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28/04/2003 | LUXEMBOURG | N°15312

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 avril 2003, 15312


Tribunal administratif N° 15312 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 septembre 2002 Audience publique du 28 avril 2003

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consort, … contre une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15312 du rôle et déposée au greffe du tribunal ad

ministratif le 2 septembre 2002 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre ...

Tribunal administratif N° 15312 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 septembre 2002 Audience publique du 28 avril 2003

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consort, … contre une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15312 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2002 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né … Guinée-Bissau, et de son épouse, Madame …, née le … Guinée-Bissau, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant commun … …, né le … (Portugal), demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi le 25 octobre 2002 par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en obtention d’une autorisation de séjour et de travail et d’une décision confirmative du ministre de la Justice du 29 mai 2002 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 décembre 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2003 par Maître Guy THOMAS au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Guy THOMAS et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 février 2003.

Les époux … et … ainsi que leur enfant commun … … se sont établis au Luxembourg en 1998 sous le couvert de documents d’identité portugais qui se sont avérés falsifiés par la suite. En date respectivement des 3 avril et 14 juin 2001, le ministre de la Justice a pris un arrêté de refus d’entrée et de séjour à l’encontre des intéressés aux motifs suivants :

« - usage de pièces d’identité et de voyage falsifiées ;

- défaut de moyens d’existence personnels ;

- constitue par son comportement personnel un danger pour l’ordre public ».

En date du 13 juillet 2001, les consorts …-… ont introduit une demande de régularisation dans le cadre de la procédure dite « de régularisation » des étrangers en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois s’étant entendue du 15 mai au 13 juillet 2001.

Cette demande fut refusée par courrier datant du 25 octobre 2001 signé par le ministre de la Justice d’une part et le ministre du Travail et de l’Emploi d’autre part au motif que « selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour peut être refusée à l’étranger qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics.

Comme il a été constaté sur base de votre dossier administratif que cette disposition est applicable dans votre cas, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.

Par ailleurs, le dossier tel qu’il a été soumis au service commun ne permet pas au Gouvernement de vous accorder la faveur d’une autorisation de séjour. » Par la même décision ils furent invités à quitter le Luxembourg dans un délai d’un mois.

Le recours gracieux introduit par les consorts …-… par courrier de leur mandataire datant du 2 mars 2002 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée s’étant soldé par une décision confirmative émanant du ministre de la Justice et datant du 29 mai 2002, les consorts …-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 25 octobre 2001 et 29 mai 2002 par requête déposée en date du 2 septembre 2002.

Encore que les demandeurs soutiennent que la décision litigieuse véhiculerait à la fois le refus de délivrance d’un permis de travail et d’une autorisation de séjour pour émaner des ministres respectivement compétents à cet égard, force est de constater au vu des pièces versées au dossier et plus particulièrement du libellé-même de la décision litigieuse que celle-ci ne comporte aucun élément permettant de retenir qu’elle aurait pour objet le refus de délivrance d’un permis de travail, ladite décision se référant au contraire expressément à l’examen « de la demande en obtention d’une autorisation de séjour » que les demandeurs avaient déposée en date du 13 juillet 2001 auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, de sorte que la seule apposition de la signature du ministre du Travail et de l’Emploi à côté de celle du ministre compétent en la matière directement visée par ladite décision, en l’occurrence le ministre de la Justice, ne saurait suffire pour étendre son objet au-delà de celui y expressément renseigné.

Dans la mesure où ni la loi prévisée du 28 mars 1972, ni aucune autre disposition légale, n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Les demandeurs concluent d’abord à l’annulation des décisions déférées pour défaut de motivation suffisante, en ce qu’elles ne préciseraient pas en quoi ils seraient susceptible de troubler la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics. Ils ajoutent à cet égard que le principe d’égalité des armes serait violé dans l’hypothèse où il serait permis à la partie défenderesse de compléter en cours d’instance les moyens invoqués à l’appui de la décision litigieuse, sans permettre à l’autre partie d’en faire de même, étant donné que la jurisprudence actuelle des juridictions administratives interdirait en principe à la partie demanderesse de compléter sa requête introductive d’instance par de nouveaux moyens de droit.

