’épuration venu transposer la directive 86/278/CEE précitée ;

Que la société demanderesse de mettre encore en exergue la résolution du Conseil du 24 février 1997 sur une stratégie communautaire pour la gestion des déchets (97/C76/01) prise plus particulièrement en son point 21 insistant sur la nécessité d’encourager la valorisation des déchets en vue de réduire la quantité de déchets à éliminer et d’économiser les ressources naturelles, notamment grâce à la réutilisation, au recyclage, au compostage et à la valorisation énergétique des déchets ;

Que la société demanderesse de conclure qu’en violant les directives 75/442/CEE, 86/278/CEE, 91/156/CEE et la résolution du Conseil du 24 février 1997 précitées à travers l’interdiction d’épandage des boues d’épuration prévue, sinon l’incitation à la limitation de celui-ci, le règlement grand-ducal du 1er octobre 2002 déféré n’irait pas dans le sens d’une contribution à la réalisation des objectifs communautaires en matière d’agriculture et d’environnement telle que prévue par l’article 22 du règlement CE n° 1257/1999, se plaçant de la sorte de manière incohérente par rapport aux objectifs et exigences fixés à son article 37 et violant ainsi un des textes qui le fonde ;

Considérant que le recours exercé contre un acte administratif à caractère réglementaire soumet au juge administratif le seul contrôle des aspects de légalité tirés de l’incompétence, de la violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés ou encore de l’excès ou du détournement de pouvoir, à l’exclusion des considérations de l’opportunité de la mesure réglementaire prise par les autorités politiques compétentes ;

Considérant que s’il est vrai que dans le cadre d’un recours en annulation d’une norme réglementaire, le juge a le droit et le devoir de vérifier l’existence matérielle des faits gisant à la base de la mesure contestée, ce contrôle ne saurait cependant s’étendre à des questions de pure opportunité politique de la mesure (cf. Cour adm. 12 décembre 1998, n° 10452C du rôle, Lamesch et Cie, Pas. adm. 2002, V° Actes réglementaires, n° 12, p. 34 et autres décisions y citées) ;

Considérant que les boues d’épuration constituent un sédiment résiduel résultant du traitement des eaux usées dans les stations d’épuration ;

Considérant que si la présence de matières organiques et d’éléments fertilisants dans les boues d’épuration incite à leur utilisation en agriculture, il convient néanmoins de tenir compte parallèlement du fait qu’un traitement insuffisant ou inapproprié des eaux usées rend possible la présence d’agents chimiques ou microbiologiques dans les boues résiduelles ;

Considérant que le règlement grand-ducal déféré s’inscrit dans les prévisions des articles 22 à 24 du règlement CE n° 1257/1999 précité, figurant à son chapitre VI intitulé « Agro-environnement » et soumettant les aides y prévues à l’application de méthodes de production agricole conçues pour protéger l’environnement et préserver l’espace naturel (agro-environnement), afin de contribuer à la réalisation des objectifs communautaires en matière d’agriculture et d’environnement ;

Considérant que si la directive n° 86/278 du 12 juin 1986 mise en exergue par la demanderesse et prise sur la base juridique environnementale de l’époque, à savoir les articles 100 et 235 du Traité de Rome, vise, d’une part, à favoriser l’utilisation des boues d’épuration en agriculture et, d’autre part, à éviter toute contamination des sols par des éléments nocifs, l’expérience a montré que ce texte s’est heurté à de sérieuses difficultés d’application ayant impliqué que la commission a à d’itératives reprises proposé sa révision sur la base des dispositions spécifiquement environnementales du traité (cf. Claude Blumann, Politique agricole commune, droit communautaire agricole et agro-alimentaire, Litec 1996, n° 739, p.

404) ;

Considérant que les différentes crises successives dans le domaine agro-alimentaire ont été en plus de nature à déplacer sur le plan politique les accents dans les domaines agricole, alimentaire et environnemental pour privilégier la sécurité alimentaire, la protection de l’environnement et la préservation de l’espace naturel, tout en tendant à écarter tous éléments susceptibles d’y être contraires ;

Considérant que par définition les boues d’épuration fertilisantes, d’un côté, sont susceptibles de contribuer à la contamination des sols par des éléments résiduels le cas échéant nocifs de l’autre, encore qu’à travers son article 12, la directive n° 86/278 précitée ait, déjà à son époque, permis aux Etats membres, si les conditions l’exigent, d’adopter des mesures plus sévères que celles par elles en principe retenues ;

Considérant que si le tribunal est amené à contrôler et à approuver, dans le cadre du recours en annulation déféré, le fait pour le règlement grand-ducal déféré d’adopter en application de la réglementation communautaire, et plus particulièrement du règlement CE 1257/1999 à sa base, l’accent plus particulièrement mis sur la protection de l’environnement et la préservation de l’espace naturel à travers les méthodes de production agricoles conçues en ce sens, la mise en place du contenu de ces méthodes de production et notamment la réglementation de l’épandage de boues d’épuration à travers les mesures d’aides prévues est appelée à tenir compte d’impondérables, sinon d’inconnues faisant appel à des exigences de précaution et de prévention, relevant par essence d’un choix politique ;

Considérant que le contrôle de l’option prise pour les mesures d’aides prévues à travers le règlement grand-ducal déféré amènerait le tribunal à apprécier la validité d’un choix politique et s’analyserait dès lors en un contrôle d’opportunité, lequel se situe en dehors du cadre légal des attributions du tribunal administratif en matière d’actes administratifs à caractère réglementaire, de sorte que le moyen articulé par la demanderesse à la base de son recours tendant en somme à établir la non-contribution du règlement grand-ducal déféré à la réalisation des objectifs communautaires en matière d’agriculture et d’environnement, et sa non-cohérence avec les autres politiques communautaires et plus particulièrement avec les mesures prises en vertu de celles-ci ne saurait être accueilli par la juridiction saisie ;

Que force est dès lors au tribunal de déclarer le recours, tel que formulé, non fondé ;

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours recevable ;

au fond le dit non justifié ;

partant en déboute ;

condamne la partie demanderesse aux frais ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 mai 2003 ;

M. Delaporte, premier vice-président, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef, Schmit Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15806
Date de la décision : 21/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-21;15806 ?

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