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30/04/2003 | LUXEMBOURG | N°14887

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 avril 2003, 14887


Tribunal administratif N° 14887 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mai 2002 Audience publique du 30 avril 2003

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Recours formé par Monsieur … et Madame … contre une décision du ministre de l’Environnement en matière de protection de la nature

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 10 mai 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Yasmine POOS, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d

e Monsieur …, retraité, et de son épouse, Madame …, sans état particulier, demeurant ensemble à L-…,...

Tribunal administratif N° 14887 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mai 2002 Audience publique du 30 avril 2003

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Recours formé par Monsieur … et Madame … contre une décision du ministre de l’Environnement en matière de protection de la nature

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 10 mai 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Yasmine POOS, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, retraité, et de son épouse, Madame …, sans état particulier, demeurant ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Environnement du 18 mars 2002 leur refusant la délivrance de l’autorisation sollicitée en vue de procéder à la pose d’un câble téléphonique afin de relier leur maison sise à E., au lieu-dit « … », inscrite au cadastre de la commune de X., section C d’E., sous les numéros … au réseau des télécommunications ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Sandra MAROTEL, en remplacement de Maître Yasmine POOS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … et son épouse, Madame …, sont propriétaires, depuis 1994, d’un chalet sis à E. (commune de X.) au lieu-dit « … », situé sur des terrains inscrits sous les numéros cadastraux … de la section C d’E., qui est actuellement situé en zone verte et qui leur sert de résidence secondaire.

Par lettre du 15 novembre 2001, les époux …-… introduisirent auprès du ministre de l’Environnement une demande d’autorisation, dans le cadre de la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, en vue de se faire autoriser « la pose d’un câble souterrain pour ligne téléphonique ».

Il ressort d’un courrier adressé en date du 14 décembre 2001 à Monsieur … par l’entreprise des Postes et Télécommunications que cette entreprise marquait son accord à procéder à l’installation du raccordement téléphonique moyennant paiement des frais extraordinaires y plus amplement spécifiés, en tenant compte du fait que le raccordement téléphonique a pour objet d’alimenter un immeuble situé hors du périmètre d’agglomération.

Il ressort encore dudit courrier que la pose du câble souterrain nécessitera des travaux de terrassement sur une longueur de 150 mètres dont le coût incombera aux époux …-….

En date du 18 mars 2002, le ministre de l’Environnement, sous la signature de son secrétaire d’Etat, refusa de faire droit à cette demande, au motif qu’« il n’y a pas lieu de favoriser l’habitation en dehors des zones spécialement prévues à ces fins par les plans d’aménagement communaux et de réaliser des aménagements dans un site d’une beauté indéniable, site qui déjà fait l’objet de refus de constructions ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mai 2002, les époux …-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 18 mars 2002.

L’article 38 de la loi précitée du 11 août 1982 prévoyant un recours au fond en la matière, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Il s’ensuit que le recours en annulation, introduit à titre subsidiaire, est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

S’il est vrai que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, qui s’est vu notifier le recours sous examen par la voie du greffe en date du 10 mai 2002, n’a pas déposé de mémoire en réponse dans le délai légal, le tribunal est néanmoins amené à statuer à l’égard de toutes les parties à l’instance par application des dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 relative à la procédure à suivre devant les juridictions administratives.

Comme le tribunal n’est pas tenu par la chronologie dans laquelle sont présentés les différents moyens des demandeurs, il échet d’abord d’analyser le moyen invoqué en dernier lieu par les demandeurs et tiré de l’absence d’indication dans la décision de refus des motifs se trouvant à sa base, étant donné que ce moyen a trait à la régularité externe de la décision litigieuse, l’examen de ladite régularité devant nécessairement précéder celui de la légalité interne de celle-ci. Dans le cadre de ce moyen, les demandeurs reprochent plus particulièrement au ministre de l’Environnement de ne pas avoir expliqué en quoi l’installation du câble téléphonique souterrain porterait préjudice à l’environnement.

