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07/05/2003 | LUXEMBOURG | N°10569

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 mai 2003, 10569


Tribunal administratif N° 10569 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 1998 Audience publique du 7 mai 2003

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Recours formé par la fondation de droit néerlandais « S. », … (Pays Pas) contre une décision du ministre de la Justice et un avis de l’Oeuvre nationale de secours Grande-Duchesse Charlotte en matière de jeux de hasard et de loterie

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 février 1998 par Maître Gérard SCHANK

, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la fondation d...

Tribunal administratif N° 10569 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 1998 Audience publique du 7 mai 2003

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Recours formé par la fondation de droit néerlandais « S. », … (Pays Pas) contre une décision du ministre de la Justice et un avis de l’Oeuvre nationale de secours Grande-Duchesse Charlotte en matière de jeux de hasard et de loterie

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 février 1998 par Maître Gérard SCHANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la fondation de droit néerlandais « S. », établie et ayant son siège social à NL-…, représentée par les membres de son comité exécutif, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 13 novembre 1997 lui refusant l’autorisation d’organiser à partir du Luxembourg une loterie internationale, basée sur les cartes de crédit, ainsi que d’un avis du 29 octobre 1997 de l’Oeuvre nationale de secours Grande-Duchesse Charlotte, établissement public, établie et ayant son siège à L-1212 Luxembourg, 3, rue des Bains, se trouvant à la base de la décision ministérielle précitée ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 13 février 1998, portant signification de cette requête à l’Oeuvre nationale de secours Grande-

Duchesse Charlotte ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 décembre 1998 par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Oeuvre nationale de secours Grande-Duchesse Charlotte ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre BIEL, demeurant à Luxembourg, du 31 décembre 1998, portant signification de ce mémoire en réponse à la fondation de droit néerlandais « S. » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 janvier 1999 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision, ainsi que l’avis critiqués ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Béatrice GEOFFROY, en remplacement de Maître Gérard SCHANK, Maître Isabelle JUNG, en remplacement de Maître Roger NOTHAR, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Par courrier du 8 juillet 1997 adressé au Premier ministre, ainsi qu’aux autres membres du gouvernement, le mandataire de la fondation de droit néerlandais « S. », dénommée ci-après la « Fondation », sollicita l’autorisation en vue de l’organisation « à partir du territoire du Grand-Duché de Luxembourg d’une loterie internationale basée sur les cartes de crédit », dont les fonds récoltés serviraient à réaliser sinon à favoriser « des projets à caractère environnemental et/ou écologique ». La lettre en question contient par ailleurs la description, dans les grandes lignes, du mode de fonctionnement de ladite loterie dont le chiffre d’affaires annuel évalué au moment de la demande aurait dû atteindre le montant de 400 millions d’anciens francs luxembourgeois, ces recettes étant à collecter sur le territoire de « toute l’Europe ».

L’Oeuvre nationale de secours Grande-Duchesse Charlotte, dénommée ci-après l’«Oeuvre », émit en date du 29 octobre 1997 un avis défavorable à l’égard de la demande de la Fondation, adressé au ministre de la Justice, conformément aux dispositions de l’article 4 de l’arrêté grand-ducal modifié du 13 juillet 1945 portant création d’une loterie nationale. Cet avis était motivé de la manière suivante : « La S. se propose d’organiser à partir du Grand-

Duché de Luxembourg une loterie internationale basée sur les cartes de crédit.

Cette loterie s’adresse partant tant aux résidents luxembourgeois qu’à une population internationale non autrement spécifiée par ailleurs.

En ce qui concerne le volet international de la loterie, l’œuvre donne à considérer qu’il n’appartient nullement à l’Etat luxembourgeois de l’autoriser, alors qu’il relève de la souveraineté de chaque Etat d’organiser les activités de loterie et de les autoriser le cas échéant soit au niveau national ou fédéral, soit au niveau des collectivités territoriales prévues par sa législation en la matière.

Une autorisation par l’Etat grand-ducal de cette loterie, en ce qu’elle comporte une dimension internationale, empiéterait ainsi sur la souveraineté des autres Etats et constituerait partant une violation du droit public international.

Pour ce qui est de l’autorisation de lancer une loterie de dimension nationale, il y a lieu de tenir compte des considérations suivantes, fondées sur le respect de l’ordre public en la matière.

Le premier objectif de l’autorisation des loteries n’est pas de récolter des fonds pour des œuvres de bienfaisance et philantropiques, mais de canaliser, satisfaire, limiter et contrôler le désir du jeu, lequel s’analyse en un comportement irrationnel et nocif. Le fait que les bénéfices de ces activités sont utilisés pour la collectivité est un élément important mais secondaire. Si le but était de maximaliser les profits pour la collectivité, ceci porterait préjudice à l’objectif primaire de la limitation de l’offre.

L’offre de loteries existant sur le territoire luxembourgeois suffit, à l’heure actuelle, à canaliser le désir du jeu. Il échet en effet de constater que le niveau de jeu est élevé et qu’il touche à un plafond, comme en témoigne une certaine stagnation des sommes dépensées à ce titre au cours des dernières années.

