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07/05/2003 | LUXEMBOURG | N°16363

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mai 2003, 16363


Tribunal administratif N° 16363 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 avril 2003 Audience publique du 7 mai 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16363 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kirkuk (Irak), de nationalité irak...

Tribunal administratif N° 16363 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 avril 2003 Audience publique du 7 mai 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16363 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kirkuk (Irak), de nationalité irakienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 10 avril 2003 ordonnant son placement audit Centre pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour compte de Monsieur … ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Par décision du ministre de la Justice du 10 avril 2003, notifiée le même jour à l’intéressé, Monsieur … fut placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Considérant que le Parquet a prononcé une mesure de rétention en date du 8 avril 2003 ;

Vu le rapport de l’Eurodac du 10/04/03 indiquant que l’intéressé est connu sous l’identification no IT1L013265 et FR15703054478 ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’une demande de prise en charge en vertu de la Convention de Dublin du 15 juin 1990 sera adressée aux autorités italiennes respectivement aux autorités françaises ;

- qu’en attendant l’accord de reprise, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée le 30 avril 2003 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision de placement du 10 avril 2003.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours en pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur soulève en premier lieu la nullité respectivement l’inapplicabilité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, pour défaut de base légale, estimant que la loi modifiée du 27 juin 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire n’offrirait pas de base légale suffisante à la création, par voie de règlement grand-ducal, d’une structure spécifique au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg destinée à accueillir les étrangers faisant l’objet d’une mesure de placement.

Ce moyen n’est cependant pas fondé, étant donné que la base légale dudit règlement grand-ducal est donnée par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, tel que cela ressort d’ailleurs du libellé même dudit règlement grand-ducal. Dans ce contexte, il est indifférent que le Conseil d’Etat, au moment de l’élaboration de la loi du 27 juin 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire, a estimé que l’intervention du législateur serait de mise pour l’hypothèse d’une modification des attributions d’un établissement pénitentiaire, étant donné que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière n’est pas à considérer comme un établissement pénitentiaire (cf. trib. adm. 5 décembre 2002, n° 15679 du rôle, non encore publié).

Le demandeur invoque ensuite « l’absence des conditions pour prononcer une mesure de placement », au motif que l’autorité administrative resterait en défaut de prouver un risque réel dans son chef de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure, étant donné qu’il se serait adressé spontanément à la police grand-ducale au moment de son arrivée au Luxembourg en date du 8 avril 2003 et que l’autorité administrative serait parfaitement au courant du fait qu’il serait demandeur d’asile en France. Pour le surplus, les démarches entreprises par le ministre de la Justice, en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois, seraient insuffisantes, vu que les autorités luxembourgeoises auraient une connaissance parfaite du pays européen à partir duquel il se serait rendu sur le territoire luxembourgeois, en l’occurrence la France, de sorte qu’une expulsion ou un refoulement vers ce pays n’aurait nullement été impossible et pourrait se faire sans autre forme de procédure, conformément à l’article 12 de la loi du 28 mars 1972, précitée.

Le délégué du gouvernement estime que les conditions justifiant la décision de mise à disposition du gouvernement seraient remplies, que des démarches suffisantes en vue de la reprise du demandeur par les autorités italiennes auraient été entreprises et que partant le recours laisserait d’être fondé. Etant donné que deux moyens en droit avancés dans la requête introductive auraient été toisés et rejetés à de nombreuses reprises par le tribunal, le représentant étatique sollicite encore l’octroi d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 €, qu’il serait inéquitable de laisser à charge de l’Etat.

Il est constant en cause que la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion. Il convient partant d’examiner si la mesure en question est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972] ;

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement, à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

Encore faut-il que la mesure afférente soit prise légalement, c'est-à-dire pour un des motifs prévus par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 auquel renvoie l’article 15.

En l’espèce, parmi les motifs invoqués au moment de la prise de la décision de placement du 10 avril 2003, le ministre de la Justice a fait état du fait que le demandeur se serait trouvé en séjour irrégulier au pays, qu’il aurait été démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable et qu’il n’aurait pas été en possession de moyens d’existence personnels suffisants.

Or, il est patent en cause que Monsieur … ne dispose ni des papiers de légitimation prescrits, ni de moyens d’existence personnels suffisants, de manière à remplir les conditions légales telles que fixées par la loi luxembourgeoise sur base desquelles une mesure de refoulement a valablement pu être prise à son encontre.

Pour le surplus, il est constant en cause que par application de la décision litigieuse, Monsieur … fut placé non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au nouveau Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière créé par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, de sorte que le caractère approprié de l’établissement au sens de l’article 15 (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée se dégage d’un texte réglementaire et ne saurait dès lors plus être sujet à discussion.

En effet, dans la mesure où il n’est pas contesté que Monsieur … fut en situation irrégulière à la date de son placement et qu’il a fait l’objet d’une décision de placement sur base dudit article 15 en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois, il rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée par l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 précité, de sorte que toute discussion sur l’existence d’un risque de fuite dans son chef se révèle désormais non pertinente en la matière, étant donné que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent par essence un risque de fuite, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Finalement, c’est encore à juste titre que le représentant étatique relève que des démarches ont dû être entreprises en vue de l’éloignement de Monsieur … du territoire luxembourgeois, étant donné qu’il est dépourvu de papiers d’identité valables, et qu’au vu du rapport de l’Eurodac, il est connu sous un numéro d’identification à la fois en Italie et en France, de sorte que les démarches en vue d’une reprise en charge de l’intéressé par les autorités italiennes ont valablement pu être entamées. Ces démarches sont documentées par un courrier adressé dès le 14 avril 2003 aux autorités italiennes, ainsi que par un rappel du 24 avril 2003, priant ces mêmes autorités d’accélérer au maximum le traitement du dossier, de sorte qu’il ne saurait en l’espèce être reproché aux autorités luxembourgeoises de ne pas avoir entrepris des démarches suffisantes en vue de l’éloignement de Monsieur …. Dans ce contexte, c’est à tort que le demandeur estime qu’il aurait purement et simplement pu être refoulé vers la France sans autre forme de procédure, étant donné qu’il appert des éléments d’information soumis au tribunal que Monsieur … a en premier lieu déposé une demande d’asile sur le territoire de l’Italie, de sorte que, conformément aux dispositions de l’article 10 de la loi du 20 mai 1993 portant approbation de la Convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés Européennes, signée à Dublin, le 15 juin 1990, l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, en l’espèce l’Italie, est tenu de mener à terme l’examen de cette demande, voire de réadmettre ou de reprendre le demandeur d’asile dont la demande est en cours d’examen ou dont il a rejeté la demande et qui se trouve irrégulièrement dans un autre Etat membre.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur doit en être débouté.

La demande en obtention d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 €, tel que présentée par l’Etat dans son mémoire en réponse, est à rejeter, les conditions légales n’étant pas remplies en l’espèce.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par l’Etat non fondée ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 7 mai 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16363
Date de la décision : 07/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-07;16363 ?

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