La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15587

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mai 2003, 15587


Tribunal administratif N° 15587 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2002 Audience publique du 7 mai 2003 Recours formé par la société anonyme … S.A., … et Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15587 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 novembre 2002 par Maître Mario DI STEFANO, avocat à la Cour, inscrit au t

ableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., établie et a...

Tribunal administratif N° 15587 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2002 Audience publique du 7 mai 2003 Recours formé par la société anonyme … S.A., … et Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15587 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 novembre 2002 par Maître Mario DI STEFANO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., établie et ayant son siège social à L-…, et de Monsieur …, tatoueur, de nationalité lithuanienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 9 août 2002 refusant d’accorder le permis de travail à Monsieur … pour un emploi auprès de la société anonyme … S.A. en qualité de tatoueur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 janvier 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 27 février 2003 par Maître Mario DI STEFANO au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître François MOYSE, en remplacement de Maître Mario DI STEFANO, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 mars 2003.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Par arrêté du 9 août 2002, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après appelé « le ministre », a refusé le permis de travail à Monsieur …, préqualifié, « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes :

- des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 1587 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi ;

- priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) ;

- poste de travail non déclaré vacant par l’employeur ;

- occupation irrégulière depuis le 01.06.2002 ;

- la société n’a pas d’autorisation d’établissement ;

- recrutement à l’étranger non autorisé ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2002, la société anonyme … S.A. et Monsieur … ont fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation, sinon à la réformation de l’arrêté ministériel prérelaté du 9 août 2002.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que la société demanderesse, ayant initialement fait le commerce sous le nom de « …», aurait cherché à engager un tatoueur partout dans le pays et aurait informé l’administration de l’Emploi de la vacance de ce poste.

N’ayant pas trouvé de candidat qualifié, elle se serait tournée vers l’étranger pour recruter finalement le seul candidat ayant les qualifications nécessaires pour procéder à des tatouages, à savoir le demandeur …. Ils critiquent la décision déférée en faisant valoir qu’il serait aberrant d’invoquer le fait que des ouvriers non qualifiés sont disponibles sur le marché de l’emploi, alors que leur demande aurait trait à un poste bien spécifique, qui requiert de l’expérience pratique et des qualifications très spéciales et qu’il ne serait pas imaginable d’engager en tant que tatoueur un ouvrier non qualifié ne maîtrisant pas l’art du tatouage.

Quant au motif de refus basé sur la priorité à l’emploi de ressortissants de l’Espace économique européen, ainsi qu’au recrutement à l’étranger non autorisé, les demandeurs font valoir que malgré les annonces effectuées par la société demanderesse et malgré l’information donnée à l’administration de l’Emploi concernant la recherche d’un tatoueur, elle n’en aurait pas trouvé et ladite administration n’aurait pas pu lui en proposer, de sorte que ledit motif de refus serait inopérant en l’espèce comme contredisant la réalité des faits.

Les demandeurs signalent en outre qu’en date du 6 octobre 2001 une lettre aurait été envoyée à l’administration de l’Emploi, service placement, ayant eu pour objet de l’informer des efforts déployés par la société demanderesse à la recherche d’un tatoueur. Quant à l’occupation irrégulière depuis le 1er juin 2002 invoquée à l’appui de la décision litigieuse, les demandeurs font valoir que ce fait ne serait pas établi en cause, étant donné que le seul fait d’indiquer dans la demande en obtention d’un permis de travail une date prévue pour l’engagement ne serait pas suffisant pour prouver qu’effectivement la personne en question a été occupée irrégulièrement à partir de la date en question. Ils estiment par ailleurs que l’occupation irrégulière d’un travailleur, si elle était avérée, quod non, ne devrait pas avoir d’influence sur les démarches administratives relatives au permis de travail, faute de s’inscrire directement dans les prévisions afférentes de la loi.

