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28/04/2003 | LUXEMBOURG | N°15329

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 avril 2003, 15329


Tribunal administratif N° 15329 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 septembre 2002 Audience publique du 28 avril 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour et de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15329 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le

5 septembre 2002 par Maître Claude DERBAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoc...

Tribunal administratif N° 15329 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 septembre 2002 Audience publique du 28 avril 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour et de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15329 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 septembre 2002 par Maître Claude DERBAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité tunésienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi le 19 mars 2002, portant refus d’une autorisation de séjour et d’un permis de travail dans son chef, ainsi que d’une décision confirmative des mêmes ministres du 29 mai 2002 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2003 par Maître Claude DERBAL au nom du demandeur ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Claude DERBAL et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 février 2003.

En date du 13 juillet 2001, Monsieur … introduisit une demande de régularisation dans le cadre de la procédure dite de « régularisation » des étrangers en situation irrégulière sur le territoire » s’étant étendue du 15 mai au 13 juillet 2001, auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, établi dans la zone d’activité « Cloche d’Or », 5, rue G. Kroll, L-2149 Luxembourg, ci-après dénommé « le service commun ».

Cette demande fut introduite sur base d’un formulaire établi par les trois ministères prévisés dans le cadre de la procédure dite de « régularisation », le demandeur ayant déclaré appartenir à la catégorie « C » telle qu’énoncée à la brochure concernant la procédure de régularisation de certaines catégories de personnes étrangères en situation irrégulière et visant plus particulièrement les personnes « résidant de façon ininterrompue au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er juillet 1998 au moins ».

Après avoir demandé à Monsieur … de compléter sa demande par des pièces prouvant son séjour au Grand-Duché de Luxembourg pendant la période du 1er juillet 1998 au 13 juillet 2001, le ministre de la Justice, d’une part, et le ministre du Travail et de l’Emploi, d’autre part, ont adressé, par courrier datant du 19 mars 2002 une décision par laquelle sa demande fut rejetée dans les termes suivants :

« Suite à l’examen de la demande en obtention d’une autorisation de séjour que vous avez déposée en date du 13 juillet 2001 auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, nous sommes au regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de faire droit à votre demande.

En effet, selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l’étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Comme vous ne remplissez pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.

Par ailleurs, le dossier tel qu’il a été soumis au service commun ne permet pas au Gouvernement de vous accorder la faveur d’une autorisation de séjour ».

Par la même décision, il fut invité à quitter le Luxembourg dans un délai d’un mois.

Par courrier de son mandataire datant du 30 avril 2002, Monsieur … a fait introduire auprès des ministres de la Justice, du Travail et de l’Emploi et de la Famille un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 19 mars 2002 en faisant valoir qu’il a trouvé entre-temps une personne disposée à l’employer à plein temps en qualité d’ouvrier agricole, contrairement au contrat d’emploi à temps partiel dont il disposait au moment de la présentation de sa demande de régularisation. Il sollicita ainsi une reconsidération de sa situation financière et l’octroi d’une autorisation de séjour et d’un permis de travail.

Par un courrier datant du 29 mai 2002, les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi informèrent le mandataire de Monsieur … qu’après avoir procédé au réexamen du dossier, ils ne sauraient réserver une suite favorable à sa demande.

Après avoir insisté auprès des ministres concernés par des courriers datant respectivement des 19 juin et 27 août 2002 sur l’existence d’un contrat d’emploi à temps plein dans son chef qui serait constitutif d’un élément nouveau au dossier par rapport au contrat de travail initialement soumis à l’appui de sa demande de régularisation et ayant justifié la décision initiale de refus, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision prévisée du 19 mars 2002, ainsi que, pour autant que de besoin, de celle confirmative de ce refus datée du 29 mai 2002 par laquelle le permis de travail et l’autorisation de séjour lui ont été refusés.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur soutient que les décisions litigieuses véhiculeraient à la fois le refus de délivrance d’un permis de travail et d’une autorisation de séjour pour émaner des ministres respectivement compétents à cet égard.