Dans le cadre d’un recours en annulation, la juridiction administrative est appelée à contrôler également les motifs complémentaires lui soumis par la partie ayant pris la décision déférée en cours de procédure contentieuse via son mandataire (cf. trib. adm. 15 avril 1997, n° 9510 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 44 et autres références y citées, p. 431), étant entendu qu’en l’espèce le motif de refus énoncé dans la décision litigieuse, en l’occurrence la susceptibilité dans le chef des demandeurs de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, a simplement été explicité par le délégué du Gouvernement dans son mémoire en réponse en ce qu’il y a précisé que c’est l’usage fait par les demandeurs d’une carte d’identité portugaise falsifiée que le ministre a visé et que, eu égard au fait que les demandeurs disposaient et ont usé de leur droit de répliquer au mémoire en réponse fourni par le délégué du Gouvernement, aucune lésion afférente de leurs droits de la défense ne saurait être utilement retenue en l’espèce.

Au fond, les demandeurs se réfèrent à la procédure dite de régularisation de certaines catégories d’étrangers séjournant irrégulièrement sur le territoire national mais ayant travaillé depuis le 1er janvier 2000, ainsi que des demandeurs d’asile qui seraient arrivés au Luxembourg avant le 1er juillet 1998, pour soutenir qu’ils rempliraient la condition d’un emploi salarié depuis le 1er janvier 2000, Monsieur … ayant en effet disposé d’un emploi salarié depuis le 29 avril 1998 tandis que son épouse est arrivée au pays 5 mois après et a travaillé depuis le 4 mai 2000.

Les demandeurs font valoir plus particulièrement que l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère invoqué à la base de la décision litigieuse laisserait intact un pouvoir d’appréciation extrêmement large dans le chef du ministre de la Justice pour délivrer des autorisations de séjour et que, ledit article énonçant uniquement des hypothèses dans lesquelles l’autorisation de séjour pourra être refusée, le ministre ne commettrait aucune illégalité en délivrant une autorisation de séjour alors même qu’il pourrait en refuser la délivrance sur base dudit article 2. Ainsi, en présence des critères spéciaux prévus par la procédure de régularisation que le Gouvernement s’est fixés lui-même « dans le strict cadre de la légalité et dans le plein exercice de son pouvoir discrétionnaire et qu’il a rendu publiques tant devant la chambre des députés que par la voie de la presse écrite et parlée, mais également moyennant un formulaire largement distribué aux personnes intéressées », le ministre de la Justice autant que le ministre du Travail et de l’Emploi devraient s’en tenir aux règles, même informelles, qu’ils se sont ainsi donnés, sous peine de violer les principes d’égalité devant la loi, de non discrimination et de confiance légitime.

Ils font valoir que les décisions déférées seraient dès lors entachées tant d’une illégalité externe, en ce qu’elles ne s’expliqueraient pas sur les raisons de la dérogation retenue aux critères de régularisation, que d’une illégalité interne, étant donné que le motif avancé serait particulièrement peu pertinent en ce qu’il est avancé dans le cadre d’une procédure de régularisation et qu’ils ont par ailleurs vécu et travaillé au sein de l’Union européenne pendant une quinzaine d’années pour le mari respectivement une douzaine d’années pour son épouse, sans avoir jamais eu à faire à la justice, à la seule exception de la possession de documents d’identité qu’il auraient cru valables, mais qui se seraient avérés faux par la suite.

Quant à l’exclusion absolue prévue dans la brochure dite de régularisation de candidats ayant fait usage de faux documents, les demandeurs font valoir que cette exclusion serait trop catégorique, de manière à constituer une atteinte au principe de non discrimination et d’égalité devant la loi et que l’application automatique de cette exclusion serait constitutive d’une erreur manifeste d’appréciation, sinon d’une violation du principe de proportionnalité. Ils relèvent en outre que parmi les cinq catégories d’exclusion prévues dans la régularisation administrative, celle litigieuse vise «la personne ayant par son comportement gravement porté atteinte à l’ordre public », mais qu’en l’espèce, il ne saurait leur être reproché d’avoir gravement porté atteinte à l’ordre public au sens de la disposition ainsi visée, étant donné notamment qu’il ne serait pas établi qu’ils se seraient rendus coupables de la moindre infraction à la loi pendant la durée de leur séjour au pays, voire qu’ils auraient été conscients du fait que les documents qu’ils avaient obtenu au Portugal bien avant de venir séjourner sur le territoire luxembourgeois constituaient des faux.