Concernant enfin le motif de refus basé sur le fait que la société demanderesse n’avait pas d’autorisation d’établissement, les demandeurs signalent que cette situation a été régularisée en cours d’instruction du dossier et que la société a obtenu l’autorisation de commerce en date du 9 septembre 2002, de sorte que l’administration aurait tout au plus pu soumettre l’autorisation à délivrer à la condition de l’octroi d’une telle autorisation de commerce, sans pour autant pouvoir rejeter la demande de permis de travail ayant fait l’objet de la décision litigieuse.

Le délégué du Gouvernement relève que Monsieur … n’a pas et n’a jamais eu d’autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg, de manière à avoir été recruté, d’un point de vue juridique, à l’étranger aux mépris des dispositions de l’article 16 (2) de la loi du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’Emploi et portant création d’une commission nationale de l’Emploi, tel qu’il a été modifié par la loi du 12 février 1999. Il conclut pour le surplus au bien-fondé de l’arrêté ministériel déféré en développant plus amplement les motifs de refus invoqués à sa base.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs se réfèrent à plusieurs jugements du tribunal administratif pour soutenir qu’il serait de jurisprudence que le défaut pour l’employeur d’avoir sollicité et obtenu l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger ne pourrait pas constituer un motif de refus du permis de travail. Ils précisent en outre que lors d’un entretien téléphonique avec l’administration de l’Emploi, la société demanderesse aurait demandé oralement à Monsieur … si elle pouvait recruter un travailleur étranger au vu de l’absence d’un tatoueur disponible sur le marché luxembourgeois et que la réponse aurait été positive, de sorte qu’il y aurait bien eu une autorisation orale de recrutement à l’étranger. Ils offrent en preuve à cet égard d’entendre comme témoin Monsieur …, chef de service adjoint à l’administration de l’Emploi et Madame …, administratrice de la société … S.A..

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le tribunal n’est pas compétent pour statuer en tant que juge du fond en la matière. Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Les demandeurs critiquent d’abord la décision ministérielle déférée en faisant valoir qu’elle serait motivée de manière insuffisante et stéréotype sans tenir compte de leurs situations précises. Cette insuffisance de motivation équivaudrait à une absence de motivation devant conduire à l’annulation de la décision en question.

Une obligation de motivation expresse et exhaustive d’un arrêté ministériel de refus d’une autorisation de travail n’est imposée ni par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère, ni par le règlement grand-ducal modifié d’exécution du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

En application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base.

En l’espèce, l’arrêté ministériel déféré du 9 août 2002 énonce 6 motifs tirés notamment de la législation sur l’emploi de la main-d’œuvre étrangère et suffit ainsi aux exigences de l’article 6 précité, cette motivation ayant utilement été complétée et explicitée par le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement, de sorte que les demandeurs n’ont pas pu se méprendre sur la portée à attribuer à la décision litigieuse.

L’existence et l’indication des motifs ayant été vérifiées, il y a lieu d’examiner si lesdits motifs sont de nature à justifier la décision déférée.

Concernant le motif de refus basé sur le recrutement à l’étranger non autorisé de Monsieur …, il y a lieu de constater que conformément aux dispositions de l’article 16 de la loi précitée du 21 février 1976, le recrutement de travailleurs à l’étranger est de la compétence exclusive de l’administration de l’Emploi, sauf l’exception où un ou plusieurs employeurs, sur demande préalable, ont été autorisés par cette administration à procéder eux-mêmes à un tel recrutement « pour compléter et renforcer les moyens d’action de l’administration, notamment lorsque le déficit prononcé de main-d’œuvres se déclare » (doc. parl. n° 1682, commentaire des articles, ad. art. 16).

En l’espèce, il est constant que Monsieur …, n’ayant pas d’autorisation de séjour valable au Grand-Duché de Luxembourg, est à considérer comme ayant été recruté à l’étranger au sens de la disposition légale précitée et que partant, au voeu des dispositions de l’article 16 (2) précité, l’employeur ayant eu l’intention d’engager Monsieur … aurait dû solliciter en premier lieu l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger.