Nous estimons dès lors que l’introduction de ce nouveau concept de jeu est de nature à échauffer davantage le désir du jeu plutôt que de le limiter et de le contrôler ».

A la suite de l’avis négatif précité de l’Oeuvre du 29 octobre 1997, le ministre de la Justice informa le mandataire de la Fondation, par courrier du 13 novembre 1997, de ce qu’il se ralliait aux arguments développés par l’Oeuvre dans l’avis précité et qu’il refusait en conséquence l’autorisation sollicitée, après avoir relevé qu’à la suite d’un échange de correspondance entre le mandataire de la Fondation et le ministère de la Justice, la demande en autorisation se trouvait être limitée à une loterie à « organiser sur le territoire du Grand-

Duché de Luxembourg ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 février 1998, la Fondation a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 13 novembre 1997, ainsi que de l’avis précité de l’Oeuvre du 29 octobre 1997.

L’Oeuvre, à laquelle s’est rallié le délégué du gouvernement, soulève tout d’abord l’irrecevabilité des recours en réformation et subsidiairement en annulation, en soutenant que la Fondation ne serait pas correctement représentée en justice, en ce qu’elle déclare agir par l’organe de son « comité exécutif », et, plus particulièrement, Messieurs …, en leur qualité de membres dudit comité exécutif. Elle soutient que conformément au droit néerlandais, constituant le droit du pays de la nationalité de la Fondation, en ce qu’elle possède son siège aux Pays Bas, une fondation de droit néerlandais pourrait exclusivement être représentée par son « administration » voire par un ou plusieurs administrateurs au cas où un pouvoir de représentation leur a été conféré. Elle soutient encore qu’il n’existerait aucune disposition légale aux Pays Bas suivant laquelle une fondation pourrait être représentée en justice par un « comité exécutif ».

En outre, elle relève qu’en vertu de l’article 7 des statuts de la Fondation, celle-ci serait représentée en justice par son « administration » ou par deux administrateurs agissant conjointement et qu’en vertu de l’article 4.1 desdits statuts, l’administration devrait être composée de deux membres au moins. Toutefois, il ressortirait d’un extrait du registre de commerce du 10 mars 1998 que contrairement aux statuts de la Fondation, l’administration de celle-ci ne serait composée que d’un seul membre, à savoir Monsieur L. qui aurait, contrairement aux dispositions statutaires, le pouvoir d’engager seul la Fondation.

En outre, en ce qui concerne les autres noms précités de personnes qui feraient partie du « comité exécutif » de la Fondation, l’Oeuvre fait relever que les noms desdites personnes ne seraient aucunement inscrits au registre de commerce, en violation de « l’article 16b de la loi néerlandaise sur le registre de commerce de 1996 », suivant lequel toutes les données personnelles des administrateurs et des commissaires devraient figurer et être inscrits au registre de commerce.

Même à supposer que par le terme « comité exécutif », la demanderesse viserait en réalité l’organe dénommé « administration » par la loi néerlandaise, il n’en resterait pas moins que dans la mesure où ledit organe ne serait composé que d’une seule personne, en violation des dispositions légales et statutaires, la Fondation ne pourrait pas être valablement resprésentée par ledit organe en vue de l’introduction du présent recours.

Quant à cette question de recevabilité, il échet de constater que la demanderesse n’a pris position ni dans un mémoire en réplique ni oralement au cours des plaidoiries et qu’elle n’a pas non plus versé au tribunal, même en cours d’instance, des pièces et éléments de nature à contredire les affirmations présentées par l’Oeuvre, à laquelle s’est rallié le délégué du gouvernement, ou fournit des éléments permettant de conclure à sa représentation valable en vue d’introduire la présente action juridictionnelle en conformité avec les lois et dispositions réglementaires du pays de son siège, à savoir les Pays Bas.

Il appartient au tribunal administratif d’analyser en premier lieu si la demanderesse possède la capacité active d’ester en justice, qui comprend non seulement l’exigence suivant laquelle toute personne, physique ou morale, introduisant une action en justice doit disposer de la personnalité juridique mais en outre qu’au cas où celui qui introduit une action en justice il soit valablement représenté dans le cadre de celle-ci et, plus particulièrement, lorsqu’il s’agit d’une personne morale, que l’organe ou la personne la représentant soit habilitée, non seulement en vertu des dispositions statutaires mais également en vertu des lois et règlements applicables, à représenter la personne juridique notamment dans le cadre de l’introduction d’une action en justice. Il échet en outre de rappeler que la recevabilité d’un recours contentieux et plus particulièrement la question de la capacité et du pouvoir de représentation de celui qui introduit une action en justice sont d’ordre public, qui peuvent être soulevées d’office par la juridiction (cf. C.E. 11 mars 1992, nos 8546, 8548 et 8549 du rôle).