Les demandeurs font ajouter que « l’usage de faux papiers eu lieu dans le contexte tout à fait spécifique d’une politique gouvernementale refusant systématiquement l’octroi de permis de travail à des demandeurs d’emploi non-

communautaires malgré une forte pénurie de main-d’œuvre dans de larges secteurs économiques du pays tel celui de l’hôtellerie et de la restauration ou des entreprises de nettoyage, dans lequel la requérante a trouvé travail. Cette circonstance s’oppose à ce qu’on puisse leur en tenir grief dans le cadre de la présente procédure de régularisation ».

Tout en rappelant que par définition, une procédure de régularisation est destinée à régulariser, c’est-à-dire à légaliser des situations illégales ou irrégulières par l’octroi des autorisations de séjour ou de travail qui faisaient défaut auparavant pour des raisons tenant fréquemment à une politique d’immigration inadaptée par rapport aux réalités concrètes, les demandeurs s’emparent en outre des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que de la Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par les Nations Unies le 20 novembre 1989 et approuvée par une loi du 20 décembre 1993 pour soutenir que l’intérêt de leur enfant … serait manifestement celuide rester dans notre pays, plutôt que d’être obligé à retourner en Guinée-Bissau où son développement harmonieux ne serait nullement garanti et où il ne disposerait d’aucune attache.

Par ailleurs, les demandeurs soutiennent qu’ils devraient être traités de la même façon que leurs « homologues se trouvant dans la même situation de séjour irrégulier » et que le défaut de ce faire « violerait non seulement le principe constitutionnel de l’égalité de tous devant la loi (article 10bis, paragraphe (1) de notre Constitution pris ensemble avec l’article 111 de la Constitution), mais également de nombreux traités et conventions internationales consacrant les principes universels d’égalité et de non-discrimination, tels que, et sans que cette énumération ne se veuille exhaustive, l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme telle qu’elle a été adoptée et proclamée par l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York, dans sa résolution 217 A (III) du 10.12.1948, par l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 2 de son protocole no 4, par l’article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée Générale des Nations Unies dans sa résolution 2200A (XXI) du 16.12.1966, entré en vigueur le 23.03.1976, l’article 2 de la Convention no 111 de l’Organisation internationale du Travail, (O.I.T.) concernant la discrimination en matière d’emploi et de profession, adoptée le 25 juin 1958 et entrée en vigueur le 15 juin 1960 ».

Le délégué du Gouvernement soutient que les décisions ministérielles de refus seraient justifiées par le fait que les demandeurs avaient fait usage d’une carte d’identité falsifiée et avaient déjà fait chacun l’objet d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour. Il relève en outre que le Gouvernement a pris soin de préciser dans la brochure intitulée « régularisation » que ne peut être régularisée la personne ayant fait usage de documents faux ou falsifiés, de sorte qu’il serait évident, au vu des faits constants en cause, que la décision litigieuse serait non seulement conforme à la loi, mais également aux propres directives que le Gouvernement s’est données dans le cadre de la procédure dite de régularisation.

Dans leur mémoire en réplique les demandeurs font valoir qu’en l’espèce un juste équilibre n’aurait pas été assuré par le Gouvernement entre les intérêts en jeu et qu’il y aurait donc eu disproportion entre les moyens déployés et le but légitime visé, de manière à porter atteinte à leurs droits tels que découlant de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi qu’aux droits de leur enfant … tels que consacrés par la Convention relative aux droits des enfants prévisée.

Les demandeurs critiquent en outre les décisions déférées pour défaut de motivation valable en ce sens que le ministre n’aurait pas examiné leur demande sur base des critères de régularisation.

Il y a lieu de relever à cet égard que la décision litigieuse, en retenant comme l’un des motifs « que le dossier tel que soumis au service commun ne permet pas au Gouvernement de vous accorder la faveur d’une autorisation de séjour », s’est rapportée certes sommairement, mais nécessairement au motif de régularisation invoqué par les demandeurs. Par ailleurs, le délégué du Gouvernement a fourni une motivation plus explicite en cours de procédure contentieuse, de sorte que le moyen d’annulation tiré d’un prétendu défaut de motivation de la décision par rapport aux critères de régularisation est à écarter.

Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger :

- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Il résulte de l’article 2 précité que le ministre de la Justice peut refuser l’autorisation de séjour, entres autres, à l’étranger qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics.

L’application de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 et notamment le motif de refus basé sur un risque d’atteinte à la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, n’est pas tenu en échec par les dispositions spéciales prévues en matière de régularisation.

