La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/05/2003 | LUXEMBOURG | N°16260

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mai 2003, 16260


Numéro 16260 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2003 Audience publique du 7 mai 2003 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16260 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoca

ts à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Savin Bor (Monténégro/Serbie et Monténé...

Numéro 16260 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2003 Audience publique du 7 mai 2003 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16260 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Savin Bor (Monténégro/Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 13 janvier 2003, notifiée le 11 mars 2003, par laquelle ledit ministre a déclaré manifestement infondée une demande en obtention du statut de réfugié introduite par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Joëlle NEISS, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 19 novembre 2002, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé «la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu le 5 décembre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 13 janvier 2003, notifiée le 11 mars 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande a été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, au motif qu’elle ne répondrait à aucun des critères de fond tels que définis par l’article 1er section A.2 de la Convention de Genève. Le ministre a en effet retenu que Monsieur … se limitait à faire état de sa peur « d’un groupe de jeunes racketteurs » auxquels il aurait refusé de donner de l’argent et que ce fait ne saurait être considéré comme constituant un acte de persécution au sens de la Convention de Genève. Ladite décision se base encore sur l’article 5 paragraphe 1 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996, en ce que Monsieur … proviendrait d’un pays, à savoir le Monténégro, où il n’existerait pas, en règle générale, des risques sérieux de persécution.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2003 Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 13 janvier 2003.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Etant donné que l’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Le demandeur reproche d’abord au ministre d’avoir motivé la décision critiquée d’une manière « stéréotypée », en ce qu’il n’aurait pas précisé en quoi les faits tels que relatés par lui ne pourraient pas constituer des actes de persécution au sens de la Convention de Genève, et d’avoir ainsi violé non seulement l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, mais également l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996, qui énonceraient explicitement une obligation de motivation des décisions administratives, et notamment de celles rendues en matière de statut de réfugié.

Force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision déférée du 13 janvier 2003 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. Pour le surplus, il échet de relever que l’appréciation de la réalité des motifs figurant dans la décision ministérielle litigieuse relève de l’examen au fond de ladite décision.

Quant au fond, le demandeur soutient que la décision critiquée devrait être annulée en raison d’une appréciation erronée des faits.

Dans cet ordre d’idées, il expose être originaire de Berane au Monténégro et de confession musulmane et qu’il aurait dû fuir sa région d’origine en raison du fait que « des jeunes » l’auraient racketté et lui auraient extorqué de l’argent en menaçant de le tuer ainsi que les autres membres de sa famille, au cas où il n’obtempérerait pas à leurs exigences.

Dans ce contexte, il relève encore avoir déposé plainte auprès de la police, mais que celle-

ci n’aurait pas réagi, de sorte qu’il aurait raison de conclure à une absence manifeste de protection de la part des autorités en place dans son pays d’origine.

En substance, Monsieur … estime avoir invoqué des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève du fait des menaces de mort qu’il aurait reçues de la part d’un groupe de jeunes, en raison de son appartenance à la communauté religieuse des musulmans et de son « identité ethnique ». Il ajoute dans ce contexte qu’il existerait toujours une instabilité politique au Monténégro où il régnerait « un certain désordre », qui se manifesterait notamment par des exactions et des règlements de compte à l’encontre de personnes de confession musulmane.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande. Lorsque le demandeur invoque la crainte d’être persécuté dans son propre pays, mais qu’il résulte des éléments et renseignements fournis que le demandeur n’a aucune raison objective de craindre des persécutions, sa demande peut être considérée comme manifestement infondée ».

Une demande d’asile basée exclusivement sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (cf. trib. adm. 22 septembre 1999, n° 11508 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 91 et autres références y citées).

Par ailleurs, il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, manifestement dénués de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

En l’espèce, il ressort tant du rapport de l’audition du 5 décembre 2002 que de la requête introductive d’instance que le demandeur se dit persécuté par un groupe de jeunes vivant à Berane, qui l’auraient agressé et auraient tenté de lui extorquer de l’argent en le menaçant de mort, ainsi que d’autres membres de sa famille. Or, de tels agissements relèvent d’une criminalité de droit commun, laquelle, quelle que soit la gravité et le caractère condamnable desdits actes, à les supposer établis, ne saurait être qualifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, mais traduit plutôt dans le chef du demandeur un sentiment d’insécurité. Il s’y ajoute que le simple fait que la police n’aurait apparemment pas réagi à la suite du dépôt d’une plainte auprès des autorités de son pays d’origine n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place dans son pays d’origine, à défaut pour le demandeur d’avoir rapporté la preuve ou, pour le moins, donné des explications crédibles de nature à établir une volonté desdites autorités de ne pas poursuivre de tels actes pour un des motifs visés par la Convention de Genève.

Pour le surplus, le demandeur n’a pas indiqué, ni au cours de son audition par un agent du ministère de la Justice ni dans sa requête introductive d’instance qu’il aurait eu des problèmes liés à ses opinions politiques ou religieuses ou en raison de l’appartenance à un groupe social ou national et il y a lieu d’ajouter qu’il disposait par ailleurs d’une possibilité de fuite interne raisonnable à l’intérieur de son pays d’origine au moment de la prise de la décision déférée.

Il convient encore d’ajouter que la situation politique a favorablement évolué au Monténégro suite à la signature d’un accord serbo-monténégrin au mois de mars 2002 prévoyant l’adoption d’une nouvelle constitution, qui est entre temps entrée en vigueur en ayant notamment entraîné la création d’un Etat de Serbie et Monténégro, et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro, de sorte que des risques sérieux de persécutions ne sont plus à craindre dans le pays d’origine du demandeur. Partant, le ministre de la Justice a également valablement pu fonder sa décision sur l’article 5, paragraphe 1 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996 en vertu duquel « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution », d’autant plus, qu’en l’espèce, comme il vient d’être relevé ci-avant, le demandeur n’a pas apporté d’éléments ayant trait à sa situation personnelle de nature à justifier de prétendues craintes de persécution au Monténégro.

Il s’ensuit que la demande d’asile sous examen ne repose sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a rejeté la demande d’asile du demandeur comme étant manifestement infondée et que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 7 mai 2003 par le vice-président en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16260
Date de la décision : 07/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-07;16260 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award