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15/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15675

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 mai 2003, 15675


Tribunal administratif Numéro 15675 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 décembre 2002 Audience publique du 15 mai 2003 Recours formé par les époux … et …, Monsieur … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15675 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 2002 par Maître Isabelle HOMO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje (Mon

ténégro/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Rozaje (Monténég...

Tribunal administratif Numéro 15675 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 décembre 2002 Audience publique du 15 mai 2003 Recours formé par les époux … et …, Monsieur … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15675 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 2002 par Maître Isabelle HOMO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Rozaje (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, et au nom de Monsieur …, né le … à Pec (Kosovo), tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 août 2002, notifiée le 3 septembre 2002, ainsi que d’une décision du même ministre du 30 octobre 2002 pris sur recours gracieux, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 février 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2003 au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Isabelle HOMO et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 17 juillet 2002, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, ainsi que Monsieur …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour les consorts …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 31 juillet 2002, les époux …-…, de même que Monsieur … furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 8 août 2002, notifiée le 3 septembre 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile à Pec /Kosovo pour aller à Sarajevo où vous avez pris place dans la camionnette d’un passeur, qui vous a conduit en Italie. Vous avez changé de véhicule pour poursuivre votre route jusqu’au Luxembourg, où vous êtes arrivés le 17 juillet 2002.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 18 juillet 2002.

Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1978/1979 en Bosnie, dans l’ancienne armée yougoslave. Vous n’auriez plus été appelé à la réserve après 1991.

Vous exposez que pendant six ou sept ans, vous avez travaillé comme livreur de nourriture pour les exilés serbes venant de Croatie et se trouvant à Pec. En effet, la camionnette dont vous étiez le chauffeur avait été réquisitionnée par la Croix-Rouge pour venir en aide aux réfugiés. Des Albanais du Kosovo vous auraient accusé d’être à la solde des Serbes parce que vous leur portiez de la nourriture. Vous enfants se seraient faits traiter d’espions serbes par leurs camarades d’école. Un groupe d’Albanais serait, à plusieurs reprises, venu chercher des armes à votre domicile et vous menacer. Ces pressions vous auraient décidé de quitter le Kosovo pour venir au Luxembourg car vous dites craindre les Albanais.

Vous ajoutez que vous étiez membre du Parti Communiste jusqu’à l’arrivée au pouvoir de MILOSEVIC. Par la suite, vous auriez adhéré au SDA, mais vous auriez caché cette adhésion à vos connaissances pour éviter les ennuis.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous ajoutez que les Albanais vous reprochaient de n’avoir pas quitté le Kosovo pendant la guerre.

Quant à vous, Monsieur …, vous confirmez également les dires de vos parents. Vous ajoutez que, dans votre école, il y aurait parfois des bagarres entre les élèves des classes albanophones et ceux des quelques rares classes encore en serbo-croate.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile, qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que toutes vos assertions traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution. Or, ce sentiment ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée et qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

De plus, les Albanais du Kosovo ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer dans une autre partie de votre pays et profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er , A, 2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d’asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par les consorts …-… à travers un courrier de leur mandataire du 1er octobre 2002 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 30 octobre 2002, ils ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles de rejet des 8 août et 30 octobre 2002 par requête déposée en date du 2 décembre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre les décisions ministérielles déférées.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires de la Ville de Pec au Kosovo, de confession musulmane et qu’ils appartiendraient à la minorité ethnique des « bochniaques ». Ils font valoir que leur départ de leur pays d’origine aurait été motivé par le fait que Monsieur … aurait été membre du parti communiste, de même que du parti politique pour l’action démocratique du Kosovo (SDA), qu’il aurait travaillé comme chauffeur-livreur au sein de la Croix-Rouge de Serbie et qu’en raison de son engagement politique et de sa profession, les Albanais lui reprocheraient encore à l’heure actuelle de collaborer avec les Serbes. Dans ce contexte, les demandeurs font encore valoir que des hommes armés se seraient introduits régulièrement dans leur domicile pour les menacer et ils s’appuient plus spécialement sur une attestation testimoniale du Dr. Numan BALIC, président du SDA, dans laquelle ce dernier certifie que les forces internationales déployées ne parviendraient pas à apaiser les rivalités existantes et que Monsieur … aurait été victime des extrémistes à cause de son travail au sein de la Croix-Rouge de Serbie.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9, p. 519).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des consorts ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er , section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de persécutions de la part des Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité des bochniaques. Force est cependant de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des bochniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant un rapport récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, la situation de sécurité générale des bochniaques du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the general security situation of Kosovo Bosniaks remained stable with no incidents of serious violence »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des boshniaques au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Pour le surplus, les craintes exprimées par le demandeur en relation avec le travail de son père pour la Croix-Rouge de Serbie constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 15 mai 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15675
Date de la décision : 15/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-15;15675 ?

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