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05/05/2003 | LUXEMBOURG | N°15628

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 mai 2003, 15628


Tribunal administratif Numéro 15628 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 novembre 2002 Audience publique du 5 mai 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15628 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 novembre 2002 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Danilovgrad (Etat de Serbie et Monténégro), de nati

onalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annul...

Tribunal administratif Numéro 15628 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 novembre 2002 Audience publique du 5 mai 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15628 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 novembre 2002 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Danilovgrad (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 22 octobre 2002, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 janvier 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé en nom et pour compte du demandeur le 20 février 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître François MOYSE et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 29 juillet 2002, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 13 août 2002, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 22 octobre 2002, notifiée par lettre recommandée le 23 octobre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez fait votre service militaire en 1976 1977. Vous auriez régulièrement suivi les services de réserve jusqu’en 1991. Durant la guerre de Bosnie en 1991, vous auriez été mobilisé, mais vous vous seriez échappé après 2 semaines.

On vous aurait enfermé dans une maison pendant 10 jours et on vous aurait battu. Vous en sortiriez traumatisé. Par la suite vous auriez encore reçu quelques convocations, mais vous n’y auriez pas fait suite. La police vous aurait recherché. Votre famille aurait été provoquée et insultée. Vous auriez quitté le Monténégro parce que vous auriez peur de faire 10 ans de prison en raison du service militaire non effectué.

Vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, ni la désertion ni l’insoumission, même à les supposer établies, sont suffisantes pour constituer une crainte justifiée de persécution au sens de l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève de 1951. De même, la seule crainte de peines du chef de désertion et d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée yougoslave imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Votre peur de devoir faire de la prison n’est donc pas justifiée.

Force est de constater que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 19 novembre 2002, Monsieur … a introduit un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus du 22 octobre 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Quant au fond, le demandeur expose qu’il serait originaire du Monténégro et qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison du fait qu’il aurait refusé de donner suite à différents appels de l’armée fédérale yougoslave pour la réserve militaire, que son refus serait basé sur ce qu’en 1991, il aurait été appelé en service comme réserviste, mais, contrairement à ce qui aurait été prévu, il aurait été emmené au front en Bosnie pour se battre dans la guerre contre la Croatie et qu’après deux semaines, il aurait essayé de s’échapper, mais qu’il aurait été arrêté, enfermé et maltraité et qu’il souffrirait depuis lors d’un traumatisme grave, qu’en raison de son insoumission et de son départ du pays, il risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire et d’être condamné à une peine de prison, que lui-même, ainsi que sa famille risqueraient en outre de subir des représailles de la part du reste de la population et que la loi d’amnistie votée en Yougoslavie ne serait pas de nature à le garantir contre un risque de condamnation. Il ajoute encore qu’un traitement médical adéquat de son traumatisme risquerait de lui être refusé en raison de son insoumission.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont le demandeur fait état à travers son recours contentieux, à savoir son insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier, d’une part, qu’à l’heure actuelle, où les conflits armés ont cessé en ex-Yougoslavie, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, d’autre part, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore, de troisième part, que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Serbie et Monténégro et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que l’insoumission constituerait un délit continue et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits qui auraient cessé avant le 7 octobre 2000, c’est-à-dire aux situations d’insoumission ou de désertion qui auraient été régularisées avant cette date par une présentation volontaire de l’intéressé devant les autorités compétentes, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm.

18 juillet 2001, n° 12547 du rôle). Concernant l’allégation relative à une non application concrète de ladite loi d’amnistie, illustrée par le demandeur par référence à deux articles de journaux relativement à des cas de non-application de la loi d’amnistie, force est encore de relever à cet égard qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 50).

En ce qui concerne le prétendu risque de faire l’objet de discriminations et de persécutions de la part du reste de la population de son pays d’origine en raison de son insoumission, il convient de relever qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et que les allégations vagues et non autrement circonstanciées du demandeur relativement à sa crainte envers l’ensemble de la population de son pays d’origine sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Serbie et Monténégro ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des insoumis ou déserteurs de l’armée yougoslave.

Enfin, il n’est pas non plus établi à suffisance de droit que le demandeur ne saurait bénéficier d’un suivi médical adéquat en raison du seul fait de son état d’insoumission.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 5 mai 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15628
Date de la décision : 05/05/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-05-05;15628 ?

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