Ledit moyen d’annulation est cependant à écarter, étant donné que, même en admettant que le reproche soit justifié, le défaut d’indication des motifs ne constitue pas une cause d’annulation de la décision ministérielle prise, pareille omission d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir. En effet, au vœu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, la motivation expresse d’une décision administrative peut se limiter à un énoncé sommaire de son contenu et il suffit, pour qu’un acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment de la prise de décision, quitte à ce que l’administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours de la procédure contentieuse.

En l’espèce, il se dégage de la décision litigieuse du 18 mars 2002 que l’autorisation sollicitée a été refusée pour trois motifs différents, qui ont d’ailleurs été clairement identifiés par les demandeurs dans leur requête introductive d’instance, basés, d’une part, sur l’intention y exprimée par le ministre de l’Environnement de ne pas favoriser l’habitation en dehors des zones spécialement prévues à ces fins par des plans d’aménagement communaux, d’autre part, sur son refus de réaliser la pose d’une conduite souterraine comportant un câble téléphonique, en raison du fait qu’un tel aménagement porterait atteinte à la beauté d’un site et, de troisième part, sur le fait que le site en question aurait déjà fait l’objet de plusieurs refus d’autres constructions.

Il s’ensuit que non seulement le ministre a indiqué, dans sa décision de refus, même si ce n’est que d’une manière sommaire, les motifs se trouvant à la base de la décision sous analyse, mais en outre que les demandeurs n’ont pas pu se méprendre sur la portée de la décision querellée, en ce qu’ils ont en outre été en mesure de prendre position, dans leur requête introductive, sur les différents motifs de refus de l’autorisation sollicitée par eux.

Quant au premier motif de refus basé sur l’intention du ministre de ne pas encourager l’habitation en dehors des périmètres d’agglomération, les demandeurs estiment qu’un tel motif serait illégal, en ce qu’il sortirait du champ d’application de la loi précitée du 11 août 1982. Pour le surplus, ils reprochent au ministre d’avoir commis une appréciation erronée des éléments du dossier, étant donné que le chalet servirait d’ores et déjà à l’habitation en tant que résidence secondaire. Enfin, ils soutiennent que le ministre aurait commis une fausse application de la législation en matière de protection de l’environnement, en ce que celle-ci ne l’autoriserait pas « à empêcher les citoyens d’habiter de manière permanente [dans] leur maison pour la seule raison que le terrain sur lequel le chalet a été construit a été classé en zone verte postérieurement à la construction ».

Il est constant en cause que le chalet des demandeurs situé à E.. au lieu-dit « … » a été légalement construit avant l’entrée en vigueur des lois relatives à la protection de l’environnement et que par la suite, du fait du classement des terrains en zone verte, ils se trouvent actuellement dans une zone qui n’est pas destinée à la construction de maisons d’habitation. Par ailleurs, d’après les déclarations des demandeurs, le chalet leur sert actuellement de résidence secondaire.

Par lettre du 15 novembre 2001, les demandeurs ont sollicité de la part du ministre de l’Environnement l’autorisation exigée par la loi précitée du 11 août 1982 en vue de la pose d’un câble souterrain permettant de raccorder leur chalet au réseau téléphonique de l’entreprise des Postes et Télécommunications. Partant, le tribunal administratif est exclusivement saisi d’un litige portant sur l’installation d’une ligne téléphonique, qui a été refusée par la décision ministérielle déférée, et il n’a pas à analyser, dans le cadre de ce litige, la légalité de prétendus travaux de modification et d’agrandissement ou d’aménagement du chalet des demandeurs.

