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03/04/2003 | LUXEMBOURG | N°15661

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 avril 2003, 15661


Tribunal administratif N° 15661 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 novembre 2002 Audience publique du 3 avril 2003

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Recours formé par Monsieur …, contre deux décisions prises par le ministre de la Justice en matière d’expulsion

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2002 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né

le … à Itapetinga (Brésil), de nationalité brésilienne, ayant demeuré à L-…, demeurant actuellement ...

Tribunal administratif N° 15661 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 novembre 2002 Audience publique du 3 avril 2003

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Recours formé par Monsieur …, contre deux décisions prises par le ministre de la Justice en matière d’expulsion

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2002 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Itapetinga (Brésil), de nationalité brésilienne, ayant demeuré à L-…, demeurant actuellement à … Batinga (Brésil), … tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 février 2002 par laquelle il a été expulsé du Grand-Duché de Luxembourg, ainsi que d’une décision confirmative implicite, rendue sur recours gracieux du 27 mai 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 février 2003 au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Guy THOMAS, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 7 avril 2000, Monsieur … déposa une demande de carte de séjour pour étrangers à l’administration communale de la Ville de Luxembourg en présentant une carte d’identité portugaise. A la suite de cette demande, une carte d’identité d’étranger référencée sous le numéro 92625 valable jusqu’au 8 mai 2005 lui fut délivrée.

En date du 30 mai 2000 procès-verbal fut dressé à son encontre du chef d’usage d’une pièce d’identité falsifiée et d’infractions à la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.

l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

Dans un rapport du 16 juin 2000, la police de Luxembourg informa alors le ministre de la Justice que lors d’une perquisition au domicile de Monsieur …, celui-ci a fait usage d’une carte d’identité portugaise falsifiée, en l’occurrence celle par lui présentée à la commune sur base de laquelle la carte de séjour prévisée pour citoyens communautaires lui avait été délivrée, tout en signalant que l’intéressé était en fait de nationalité brésilienne.

Monsieur … retourna ensuite volontairement au Brésil, étant entendu que ledit voyage eût lieu aux frais de l’Etat luxembourgeois, le 8 août 2001, date à laquelle il s’est également vu notifier un arrêté de refus d’entrée et de séjour émis par le ministre de la Justice le 3 avril 2001. Ledit arrêté indique comme motifs de refus :

« - usage de pièces d’identité et de voyages falsifiées ;

- défaut de moyens d’existence personnels ;

- constitue par son comportement personnel un danger pour l’ordre public ».

Aux mêmes date et occasion, Monsieur … se vit notifier une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi le 23 juillet 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour au motif qu’il était susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics.

Un recours gracieux introduit le 8 novembre 2001 par Monsieur … à l’encontre des deux décisions précitées des 3 avril et 23 juillet 2001 fut rencontré par une décision confirmative du ministre de la Justice du 4 décembre 2001.

Il ressort du rapport n° 6/243 du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale du 1er mars 2002 que Monsieur … fut de nouveau appréhendé au Luxembourg suite à un vol commis en date du 27 février 2002 dans un supermarché et qu’une mesure de placement au Centre Pénitentiaire de Luxembourg fut prononcée à son encontre.

Par arrêté du 28 février 2002, le ministre de la Justice prit à l’encontre de Monsieur … la décision libellée comme suit :

« Vu l’article 9 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Arrête :

Art.1er.- Le nommé …, né le …, de nationalité brésilienne, actuellement placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en vue de son éloignement, est expulsé du Grand-Duché de Luxembourg en vertu de la loi du 28 mars 1972 susvisée.

L’intéressé devra quitter le pays à partir de la notification du présent arrêté.

Motif :

Séjourne de nouveau au Luxembourg malgré un arrêté de refus d’entrée et de séjour pris à son encontre le 3 avril 2001 lui notifié le 8 août 2001 lors de son départ à l’aéroport de Luxembourg via Amsterdam vers Sao Paulo le 8 août 2001.

Art. 2.- Le présent arrêté sera expédié au service de Police Judiciaire pour notification et exécution ».

Monsieur … fut ensuite de nouveau refoulé vers le Brésil en date du 7 mars 2002.

Par requête déposée le 7 mars 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des deux décisions ministérielles précitées des 3 avril et 23 juillet 2001, recours qui fut déclaré non fondé suivant jugement du tribunal administratif du 11 juillet 2002.

Un recours gracieux introduit le 27 mai 2002 à l’encontre de l’arrêté ministériel du 28 février 2002 ne fit pas l’objet d’une décision ministérielle.

Par requête déposée le 27 novembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 28 février 2002 et de la décision ministérielle confirmative implicite se dégageant du silence du ministre suite à son recours gracieux du 27 mai 2002.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit en ordre principal, au motif qu’un tel recours n’est pas prévu en la matière.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 4, et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en matière d’expulsion, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande principale en réformation des décisions critiquées.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, le demandeur estime qu’on ne saurait lui faire grief d’être revenu au Luxembourg malgré l’arrêté de refus et d’entrée de séjour pris à son encontre en date du 3 avril 2001 et son départ subséquent du 8 août 2001, au motif qu’il serait revenu au Luxembourg « en vue d’assurer une meilleure défense de ses intérêts en justice » dans le cadre de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour et pour pouvoir disposer ainsi d’un « recours effectif ».