Le délégué du Gouvernement rétorque que les décisions litigieuses concerneraient le seul refus de l’autorisation de séjour sur base tant de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, que des critères posés par la procédure dite de régularisation et que si le demandeur avait certes joint à sa demande une déclaration d’engagement, celle-ci serait néanmoins irrelevante, étant donné que la preuve de son séjour ininterrompu au pays depuis le 1er juillet 1998 ne serait pas rapportée en l’espèce.

S’il est certes vrai que le demandeur s’est prévalu dans sa demande de régularisation de la catégorie C fondée sur la seule durée du séjour au pays et que la décision déférée du 19 mars 2002 se réfère expressément à l’examen « de la demande en obtention d’une autorisation de séjour », force est de constater au vu des pièces versées au dossier et plus particulièrement des précisions apportées par le demandeur dans le cadre de son recours gracieux dirigé contre ladite décision, que la demande de celui-ci a tendu manifestement à la délivrance d’une autorisation de séjour et d’un permis de travail, le demandeur ayant clairement exprimé cette volonté pour le moins dans son recours gracieux qu’il a par ailleurs adressé aux deux ministres respectivement compétents dans les matières concernées, de sorte que ces derniers, auteurs de la décision confirmative également déférée du 29 mai 2002, n’ont pas pu se méprendre sur l’objet de la demande leur adressée, ceci eu égard notamment au libellé et aux pièces versées à l’appui du recours gracieux du demandeur.

1. Quant au refus de délivrance d’un permis de travail Conformément aux dispositions de l’article 8 du règlement grand-ducal modifiée du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, le permis de travail est délivré, refusé ou retiré par le ministre du Travail ou son délégué sur avis de la commission prévue à l’article 7bis dudit règlement et sur avis de l’administration de l’Emploi, étant entendu que les deux avis ainsi visés prennent notamment en considération la situation, l’évolution ou l’organisation du marché de l’emploi.

Force est de constater que le dossier tel que soumis au tribunal ne renseigne ni la régularité de la procédure ainsi prévue, ni encore un motif de refus basé sur la situation, l’évolution ou l’organisation du marché de l’emploi luxembourgeois, de sorte qu’en l’absence de ces éléments et plus particulièrement d’une motivation plus exhaustive de la décision litigieuse quant au volet du refus du permis de travail sous examen, il y a lieu d’annuler la décision litigieuse du ministre du Travail et de l’Emploi refusant le permis de travail au demandeur pour défaut de motivation valable.

Cette conclusion ne saurait être énervée par la considération avancée par le délégué du Gouvernement basée sur le fait que lors de l’introduction de sa demande de régularisation, le demandeur avait uniquement coché la case sub C) de la brochure, étant donné que toute autorité administrative est tenue d’appliquer d’office le droit applicable à l’affaire dont elle est saisie et qu’il appartient à l’administration de dégager les règles applicables et de faire bénéficier l’administré de la règle la plus favorable (cf. trib. adm. 13 décembre 2000, n° 12093 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 10), étant entendu qu’au plus tard lors du réexamen du dossier sur recours gracieux, le ministre du Travail signataire de la décision confirmative du 29 mai 2002, n’a pas pu se méprendre sur l’objet de la demande lui adressée.