Abstraction faite de ce qu’il ne ressort d’aucune pièce et d’aucun élément du dossier que la Fondation disposait, au moment de l’introduction du recours sous analyse, de la personnalité juridique l’habilitant à introduire un recours contentieux, notamment en la présente matière, question d’ailleurs non discutée par les parties à l’instance, il échet de relever que les personnes morales ayant capacité d’agir en justice sont représentées par l’organe légalement ou statutairement compétent pour former un recours.

En ce qui concerne la loi applicable pour déterminer non seulement la personnalité juridique d’un être moral mais également son mode de fonctionnement et plus particulièrement sa représentation en justice, il échet de se rapporter à la loi du pays de constitution de ladite personne morale. (cf. F. Schockweiler, Les conflits de lois et les conflits de juridictions en droit international privé luxembourgeois, 2e édition, 1996, n° 213 et s. et 599).

Suivant les pièces et éléments produits par l’Oeuvre, afin d’établir le contenu de la législation néerlandaise en la matière, qui constitue une question de fait dont la preuve peut être rapportée par une des parties à l’instance, et plus particulièrement un extrait du code civil néerlandais, traduit en langue française, l’administration (« bestuur ») d’une fondation représente celle-ci, pour autant qu’il n’existe pas d’autres dispositions légales contraires et les statuts peuvent accorder le pouvoir de représenter de la Fondation à un ou plusieurs des administrateurs de la Fondation et ils peuvent en outre déterminer qu’un administrateur ne puisse représenter la Fondation qu’avec la collaboration d’un ou de plusieurs autres administrateurs ( article 292 du code civil néerlandais). Il se dégage encore desdites pièces, qu’en vertu de la loi néerlandaise sur le registre de commerce de 1996, doivent être inscrites audit registre les données personnelles concernant chaque administrateur, ainsi que notamment sa compétence pour représenter seul ou conjointement avec une ou plusieurs autres personnes ladite Fondation.

Il se dégage des statuts de la Fondation, tels que déposés au registre de commerce tenu par la chambre de commerce de « Veluwe et Twente », et plus particulièrement de la traduction de ceux-ci, fournie par l’Oeuvre, non contestée par la demanderesse, que « l’administration de la Fondation consiste d’au moins deux membres » et qu’elle est représentée notamment en justice « par son administration » ou « par deux administrateurs agissant conjointement ».

Enfin, il se dégage d’un extrait du registre de commerce précité, daté du 10 mars 1998, que seul Monsieur L. y a été inscrit comme administrateur de la Fondation avec l’indication qu’il constituerait le président de ladite Fondation et qu’il aurait compétence pour prendre seul, de façon indépendante, les décisions au nom de celle-ci.

Il échet tout d’abord de constater que suivant les indications figurant dans la requête introductive d’instance, la Fondation ne déclare pas agir par son organe qualifié d’«administration » (« bestuur »), tel que prévu par l’article 292 du code civil néerlandais, mais par un organe qualifié de « comité exécutif », non prévu par la loi néerlandaise comme étant habilité à représenter la Fondation.

Même au cas où l’organe dénommé « comité exécutif », suivant les indications mêmes de la demanderesse, constituerait en réalité l’organe dénommé « administration » suivant les indications figurant tant dans la loi néerlandaise que dans les statuts de la Fondation, faisant tous les deux référence à un organe dénommé « bestuur », il échet toutefois de constater que ledit organe aurait été constitué en violation notamment de l’article 4 des statuts de la Fondation, suivant lequel l’organe dénommé « administration » doit comporter au moins deux membres, en ce que suivant les indications figurant à l’extrait du registre de commerce précité du 10 mars 1998, seul le nom de Monsieur L. figure sous la rubrique « administrateur(s) », en l’absence de tout autre nom.

En outre, comme il a été relevé à bon droit, Monsieur L., qui constitue le seul administrateur dont le nom est inscrit au registre de commerce, ne saurait à lui seul représenter la Fondation, étant donné que suivant l’article 7 des statuts de celle-ci, elle ne peut être représentée que par deux administrateurs agissant conjointement.

Il échet encore de relever que suivant les indications fournies par l’Oeuvre, les noms des autres personnes physiques déclarant agir en représentation de la Fondation ne semblent pas être inscrits au registre de commerce.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’au vu des contestations soumises au tribunal non seulement par l’Oeuvre mais également par le délégué du gouvernement, ainsi que des éléments de fait relevés ci-avant, développés et argumentés par l’Oeuvre sur base des pièces auxquelles il a été fait référence ci-avant, non contestées par la demanderesse, le tribunal constate que la Fondation n’a pas été valablement représentée au moment de l’introduction de la requête introductive d’instance sous analyse et qu’une régularisation ou un complément d’information à ce sujet n’ont pas été apportés en cours d’instance, de sorte que le recours introduit par la Fondation, au nom de son seul comité exécutif, est à déclarer irrecevable, tant en ce qui concerne le recours en réformation qu’en ce qui concerne le recours en annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

déclare les recours irrecevables ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 7 mai 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10569
Date de la décision : 07/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-07;10569 ?

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