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28/04/2003 | LUXEMBOURG | N°15440

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 avril 2003, 15440


Tribunal administratif N° 15440 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 octobre 2002 Audience publique du 28 avril 2003

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, … (F) contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15440 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de lâ

€™Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité française, et de son épouse Madam...

Tribunal administratif N° 15440 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 octobre 2002 Audience publique du 28 avril 2003

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, … (F) contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15440 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité française, et de son épouse Madame …, de nationalité marocaine, les deux demeurant ensemble à F-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 16 juillet 2002 portant refus dans le chef de Madame … d’un permis de travail par elle sollicité ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée du 16 juillet 2002 ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en ses plaidoiries.

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Suivant déclaration entrée le 18 avril 2002 à l’administration de l’Emploi, la société … s.à r.l., avec siège social à L-…, introduisit une demande en obtention d’un permis de travail, pour un poste de serveuse, en faveur de Madame …, préqualifiée.

Par décision du 16 juillet 2002, le ministre du Travail et de l’Emploi refusa le permis de travail en motivant sa décision de la façon suivante :

« Article 1er.- Le permis de travail est refusé à …, né(e) le…, de nationalité marocaine, pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - occupation irrégulière depuis le 29.03.2002 (…) ».

Par requête déposée le 9 octobre 2002, les époux …-… ont introduit un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 16 juillet 2002.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs soutiennent en premier lieu que le droit communautaire, et plus précisément l’article 39 (ex 48) du traité instituant les communautés européennes, instaurerait un droit pour tout ressortissant d’un Etat membre d’accéder à un emploi stable dans un Etat membre autre que celui dont il est ressortissant et que l’article 11 du règlement communautaire n° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la communauté étendrait ce droit aux membres de la famille dudit travailleur, de sorte que Madame …, eu égard au fait que son mari exerce actuellement une activité salariale au Luxembourg, devrait accéder au marché de l’emploi luxembourgeois au même titre qu’un ressortissant communautaire sans devoir se soumettre « à la procédure du permis de travail instaurée par le règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-

Duché de Luxembourg ».

Dans un ordre d’idée subsidiaire, les demandeurs font valoir que la motivation d’une décision ministérielle ne saurait consister dans des formules standards et se limiter à reprendre de façon abstraite les motifs prévus par la loi, sans autre précision ayant trait à la situation d’étranger non-communautaire dans le chef de Madame … mariée à une personne ayant la nationalité française et « aux éléments objectifs tirés du marché de l’emploi ».

Les demandeurs estiment ensuite que le refus d’accorder un permis de travail à Madame … serait encore contraire à l’esprit des dispositions communautaires et nationales imposant un devoir d’assistance mutuelle aux époux, à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme promouvant la vie familiale au sens large, à la Convention relative aux règles d’admission des ressortissants de pays tiers dans les Etats membres et à l’Accord de coopération du 27 avril 1976 signé avec le Maroc.

Finalement et pour autant que de besoin, les demandeurs sollicitent au dispositif de leur requête la saisine de la Cour de Justice des Communautés européennes avec la question préjudicielle suivante : « Une ressortissante d’un pays tiers à la Communauté européenne, mariée à un ressortissant communautaire, et bénéficiaire du statut de travailleur frontalier peut-elle obtenir le bénéfice de la libre circulation des travailleurs telle qu’elle résulte de l’article 11 du règlement CEE n° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté où son conjoint travaille ».

Le tribunal n’étant pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt de l’administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, pouvant les traiter suivant un ordre différent (cf. trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas.

adm. 2002, V° Procédure contentieuse, n° 134), il convient en premier lieu d’examiner le moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée.

En l’absence d’une prise de position quant à ce moyen par le délégué du gouvernement, il échet néanmoins de conclure au rejet de ce moyen.

En effet, en application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base.

La motivation expresse d’une décision peut se limiter, conformément à l’article 6 précité, à un énoncé sommaire de son contenu, et il suffit en l’occurrence, pour que l’acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment du refus.