Il y a partant lieu d’écarter en premier lieu le motif basé sur le fait que le « site » en question aurait déjà fait l’objet d’autres refus portant sur d’autres constructions à aménager ou aménagées sur les terrains litigieux, étant donné qu’un tel motif, d’ailleurs non prévu par la loi précitée du 11 août 1982, n’est pas de nature à justifier le refus d’aménager une ligne téléphonique souterraine afin de raccorder le chalet en question au réseau téléphonique de l’entreprise des Postes et Télécommunications.

En ce qui concerne plus particulièrement le premier motif de refus de l’autorisation litigieuse, il échet de rappeler qu’au vœu de l’article 3 de la loi précitée du 11 août 1982, les installations de communications à installer en zone verte sont soumises à l’autorisation du ministre ayant dans ses attributions l’administration des Eaux et Forêts, ainsi que du ministre ayant dans ses attributions l’administration de l’Environnement. Comme à l’heure actuelle, le ministre de l’Environnement a dans ses attributions les deux administrations en question, il est dès lors compétent en la matière en vue de la délivrance de l’autorisation légalement requise.

Dans le cadre des compétences qui sont ainsi dévolues au ministre de l’Environnement, celui-ci devra tenir compte des objectifs tels que fixés par la loi précitée du 11 août 1982. Conformément à l’article 1er de cette loi, il devra avoir pour objectif « la sauvegarde du caractère, de la diversité et de l’intégrité de l’environnement naturel, la protection et la restauration des paysages et des espaces naturels, la protection de la flore et de la faune et de leurs biotopes, le maintien et l’amélioration des équilibres biologiques, la protection des ressources naturelles contre toutes les dégradations et l’amélioration des structures de l’environnement naturel ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 36 de la même loi « les autorisations requises (…) sont refusées lorsque les projets du requérant sont de nature à porter préjudice à la beauté et au caractère du paysage ou s’ils constituent un danger pour la conservation du sol, du sous-

sol, des eaux, de l’atmosphère, de la flore, de la faune ou du milieu naturel en général ou lorsqu’ils sont contraires à l’objectif général de la présente loi tel qu’il est défini à l’article 1er ».

En l’espèce, le ministre de l’Environnement, en refusant l’installation de ladite ligne téléphonique souterraine au motif qu’il n’y aurait pas lieu de favoriser l’habitation en dehors des périmètres d’agglomération, s’est basé sur un motif de refus non légalement prévu par la loi dans le cadre de laquelle il a nécessairement dû prendre la décision litigieuse. L’illégalité de ce motif étant ainsi constatée, il s’ensuit que la décision ne saurait valablement se justifier sur base de celui-ci.

En ce qui concerne enfin le troisième motif de refus basé sur la beauté « indéniable » du site dans lequel la pose dudit câble souterrain devra avoir lieu, les demandeurs soutiennent que l’installation de ladite ligne téléphonique ne serait pas de nature à causer un quelconque trouble à la beauté de la nature en ce qu’elle serait souterraine et partant invisible. Pour le surplus, l’installation d’une telle ligne téléphonique ne constituerait aucun danger pour l’environnement naturel.

Il échet tout d’abord de constater, en l’absence d’une quelconque prise de position du gouvernement dans le cadre de la présente instance, et sur base de la décision précitée du 18 mars 2002, constituant la seule pièce émanant du gouvernement qui se trouve à la disposition du tribunal, qu’il n’en ressort en aucune manière en quoi l’installation souterraine d’une ligne téléphonique risquerait de contrevenir aux articles 1er et 36 de la loi précitée du 11 août 1982.

Ainsi, il ne ressort d’aucun élément du dossier en quoi l’installation de cette ligne téléphonique risquerait de porter préjudice à la beauté et au caractère du paysage ou constituerait un danger pour la conservation du sol, du sous-sol, de la flore ou du milieu naturel en général.

Il se dégage au contraire d’un extrait du plan cadastral versé par les demandeurs à l’appui de leur requête que la ligne téléphonique souterraine est projetée aux abords immédiats d’un chemin rural menant aux terrains litigieux, en se situant plus particulièrement sur l’accotement de ce chemin, sur une longueur de 150 mètres.