S’il est certes vrai que les demandeurs offrent en preuve le fait qu’une demande afférente aurait été formulée et rencontrée favorablement par voie d’un accord oral, force est de constater qu’au vu des pièces versées au dossier en cours de délibéré à la demande du tribunal, et plus particulièrement au regard des termes clairs et précis d’une prise de position écrite de l’administration de l’Emploi à ce sujet, cette offre de preuve n’est plus pertinente, l’inspecteur de direction premier en rang … ayant en effet déclaré par écrit en date du 17 mars 2003 ce qui suit : « le soussigné a effectivement eu un entretien avec un responsable de la société mentionnée en exergue (la société … S.A.) quant à une éventuelle demande d’octroi d’un permis de travail pour un ressortissant non-communautaire.

A aucun moment de cet entretien, une autorisation orale, formelle et explicite, de procéder au recrutement d’un tatoueur hors de l’Union Européenne n’a été donnée à mon interlocuteur ».

Dans la mesure où aucun autre élément du dossier tel que présenté en cause ne permet d’établir que le recrutement de Monsieur … fut dûment autorisé, les faits à la base du motif de refus sous examen sont à considérer comme étant établis en cause.

La méconnaissance de l’obligation légale dans le chef de l’employeur de solliciter en premier lieu auprès de l’administration de l’Emploi l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger est susceptible de sanctions pénales expressément énoncées à l’article 41 de la loi du 21 février 1976 précitée, lequel dispose notamment qu’est puni d’une amende de 500 – 25.000 € toute personne qui exerce une activité de recrutement de travailleurs à l’étranger sans être en possession de l’autorisation préalable prévue à l’article 16 de la même loi ou qui n’observe pas les conditions imposées dans ladite autorisation.

Au-delà du fait qu’une sanction pénale est prévue par l’article 41 prévisé, il convient d’analyser si le non-respect de la formalité préalable à l’emploi d’un travailleur étranger inscrite à l’article 16 (2) précité est de nature à justifier une décision de refus du permis de travail.

A cet égard, il a été arrêté par la Cour administrative que l’article 16 (1) de la loi modifiée du 21 février 1976 précitée fixe en principe pour l’administration de l’Emploi le monopole de procéder au recrutement de travailleurs à l’étranger et cela pour des raisons inhérentes à la surveillance du marché de l’emploi, ensuite pour des motifs concernant la santé publique, l’ordre public et la sécurité publique, enfin dans l’intérêt de la protection de l’emploi de la main-d’œuvre occupée dans le pays, la Cour s’étant référée à cet égard aux documents parlementaires n° 1682 entrevus plus particulièrement à partir de leur exposé des motifs, pour conclure au caractère impératif de la règle de procédure sous examen (cf. Cour adm. 22 octobre 2002, n°s 14539C et 14967C du rôle, non encore publié).

Il s’ensuit que le motif de refus basé sur le recrutement à l’étranger non autorisé, au regard des considérations ci-avant basées sur une jurisprudence constante de la Cour administrative, s’inscrit dans le cadre légal tracé par les dispositions de l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, en vertu desquelles seules « des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi », peuvent être invoquées pour motiver le refus du permis de travail, de sorte que le tribunal, statuant sur la légalité d’une décision de refus du permis de travail, est appelé à vérifier si les dispositions de l’article 16 (2) de la loi modifiée du 21 février 1976 précitée ont été observées.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’au-delà de toute question pouvant se poser en l’espèce au sujet de la disponibilité effective de ressortissants de l’Union Européenne ou de l’E.E.E. bénéficiant d’une priorité à l’emploi et susceptibles de pouvoir utilement exercer, au regard de leur qualification spécifique ou de leur expérience professionnelle, le travail de tatoueur, l’arrêté ministériel litigieux est motivé à suffisance de droit et de fait par le seul constat du non-respect de la formalité inscrite à l’article 16 (2) précité, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres motifs de refus invoqués à son appui, ainsi que les moyens y afférents.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 mai 2003 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Delaporte 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15587
Date de la décision : 07/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-07;15587 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award