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21/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15481

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 mai 2003, 15481


Numéro 15481 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2002 Audience publique du 21 mai 2003 Recours formé par Messieurs …et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15481 du rôle, déposée le 24 octobre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Louis UNSEN, avocat à la Cour, inscrit a

u tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le …, et de son frè...

Numéro 15481 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2002 Audience publique du 21 mai 2003 Recours formé par Messieurs …et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15481 du rôle, déposée le 24 octobre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Louis UNSEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le …, et de son frère, Monsieur …, né le …, tous les deux de nationalité russe, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 26 juin 2002 portant rejet de leurs demandes en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondées;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2003;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Louis UNSEN et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 février 2003.

Vu le courrier du ministère de la Justice portant communication de la renonciation du 15 avril 2003 de Monsieur … à sa demande d’asile;

Vu le courrier de Maître Jean-Louis UNSEN du 22 avril 2003 portant prise de position quant aux incidences de la renonciation de Monsieur ….

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Le 18 décembre 2000, Monsieur … et Monsieur …, préqualifiés, désignées ci-après par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en dates des 21 juin et 10 juillet 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile. Les auditions de Monsieur … eurent lieu les 16 et 27 août et 5 septembre 2001.

Le ministre de la Justice informa les consorts … par décision du 26 juin 2002, notifiée en date du 2 août 2002, de ce que leur demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’ils n'allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécutions en raison de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans leur chef.

Le recours gracieux formé par les consorts … à travers un courrier de leur mandataire du 28 août 2002 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 25 septembre 2002, ils ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle initiale de rejet du 26 juin 2002 par requête déposée en date du 24 octobre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le délégué du Gouvernement a soumis au tribunal la copie d’un acte de renonciation à sa demande d’asile signé par Monsieur … en date du 15 avril 2003. Le mandataire des demandeurs a pris position par courrier du 22 avril 2003 en admettant que la demande de Monsieur … serait dès lors devenue sans objet, mais que le tribunal resterait saisi du recours formé par Monsieur ….

Il convient en premier lieu de rappeler que la recevabilité d’un recours contentieux s’apprécie au moment de l’introduction de la requête introductive d’instance, en l’espèce en date du 24 octobre 2002, date à laquelle l’acte de renonciation ci-avant visé n’était pas encore intervenu, de sorte que la recevabilité du recours ne s’en trouve pas affectée.

Il n’en reste pas moins qu’il se dégage des pièces susvisées qu’en date du 15 avril 2003, Monsieur … a renoncé à sa demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Or, par l’effet de cette renonciation expresse à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ce dernier a implicitement mais nécessairement également renoncé à l’action judiciaire sous examen, laquelle tendait à se voir reconnaître, par voie de réformation, ledit statut, de sorte que le recours est devenu sans objet dans son chef.

Monsieur …, d’origine juive, reproche au ministre de ne pas avoir apprécié à sa juste valeur sa situation spécifique et il expose qu’il serait originaire de la région de Pskov où lui-

même et son frère …auraient été employés aux chemins de fer Oktisbrskaia en qualité d’accompagnateurs du train Pskov-Moscou. Il fait valoir qu’après avoir constaté que leur père aurait été assassiné en raison de son origine juive, ils auraient commencé à se sentir en danger alors que Pskov serait une région connue pour ses actions violentes antisémites et que cette crainte se serait concrétisée pour la première fois le 22 juin 2000 lorsque lui-même aurait été victime d’une agression de la part d’un groupe d’individus portant les brassards du mouvement extrémiste nationaliste RNE qui l’auraient injurié, roué de coups et blessé par arme blanche. Il ajoute qu’en novembre 2000, lui-même et son frère auraient été victimes d’une autre agression à la gare de Pskov, perpétrée à nouveau par des membres du RNE, laquelle aurait entraîné leur hospitalisation. Il relate qu’en date du 11 décembre 2000 dans la soirée des membres du RNE se seraient présenté à la porte de leur appartement pour les menacer à nouveau et pour incendier leur appartement. Le demandeur précise que la plainte déposée, suite à l’agression de novembre 2000, aurait été classée sans suites et que la plainte faite par sa mère après l’incendie de l’appartement n’aurait pas encore connu de suites, résultat qui serait peu étonnant dans la mesure où la presse relaterait que des partisans d’idées ultra-nationalistes occuperaient de hauts postes politiques et toléreraient, voire encourageraient des actions violentes du RNE. Le demandeur souligne encore qu’il serait hâtif de prétendre que les documents par lui soumis constitueraient des faux établis pour corroborer son récit, étant donné que les membres du RNE sembleraient utiliser toujours le même modus operandi à l’encontre de leurs victimes, entraînant que la ressemblance du récit d’un grand nombre de ressortissants russes d’origine juive ne pourrait être une cause de suspicion.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, v° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, telles que celles-ci ont été relatées dans les différents comptes-rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est au tribunal de constater que le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre de la part des membres d’un groupement antisémite ou de sympathisants dudit groupe.

Or, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. En effet, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). En outre, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

En l’espèce, il ressort des pièces versées en cause que le demandeur et son frère ont déposé le 1er décembre 2000 auprès de la milice de la ville de Pskov une plainte relative à leur agression survenue le 10 novembre 2000, que cette plainte a fait l’objet d’une vérification et qu’une décision de non-lieu a été prise sur base de l’article 5 § 2 du Code de procédure pénale de la Fédération de Russie « car les faits à l’origine desquels se trouvent des personnes inconnues ne constituent pas l’infraction prévue par l’article 112 du Code pénal de la Fédération de Russie (dommages moyennement graves à la santé, avec préméditation) ». Les considérations à la base de cette motivation ne sont pas de nature à indiquer un refus de poursuites contre les auteurs de l’agression incriminée par la plainte des frères … pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève, mais relèvent plutôt du domaine de la preuve des infractions alléguées. En outre, il ressort des pièces versées en cause qu’une enquête pénale a été ouverte suite à l’incendie dans l’appartement des frères … et il ne ressort d’aucun élément en cause que cette enquête n’ait pas connu de suites. Il s’ensuit que les éléments soumis par le demandeur sont insuffisants pour établir concrètement que les autorités russes tolèrent, voire encouragent systématiquement des agressions notamment à l’encontre des personnes d’origine juive ou qu’elles ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Russie, notamment de ceux appartenant à la communauté juive.

Les assertions d’ordre général et non autrement étayées du demandeur quant au fait que certains éléments du pouvoir politique toléreraient, voire encourageraient des actions violentes du RNE ne sont pas de nature à énerver ce constat.

Pour le surplus, c’est à juste titre que le ministre a relevé dans sa décision critiquée du 26 juin 2002 que les risques allégués par le demandeur se limitent à la région de Pskov et qu’il reste en défaut d’établir concrètement, au-delà de ses déclarations non autrement concrétisées lors de ses auditions, qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Russie, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib.

adm. 10 janvier 2001, n° 12240, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, n° 40 et autres références y citées).

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 mai 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15481
Date de la décision : 21/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-21;15481 ?

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