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14/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15158

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 mai 2003, 15158


Tribunal administratif Numéro 15158 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juillet 2002 Audience publique du 14 mai 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15158 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juillet 2002 par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg. au nom de Monsieur …, né le … , et de son épouse, Madame …, né

e le… , agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants … et …,...

Tribunal administratif Numéro 15158 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juillet 2002 Audience publique du 14 mai 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15158 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juillet 2002 par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg. au nom de Monsieur …, né le … , et de son épouse, Madame …, née le… , agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 27 février 2002, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative dudit ministre datant du 18 juin 2002 et intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marc ELVINGER et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 avril 2003.

Le 8 mai 1998, les époux … et …, agissant en leur nom personnel, ainsi qu’en celui de leurs enfants … et …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En dates respectivement du 10 et 25 février 2000, les époux …-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur leurs motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 27 février 2002, leur notifiée en date du 13 mai 2002, le ministre de la Justice informa les consorts …-… de ce que leur demande avait été refusée aux motifs qu’il résulterait de la situation objective actuelle du Kosovo que le parti politique LDK auquel avait appartenu Monsieur …, est le principal parti au pouvoir et que celui-ci se serait engagé à mettre en place des institutions démocratiques et pluri-ethniques sous le contrôle notamment des forces internationales dépendant de l’ONU. Le ministre a relevé en outre en ce qui concerne la situation de la minorité des Goranais, qu’actuellement ceux-ci auraient, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, de sorte qu’une discrimination à leur égard ne saurait plus être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

Par courrier de leur mandataire datant du 11 juin 2002, les époux …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 27 février 2002.

Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre de la Justice du 18 juin 2002, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 27 février et 18 juin 2002 par requête déposée en date du 22 juillet 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Kosovo, de nationalité yougoslave, de confession musulmane et qu’ils appartiennent à la minorité ethnique des Goranais. Ils critiquent la décision déférée en faisant valoir qu’elle relèverait d’une appréciation qui ne correspondrait en rien à la réalité au Kosovo telle que décrite par le Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (UNHCR) dans un rapport du mois d’avril 2002, dont il résulterait que la situation au Kosovo serait telle que les membres de la minorité des Goranais, en cas de retour dans leur pays d’origine, se trouveraient exposés, outre à des discriminations, à des persécutions du fait de leur appartenance ethnique. Estimant ainsi invoquer une crainte légitime de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève, ils concluent à la réformation des décisions litigieuses.

Lors des plaidoiries à l’audience, le mandataire des demandeurs a actualisé les moyens avancés à l’appui du recours au vu du rapport plus récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003. Il a relevé à cet égard que si la situation des Goranais se serait certes améliorée, cette amélioration ne serait pas absolue et il persisterait toujours un danger pour la vie et les libertés fondamentales des Goranais en cas de retour au pays. Il a relevé en outre que la possibilité d’une fuite interne serait hautement sujette à caution dans ce contexte et que face au silence du rapport récent du UNHCR à cet égard, il y aurait lieu de se référer à son rapport d’avril 2002 aux termes duquel cette possibilité serait raisonnablement à exclure, ceci d’autant plus que le concept même de la possibilité d’une fuite interne dans le contexte de la Convention de Genève serait sujet à caution et que pareille possibilité ne saurait être envisagée que dans l’hypothèse où une alternative socialement et économiquement raisonnable existe.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er , section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques, elles ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes. Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile.

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de persécution en raison de leur appartenance à la minorité des Goranais du Kosovo. Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, paraît toujours difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre de cette minorité serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il y a lieu de constater en plus que suivant le rapport récent de l’UNHCR prévisé sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, auquel s’est référé le mandataire des demandeurs en termes de plaidoiries, la situation de sécurité générale des Goranais est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« concerning the Goranis, with the exception of Gjilan/Gnjilane region, in particular Ferizaj/Urosevac, their security situation can likewise be considered relatively stable particularly in the rural communities of Dragash municipality which has a high concentration of Goranis »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale de ces minorités au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

En l’espèce, les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit une crainte personnelle de persécution, voire une incapacité des autorités en place d’assurer leur protection, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs au frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mai 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15158
Date de la décision : 14/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-14;15158 ?

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