En l’espèce, l’arrêté ministériel attaqué du 16 juillet 2002 énonce 4 motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, de manière à suffire aux exigences de l’article 6 précité, et les demandeurs n’ont pas pu se méprendre sur la porté à attribuer à la décision litigieuse.

Aux termes de l’article 11 du règlement communautaire précité n° 1612/68 du Conseil « le conjoint et les enfants de moins de 21 ans ou à charge d’un ressortissant d’un Etat membre exerçant sur le territoire d’un Etat membre une activité salariée ou non salariée, ont le droit d’accéder à toute activité salariée sur l’ensemble du territoire de ce même Etat, même s’ils n’ont pas la nationalité d’un Etat membre ».

Les droits que confèrent les articles 10 et 11 du règlement 1612/68 au conjoint du travailleur migrant sont liés à ceux que détient ce travailleur en vertu de l’article 39 (ex 48) du Traité et des articles 1er et suivants du règlement. Dans la mesure où le conjoint peut invoquer ces droits dérivés et où ces droits impliquent l’accès à des activités salariées conformément à l’article 11, ces activités doivent pouvoir être exercées dans les mêmes conditions que le travailleur, titulaire du droit à la libre circulation, exerce les siennes. L’article 3, paragraphe 1, du règlement impose pour autant aux autorités de l’Etat membre d’accueil d’appliquer un traitement non discriminatoire à ce conjoint. Le « traitement national » dont bénéficient à cet égard les travailleurs des Etats membres est ainsi étendu à leurs conjoints (cf. CJCE, arrêt 131/85 du 7 mai 1986, n° 20).

Ledit article 11 institue partant un droit au profit du conjoint du travailleur, bénéficiaire de la libre circulation, d’accéder à toute activité salariée dans l’Etat membre où ledit travailleur communautaire exerce sa propre activité salariée ou non salariée et ledit droit dérivé confère ainsi un droit à un traitement national pour l’accès à l’activité salariée.

L’existence du droit dérivé du conjoint est cependant conditionnée par la nécessité d’un facteur de rattachement avec une situation envisagée par le droit communautaire, en l’occurrence une circulation intra-communautaire d’un travailleur ressortissant d’un autre Etat membre des communautés (cf. trib. adm. 7 juin 2001, n° 12703 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Travail, n° 53).

Or, force est de constater que cette condition est remplie en l’espèce, étant donné qu’il est constant en cause que Madame … est mariée depuis le 3 mars 2001 avec Monsieur …, ressortissant français, qui travaille depuis le 1er juillet 1993 au moins au Grand-Duché de Luxembourg en tant qu’employé de banque.

Cette conclusion ne saurait être énervée par le fait que Monsieur … ne réside pas au Grand-Duché de Luxembourg, mais y travaille en tant que « frontalier », étant donné que l’exigence supplémentaire du critère de résidence ne se dégage pas de l’article 11 du règlement communautaire précité n° 1612/68.

Il s’ensuit que Madame … n’avait pas besoin d’un permis de travail pour l’exercice de l’activité salariée de serveuse auprès de la société … s.à r.l. et que sa soumission, par le ministre du Travail et de l’Emploi, aux dispositions nationales relatives aux étrangers ne disposant pas de droits assimilés aux droits des ressortissants nationaux, était illégale, car contraire au droit communautaire.

Par conséquent la décision ministérielle encourt l’annulation en ce qu’elle tend à restreindre le droit dérivé de Madame … d’accéder à toute activité salariée dans l’Etat membre où son conjoint exerce sa liberté de circulation.

La décision ministérielle litigieuse encourant l’annulation sur base des considérations qui précèdent, il n’y a pas lieu d’examiner les autres moyens et arguments développés par les demandeurs, cet examen devenant surabondant.

Nonobstant le fait que l’Etat, quoique valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance des demandeurs, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant annule la décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 16 juillet 2002 ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 28 avril 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15440
Date de la décision : 28/04/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-04-28;15440 ?

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