En effet, s’il est certes vrai qu’à travers la brochure « Régularisation » et la médiatisation étendue afférente, le Gouvernement a formellement et publiquement fait part de son intention de régulariser pour l’avenir certaines catégories d’étrangers séjournant irrégulièrement sur le territoire national, il n'en demeure cependant pas moins que cette procédure de régularisation, faute d’avoir été consacrée dans une loi spéciale dérogatoire au droit commun en la matière, ne saurait en tout état de cause se mouvoir que dans le cadre des dispositions légales applicables en matière d’entrée et de séjour des étrangers, la brochure en question de préciser par ailleurs expressément à cet égard que la régularisation « s’opère conformément aux dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère ».

Il s’ensuit que les critères retenus et publiquement annoncés par le Gouvernement dans le cadre de la campagne de régularisation ne sauraient être valablement invoqués ni par les autorités administratives respectivement compétentes, ni par un justiciable étranger dans le cadre d’un litige ayant pour objet une décision de refus d’octroi d’une autorisation de séjour, que dans la mesure où ces critères s’inscrivent dans le cadre légal en la matière.

En effet, seul le législateur étant habilité à modifier ses propres lois, ni le Gouvernement pris dans son ensemble, ni ses membres respectifs pris individuellement ne peuvent valablement édicter des critères dérogatoires à la loi, sous peine d’excéder leur pouvoir et d’empiéter sur une compétence réservée au pouvoir législatif.

En l’espèce, la partie défenderesse se prévaut au-delà des termes de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée de deux clauses d’exclusion prévues par la brochure dite de régularisation aux termes desquelles ne peut être régularisée « 1) la personne ayant par son comportement gravement porté atteinte à l’ordre public ;

2) la personne ayant fait usage de documents faux ou falsifiés », pour conclure au caractère justifié des décisions déférées.

S’il est certes possible qu’une personne ayant par son comportement « gravement porté atteinte » à l’ordre public, ainsi qu’une personne ayant fait usage de documents faux ou falsifiés peut, le cas échéant et en fonction des circonstances de l’espèce, être considérée comme étant susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics au sens de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, il n’en demeure cependant pas moins que les deux hypothèses ainsi visées, expressément énoncées dans la brochure dite de régularisation comme motifs de refus d’une autorisation de séjour à un étranger candidat à la régularisation, dépassent en sévérité le cadre légal tracé par l’article 2 précité en ce qu’elles érigent en un automatisme l’exclusion y consacrée à partir du simple constat des faits visés.

En effet, tandis que le constat de la susceptibilité de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics repose sur une appréciation de la probabilité d’un certain comportement à l’avenir de l’étranger concerné, laquelle ne saurait se dégager automatiquement du constat d’un usage de faux documents ou falsifiés, voire d’une grave atteinte portée à l’ordre public par le passé, l’application des critères d’exclusion de la régularisation sous examen n’implique aucune appréciation du comportement de l’étranger à l’avenir, de manière à méconnaître les termes et la portée dudit article 2.

En l’espèce, s’ il est certes constant que les demandeurs se sont présentés aux autorités luxembourgeoises sous une fausse nationalité moyennant la production de cartes d’identité portugaises falsifiées et qu’il s’est avéré par la suite qu’ils sont originaires de Guinée-Bissau, de manière à avoir vécu au pays sous le couvert de la citoyenneté communautaire, il n’en demeure cependant pas moins que la gravité de ces faits est fonction notamment du degré de conscience qu’ont eu les personnes concernées du caractère repréhensible de leur comportement. Or, en l’absence de condamnation intervenue pour les faits ainsi invoqués et face aux explications fournies en cause par les demandeurs tendant à faire admettre leur ignorance quant au caractère falsifié des papiers portugais leur remis, ensemble le constat qu’au vu du dossier tel que soumis au tribunal aucun autre reproche que celui ayant trait à l’usage de faux papiers n’a pu être retenu quant à leur comportement, il y a lieu de constater l’absence d’indices suffisants sur base desquels il conviendrait de conclure à l’existence d’un risque sérieux que les demandeurs seraient susceptibles de constituer à l’avenir un danger pour l’ordre et la sécurité publics.

Il s’ensuit que les faits à la base du motif de refus avancé en cause laissent d’être établis à suffisance, de sorte qu’en l’absence d’autres éléments de motivation fournis en cause, les décisions déférées encourent l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant annule les décisions déférées du ministre de la Justice et lui renvoie le dossier en prosécution de cause ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 avril 2003 par :

Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 8


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15312
Date de la décision : 28/04/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-04-28;15312 ?

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