Il se dégage ainsi des pièces et éléments du dossier que la pose de cette ligne téléphonique souterraine ne viole pas les articles 1er et 36 de la loi précitée de 1982, étant donné qu’elle n’est pas de nature à porter préjudice à la beauté et au caractère du paysage et qu’elle ne constitue pas un danger pour la conservation du sol, du sous-sol, de la flore ou du milieu naturel en général.

S’il est vrai qu’en vertu de l’article 7 de la loi précitée du 11 août 1982, une autorisation doit être obtenue de la part du ministre de l’Environnement au cas où des constructions existantes, se trouvant dans la zone verte, seront modifiées extérieurement, agrandies ou reconstruites, il y a lieu de rappeler que la présente instance concerne exclusivement une autorisation sollicitée de la part du ministre de l’Environnement en vue de l’installation d’une ligne téléphonique et du raccordement du chalet des demandeurs au réseau téléphonique de l’entreprise des Postes et Télécommunications et que la décision déférée porte exclusivement refus de l’installation d’une telle ligne téléphonique souterraine. Le tribunal administratif n’est partant pas saisi d’un litige portant sur d’éventuels autres travaux ou aménagements prévus ou effectués sur les terrains en question.

La pose d’une ligne téléphonique ne pouvant jamais être une fin en soi, en ce qu’elle constitue nécessairement un accessoire par rapport à l’objet à raccorder au réseau téléphonique de l’entreprise des Postes et Télécommunications, il y a encore lieu de prendre en considération l’existence légale de cet objet dans la mesure et dans la limite de la compétence d’attribution du ministre de l’Environnement.

En l’espèce, la pose de la conduite souterraine a pour objet de raccorder au réseau des Postes et Télécommunications le chalet des demandeurs, situé en zone verte et tombant partant dans le champ de compétence du ministre de l’Environnement. Comme il a été retenu ci-avant, le chalet sert à des fins d’habitation, quoi qu’occasionnelles, depuis sa construction datant d’avant l’entrée en vigueur des lois en matière de protection de l’environnement. La construction en question, abstraction faite de différents aménagements critiqués, dont le tribunal n’est pas saisi dans le cadre des présentes, ainsi que l’utilisation qui en est faite, sont partant conformes aux dispositions légales et réglementaires applicables.

De nos jours, il est légitime, sur base des standards de confort moderne, de vouloir raccorder un chalet à un réseau de télécommunications, même s’il ne sert qu’à des fins de résidence secondaire.

Le fait que d’autres aménagements prévus ou réalisés sur les terrains litigieux aient été effectués sans que les propriétaires ne soient en possession des autorisations légalement requises est sans incidence en l’espèce, étant donné que déjà avant l’exécution de ces travaux, la maison pouvait légalement servir de local d’habitation.

Il suit des considérations qui précèdent que le ministre de l’Environnement a commis une erreur d’appréciation des faits en invoquant en outre des motifs illégaux pour justifier la décision sous analyse et celle-ci est partant à réformer en autorisant les demandeurs à procéder à l’installation d’un câble souterrain, pour raccorder leur chalet au réseau des télécommunications de l’entreprise des Postes et Télécommunications, le long du chemin rural à E.. sur une longueur approximative de 150 mètres.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant, par réformation de la décision ministérielle déférée du 18 mars 2002, autorise l’installation souterraine d’un câble pour raccorder le chalet des demandeurs situé à E..

(commune de X.) au réseau des télécommunications de l’entreprise des Postes et Télécommunications, suivant les plans soumis au tribunal dans le cadre de la présente instance ;

dit que les travaux afférents sont à effectuer sous le contrôle de l’administration de l’Environnement et suivant les prescriptions techniques à fixer le cas échéant par celle-ci ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 30 avril 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14887
Date de la décision : 30/04/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-04-30;14887 ?

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