Pour le surplus, son retour au Luxembourg aurait avant tout été motivé par ses intentions de mariage avec sa fiancée habitant le Luxembourg depuis 28 ans, de sorte que la décision attaquée du 28 août 2002 serait contraire, sinon disproportionnée en considération de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme assurant le respect de la vie privée et familiale. Dans ce contexte, afin de prouver la réalité de cette vie familiale, le demandeur se réfère à une déclaration de sa fiancée, Madame D.T.C., du 5 février 2003 libellée comme suit : « Par la présente je vous informe que je veux épouser Monsieur … et que je suis en train de préparer les papiers nécessaires auprès [de] la commune de Differdange ».

Finalement le demandeur soutient que les conditions d’application de l’article 9 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ne seraient pas données, au motif qu’il n’aurait pas continué à séjourner au pays après avoir été averti que l’entrée et le séjour lui ont été refusés et qu’il n’aurait pas non plus été renvoyé ou reconduit à la frontière en vertu de l’article 12 de la loi du 28 mars 1972, précitée, étant donné qu’il serait parti de son plein gré.

Le délégué du gouvernement soutient que l’expulsion du demandeur aurait été décidée à bon droit conformément à l’article 9 alinéa 3 de la loi du 28 mars 1972 précitée, d’autant plus que Monsieur … serait susceptible de compromettre l’ordre public.

En ce qui concerne d’abord les critiques formulées par le demandeur au sujet du bien-

fondé de la motivation se trouvant à la base de la décision du 28 février 2002, à savoir le séjour au Luxembourg malgré un arrêté de refus d’entrée et de séjour antérieur, il y a lieu de relever qu’au vœu de l’article 9 alinéa 3 de la loi du 28 mars 1972, précitée, peuvent être expulsés du Grand-Duché les étrangers qui « après avoir été renvoyés ou reconduits à la frontière, (…) en vertu de l’article 12 de la présente loi (…), réapparaissent dans le pays endéans les deux années ».

La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise. Il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de toute doute.

En l’espèce, il est établi que le demandeur s’était vu notifier le jour de son départ, soit le 8 août 2001, un arrêté de refus d’entrée et de séjour du ministre de la Justice du 3 avril 2001 d’après lequel il fut invité à quitter le pays « dès notification du présent arrêté ». Il résulte encore du rapport n° SPJ/2001/20745/203/6-JA du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale du 22 août 2001 que Monsieur … n’a pas quitté le territoire luxembourgeois de son plein gré, mais sur initiative des autorités luxembourgeoises qui avaient décidé de refouler environ 160 personnes majoritairement brésiliennes qui séjournaient au Luxembourg moyennant des papiers d’identité portugais falsifiés.

Il s’ensuit que le départ du demandeur du Luxembourg en date du 8 août 2001 est à considérer comme mesure d’éloignement au sens de l’article 12 de la loi du 28 mars 1972, précitée.

Pour le surplus, il ressort encore du rapport précité n° 6/243 de la police judiciaire, que Monsieur … séjournait de nouveau sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en date du 27 février 2002, lorsqu’il fut appréhendé dans un supermarché après avoir commis un vol.

Il est dès lors établi en l’espèce que le demandeur est réapparu au pays dans un délai de deux années à partir de son éloignement en date du 8 août 2001, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a fait application dans son arrêté d’expulsion de l’article 9 de la loi du 28 mars 1972, précitée.

Le tribunal est ensuite amené à examiner si les décisions attaquées sont contraires à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce que Monsieur … aurait l’intention de se marier avec Madame D.T.C. et que dans la mesure où la décision d’expulsion aurait pour conséquence la séparation des deux concubins, elle constituerait une ingérence injustifiée de l’autorité publique dans l’exercice de leurs droits au respect de la vie privée et familiale.

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée familiale dont fait état le demandeur pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

En l’espèce, il échet tout d’abord de relever qu’il n’est pas allégué, ni établi qu’une vie familiale effective ait existé entre le demandeur et Madame D.T.C. avant l’immigration du demandeur au Grand-Duché de Luxembourg au mois d’avril 2000. En ce qui concerne la possibilité de l’existence d’une vie familiale entre les deux concubins au cours du séjour de Monsieur … au Luxembourg, il échet de constater que les parties n’ont pas établi l’existence de relations familiales effectives et portant sur une certaine durée, susceptibles de bénéficier de la protection prévue par l’article 8 paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, la simple déclaration de Madame D.T.C. du 5 février 2003 n’étant pas de nature à entraîner à elle seule la conviction du tribunal, en l’absence de tout autre élément susceptible d’établir une telle vie familiale.

Eu égard à l’absence de preuve permettant de conclure à l’existence d’une vie familiale durable, au fait que le demandeur entend créer des liens familiaux au Luxembourg en connaissant sa situation administrative précaire et au défaut d’explications qu’une vie familiale des concubins n’est pas possible au Brésil, le demandeur ne justifie pas dans son chef l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale effective au Luxembourg, de sorte que le moyen tiré de la violation l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme doit être rejeté pour n’être pas fondé.

Finalement l’argumentation consistant à affirmer que le demandeur serait encore revenu sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, afin de pouvoir disposer de son droit à un recours effectif dans le cadre de son affaire d’autorisation de séjour est à écarter, étant donné qu’il n’est pas établi en fait que le demandeur n’avait pas la possibilité de communiquer avec son avocat à l’époque où il séjournait de nouveau au Brésil, le contraire devant même être supposé, au vu de l’introduction du recours gracieux en date du 8 novembre 2001 à l’encontre des décisions ministérielles préindiquées des 3 avril et 23 juillet 2001.

Il suit de l'ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à déclarer non fondé et partant le demandeur est à en débouter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 3 avril 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15661
Date de la décision : 03/04/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-04-03;15661 ?

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