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21/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15775

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 mai 2003, 15775


Tribunal administratif Numéro 15775 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2002 Audience publique du 21 mai 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2002 par Maître Gülcan DOYDUK, avocat à la Cour, assistée de Maître David YURTMAN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité turque, demeurant a

ctuellement à L- …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5...

Tribunal administratif Numéro 15775 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2002 Audience publique du 21 mai 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2002 par Maître Gülcan DOYDUK, avocat à la Cour, assistée de Maître David YURTMAN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité turque, demeurant actuellement à L- …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 septembre 2002 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et de celle confirmative, intervenue sur recours gracieux, du 20 novembre 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAZADEH, en remplacement de Maître Gülcan DOYDUK et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mai 2003.

Le 10 avril 2002, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 15 mai 2002, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

1Par décision du 5 septembre 2002, notifiée le 3 octobre 2002, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande a été refusée comme non fondée au motif qu’il n'invoquerait aucune crainte raisonnable de persécution du fait de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social.

Le 31 octobre 2002, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

Par décision du 20 novembre 2002, notifiée par courrier recommandé envoyé le 21 novembre 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision du 5 septembre 2002.

Le 20 décembre 2002, Monsieur … a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation contre la décision ministérielle du 5 septembre 2002 et celle confirmative du 20 novembre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, Monsieur … fait valoir qu’il est issu d’une famille kurde laquelle serait très active dans la lutte pour la reconnaissance et le respect des droits du peuple kurde en Turquie et que son père y aurait perdu sa vie en succombant aux blessures conséquentes à des actes de tortures lors d’un emprisonnement suite à une arrestation policière. Il ajoute que certains membres de sa famille seraient toujours emprisonnés en raison de leurs opinions politiques. Il expose qu’en Turquie tout kurde qui s’affirmerait comme tel serait sévèrement sanctionné par la police, voire par l’armée et que les membres de la famille d’un activiste kurde pourrait s’attendre à la même sanction, ce qui serait d’ailleurs le cas pour Monsieur … lui-même. En deuxième lieu Monsieur … invoque qu’il aurait fuit son pays parce qu’il aurait refusé d’effectuer son service militaire alors qu’il aurait été appelé à trois reprises à l’armée. Il expose que l’histoire de sa famille ferait de lui une nouvelle victime de la discrimination du peuple kurde parce que beaucoup de jeunes appelés d’origine kurde y décéderaient par accident ou s’y suicideraient. En ce qui concerne la situation générale à l’est de la Turquie, il expose que les kurdes n’y seraient autorisés à parler leur langue que depuis quelques années.

La discrimination à leur égard serait particulièrement prononcée alors que le peuple kurde constituerait la minorité la plus importante en Turquie et qu’elle aurait réussi au mieux à se préserver de l’assimilation forcée par les pouvoirs publics turques depuis l’avènement de la république. D’ailleurs les dernières modifications constitutionnelles comme l’abolition de la peine de mort ne constitueraient qu’en fait que des preuves de bonne volonté à présenter à l’Union européenne lors du dernier sommet de Copenhague , tout comme les autres grandes réformes effectuées. Il conclut qu’il apparaîtrait totalement inconcevable qu’il retournerait à l’heure actuelle dans son pays d’origine.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social 2ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition du 15 mai 2002, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la situation du demandeur en tant que membre de la minorité kurde de la Turquie, il échet de relever que s’il est vrai que la situation générale des membres de cette minorité est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population turque, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les craintes de persécutions invoquées par le demandeur, basées sur son appartenance à la minorité kurde, sont vagues et non autrement circonstanciées, de sorte qu’elles sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités qui sont au pouvoir en Turquie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant à leurs habitants ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des Kurdes.

Concernant le motif invoqué de l’insoumission de la part de Monsieur …, il convient de rappeler que celle-ci n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Il convient par ailleurs de relever qu’il n’établi pas à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef d’une éventuelle insoumission, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Turquie.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la 3reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur au frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 21 mai 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15775
Date de la décision : 21/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-21;15775 ?

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