2. Quant au refus de délivrance d’une autorisation de séjour Le demandeur fait exposer qu’à travers la procédure dite de régularisation le Gouvernement aurait entendu, à titre exceptionnel, délivrer des autorisations de travail et de séjour en s’écartant des modalités appliquées normalement sur base de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, de sorte que la motivation à la base de la décision litigieuse serait inexacte, faute de se mouvoir dans le cadre des critères établis par la brochure dite de régularisation. Il fait exposer plus particulièrement à cet égard qu’en tout état de cause, l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée énumérerait les seuls cas de figure dans lesquels une autorisation de séjour peut être refusée à l’étranger, sans disposer que dans ces cas l’autorisation de séjour devrait nécessairement être refusée, de manière à définir en réalité, par raisonnement a contrario, les hypothèses dans lesquelles le ministre de la Justice ne pourrait pas refuser l’autorisation, étant entendu que la disposition légale ainsi invoquée ne signifierait pas pour autant que le ministre ne puisse pas également délivrer une autorisation de séjour dans le cas où il aurait, en principe, la faculté de prononcer un refus. Estimant que ce serait dans l’optique du pouvoir discrétionnaire dont se trouverait ainsi investi le ministre de la Justice en la matière, en étant légalement habilité à délivrer une autorisation de séjour hors les conditions posées par l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, qu’il se serait fixé, à travers la procédure dite de régularisation et les critères publiquement annoncés dans ce contexte, de ne pas refuser une autorisation de séjour à un étranger se trouvant dans l’une des sept situations administratives reprises dans la brochure qu’il a diffusée.

Se prévalant des principes de confiance légitime et de sécurité juridique, ainsi que d’égalité de traitement des administrés, dictant que l’administration devrait se tenir aux règles qu’elle s’est même fixées, le demandeur, estimant remplir les critères énoncés pour la régularisation par le travail, conclut partant à l’annulation de la décision litigieuse.

Il y a lieu d’admettre à partir des indices concordants se dégageant du dossier tel que soumis au tribunal que la demande à la base de la décision ministérielle litigieuse avait pour objet la régularisation de la situation du demandeur par le travail sur base des critères énoncés dans la brochure dite de régularisation versée en copie au dossier.

Force est cependant de constater qu’il ne résulte d’aucun élément des décisions ministérielles déférées, que cette demande a été examinée sur base des conditions de régularisation par le Travail publiées dans la brochure éditée par les ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice, ainsi que de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, mais qu’elles indiquent uniquement que l’autorisation de séjour sollicitée est refusée pour un des motifs prévus par l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, à savoir le défaut de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de séjour au Luxembourg.

Encore que le délégué du Gouvernement a complété la motivation à la base de la décision de refus déférée en se prévalant des critères posés par la procédure dite de régularisation, il n’en reste pas moins que la motivation complémentaire ainsi avancée en cause n’a pas trait aux critères de régularisation par le travail, de manière à ne pas rencontrer utilement la demande présentée par Monsieur …, telle que précisée notamment à travers son recours gracieux.

Or, comme l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée se limite à énoncer un motif de refus facultatif, de manière à opérer uniquement une restriction au niveau des possibilités accordées au ministre de la Justice pour refuser une autorisation de séjour, sans pour autant se prononcer sur l’étendue du pouvoir du ministre de la Justice en matière d’octroi d’une autorisation de séjour, le ministre de la Justice, en ce qu’il a participé à l’élaboration de certaines lignes de conduite destinées à limiter et à préciser le contenu du cadre légal tracé en matière d’octroi d’une autorisation de séjour pendant une durée déterminée à l’avance à travers les critères publiquement énoncés dans la brochure dite de régularisation, n’a pas motivé à suffisance de droit et de fait la décision litigieuse par la seule référence à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, faute de préciser les raisons l’ayant amené à ne pas appliquer dans le chef du demandeur les critères de la régularisation par le travail publiquement annoncés (cf. Cour adm. 12.11.2002, n° 15102C du rôle, et 25.3.2003, n° 15902C du rôle, non encore publiés).

La motivation à la base de la décision litigieuse n’ayant pas été utilement complétée en cours d’instance contentieuse, il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision déférée du ministre de la Justice encourt également l’annulation pour défaut de motivation valable.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant annule les décisions déférées des ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi du 19 mars 2002 telles que confirmées en date du 29 mai 2002 et leur renvoie le dossier en prosécution de cause quant au volet respectivement concerné par chacun d’eux ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 avril 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15329
Date de la décision : 28/04/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-04-28;15329 ?

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