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15/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15744

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 mai 2003, 15744


Tribunal administratif N° 15744 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 décembre 2002 Audience publique du 15 mai 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15744 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2002 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale HANSEN, avocat

, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Istok...

Tribunal administratif N° 15744 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 décembre 2002 Audience publique du 15 mai 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15744 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2002 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale HANSEN, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Istok (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice prise en date du 14 juin 2002, notifiée le 23 juillet 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 février 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle du 14 juin 2002 ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en ses plaidoiries.

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En date du 16 novembre 2001, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 3 mai 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par lettre du 14 juin 2002, notifiée le 23 juillet 2002, que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 16 novembre 2001 que vous auriez quitté votre domicile 6 jours avant. Vous auriez pris place à bord d’un véhicule de marque Golf qui vous aurait emmené au Luxembourg où vous dites être arrivé le 16 novembre 2001. Vous ne pouvez pas donner de précisions concernant le trajet effectué et les pays traversés.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 16 novembre 2001.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez reçu une convocation de vous présenter à la réserve ce que vous n’auriez pas fait.

Vous continuez qu’après le retour de votre famille de Rozaje où vous viviez pendant la guerre, des Albanais auraient occupé votre maison. Lors d’une altercation avec ces mêmes gens votre père aurait été tué après qu’il eut lui même tué par balles deux de ses agresseurs.

Vous auriez alors été obligé de vous cacher avec votre frère et votre mère chez des voisins par crainte de représailles de la famille albanaise. Vous auriez alors quitté le Kosovo pour vivre normalement.

Vous alléguez encore que les Serbes vous auraient accusé d’appartenir à la famille de Rugova et vous auraient traité de collaborateurs.

Enfin, vous n’affirmez pas être membre d’un parti politique.

Concernant la situation particulière des musulmans slaves au Kosovo, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Les autres motifs que vous invoquez, à savoir le fait que des Albanais auraient occupé votre maison familiale et le fait que votre père aurait été tué par ces mêmes Albanais, même à les supposer établis, ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

De plus les Albanais du Kosovo ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il faut souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. A cela s’ajoute qu’à la suite des élections parlementaires du 17 novembre 2001 les minorités nationales du Kosovo, à savoir les Roms, les Bosniaques, les Turcs et autres se sont vus attribuer quelques sièges leur assurant une représentation au sein du parlement du Kosovo. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

Par ailleurs, vous n’avez à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous n’auriez pas été en mesure de vous installer au Monténégro où votre famille s’était réfugiée pendant la guerre, sinon en Serbie et profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinons politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Le recours gracieux formé par le mandataire de Monsieur … à l’encontre de la décision ministérielle précitée à travers un courrier du 19 août 2002 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 20 novembre 2002, il a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle initiale du 14 juin 2002, par requête déposée en date du 18 décembre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il convient encore de relever que la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, le jugement est présumé être rendu contradictoirement entre parties.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la Ville d’Istok au Kosovo, qu’il ferait partie de la communauté des slaves du Kosovo et qu’il aurait trouvé refuge ensemble avec sa famille pendant la guerre du Kosovo à Rozaje au Monténégro, mais qu’à leur retour au Kosovo, ils auraient constaté que la maison familiale avait été occupée par des Albanais. Lors d’une altercation avec ces occupants, son père aurait été tué après avoir tué deux des agresseurs, et il aurait été obligé par la suite de se cacher ensemble avec son frère et sa mère auprès de voisins, de peur de représailles. Etant donné que la KFOR n’aurait pas réussi à leur assurer une protection adéquate, il se serait résigné à quitter le Kosovo, étant donné qu’une existence paisible et sécurisée ne pourrait lui être garantie.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.- Dans ce contexte, il convient de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 3 mai 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse ainsi que les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur ne fait pas état à suffisance de droit de raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient encore d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, et plus particulièrement celle des slaves à laquelle le demandeur déclare appartenir, s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment du groupe majoritaire des Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des minorités du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse, de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des minorités au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à ladite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Finalement les craintes exprimées par le demandeur en relation avec l’occupation de sa maison familiale et le meurtre de son père, à supposer les faits y relatifs établis, ne sont pas de nature à établir une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève, mais se réfèrent plutôt à un sentiment d’insécurité ou à des actes relevant de la criminalité de droit commun.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 15 mai 2003 par le vice-président en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15744
Date de la décision : 15/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-15;15744 ?

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