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03/04/2003 | LUXEMBOURG | N°15179

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 avril 2003, 15179


Tribunal administratif N° 15179 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juillet 2002 Audience publique du 3 avril 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15179 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2002 par Maître Annick DENNEWALD, avocat à la Cour, assistée de Maître Rémi CHEVALIER, avocat, tous les deux inscrits au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à L. (République Démocra...

Tribunal administratif N° 15179 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juillet 2002 Audience publique du 3 avril 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15179 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2002 par Maître Annick DENNEWALD, avocat à la Cour, assistée de Maître Rémi CHEVALIER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à L. (République Démocratique du Congo), de nationalité congolaise, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 mai 2002, notifiée le 26 juin 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2002 ;

Vu le mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Rémi CHEVALIER et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 21 juin 2001, Monsieur … … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 7 mars 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 27 mai 2002, notifiée le 26 juin 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « Il résulte de vos déclarations, que le 12 mai 1997 vous auriez quitté la République démocratique du Congo (RDC), où vous auriez exercé la fonction de Chef d’Etat-major Général Adjoint des Forces Armées Zaïroises. Vous auriez alors erré entre plusieurs pays africains (notamment Congo-

Brazzaville, Gabon, Côte d’Ivoire), pour vous installer finalement au Niger, où vous obtenez en avril 2000 le statut de réfugié politique.

Après quelques séjours en Europe (Belgique, France), vous auriez décidé de quitter définitivement le Niger le 18 juin 2001 par avion en direction de Paris. Vous seriez arrivé au Luxembourg le 20 juin 2001. Vous demandez la transcription de votre statut de réfugié estimant que votre vie ne serait plus en sécurité au Niger.

En effet, selon vos dires votre vie serait menacée par les personnes ayant fui avec vous en 1997 et qui se seraient également installées au Niger pendant un certain temps. Il s’agirait du commandant de l’ex-garde civile Kpama Baramoto accompagné par son épouse et son fils, l’ancien commandant de la Division spéciale présidentielle Nsimba N’Gbale et l’ancien Ministre de la Défense Mavoua Mudima. Un contrat sur votre tête aurait été passé parce qu’en raison de vos fonctions et par le symbole que vous représenteriez, vous auriez constitué une menace pour certaines personnes. Vous ajoutez que la jalousie aurait été également une raison. En effet, le Niger vous aurait accordé le statut de réfugié politique, alors qu’il l’aurait refusé aux personnes susmentionnées. Plus précisément, après la mort du président nigérien Ibrahim Bare en avril 1999, le nouveau gouvernement aurait voulu vous enlever le statut de réfugié politique. Vous auriez fait un recours contre cette décision et le statut vous aurait été accordé finalement en avril 1999 mais refusé aux autres généraux. Vous exposez qu’on vous aurait abandonné à votre sort et que vous n’auriez pas bénéficié d’une aide du gouvernement nigérien.

Vous précisez que des légionnaires corses auraient été chargés de la mission de vous tuer en échange de 3 millions de dollars. Les légionnaires corses vous auraient suivi pendant 2 semaines, mais auraient attendu l’argent promis avant d’exécuter leur contrat. Vous auriez toutes ces informations d’un ami de votre frère qui aurait mis ce dernier en garde. Votre frère aurait alors contacté un certain Maître Galichon, qui aurait écrit une lettre aux « frères de l’Ecole Chrétienne » à Niamey. Vous auriez été informé par ces derniers le 14 juin 2001. Tout cela se serait déroulé sans que le gouvernement nigérien ne le sache.

Vous exposez que votre vie serait en danger en France ou en Belgique en raison des liens trop étroits que ces derniers entretiennent avec la RDC et parce que nombreux de vos ennemis personnels y séjourneraient, notamment sous de fausses identités, comme ce serait le cas pour les généraux avec qui vous auriez pris la fuite. Vous n’auriez également pas pu rester dans un pays d’Afrique parce que ces pays seraient en relation avec la RDC. Vous vous seriez alors tourné vers le Luxembourg, pays francophone n’ayant pas de liens avec l’Afrique noire.

Il y a d’abord lieu de relever qu’une décision relative à la détermination du statut de réfugié prise par un Etat ne lie pas les autres Etats (Conclusions n° 12 relatives à « l’effet extra-territorial de la détermination du statut de réfugié », adoptées par le Comité Exécutif du programme HCR lors de sa 29e session). Il est également à souligner qu’en espèce, le Niger, qui vous a accordé le statut de réfugié politique, est Etat signataire de la « Convention de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique », signée à Addis-Abéba le 10 septembre 1969. Selon cette définition élargie, le terme réfugié s’applique non seulement à toute personne qui craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social et de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, mais également à toute personne qui, du fait d’une agression, d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’événements troublant gravement l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l’extérieur de son pays d’origine. Une personne qui se serait vue reconnaître le statut de réfugié au sens de la « Convention régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique » ne se verrait-elle pas nécessairement reconnaître le statut prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, Convention que le Luxembourg a signé.

Une personne qui s’est vue accorder l’asile dans un pays n’est pas éligible au statut de réfugié dans un autre pays à moins que le pays dans lequel elle avait trouvé asile ne constitue plus pour elle un pays sûr (Conclusions n° 58 relatives au « Problèmes des réfugiés et des demandeurs d’asile quittant de façon irrégulière un pays où la protection leur a déjà été accordée », adoptées par le Comité Exécutif du programme du HCR lors de sa 40e session). J’estime que le Niger constitue en l’espèce un pays sûr, dans lequel votre vie n’est pas menacée. L’UNHCR, par l’intermédiaire de Monsieur Jerry Mosar, correspondant honoraire du UNHCR, nous informe qu’il ne dispose d’aucune information laissant à penser que vous auriez pu connaître des problèmes de sécurité au Niger.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays d’accueil, le Niger. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2002, Monsieur … … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 27 mai 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Il s’ensuit que le recours en annulation introduit à titre subsidiaire est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer que jusqu’en 1997, il aurait occupé des fonctions très importantes au Congo sous le régime du maréchal MOBUTU, qu’il aurait notamment été chef d’Etat-major général adjoint des forces armées zaïroises et gouverneur militaire de la province de l’Equateur, qu’à partir de l’année 1996, il aurait été chargé de la lutte contre les forces rebelles menées par Monsieur Laurent Désiré KABILA, tâche qu’il n’aurait toutefois pas été en mesure de terminer en raison de l’état de « délabrement matériel et moral d’une armée corrompue et désorganisée », qu’à la suite du renversement du régime de Monsieur MOBUTU, il aurait décidé de quitter le pays le 12 mai 1997 étant donné qu’il craindrait d’y être condamné à mort par les autorités se trouvant actuellement au pouvoir au Zaïre sous les ordres de Monsieur KABILA qu’il aurait justement été amené à combattre dans le passé en raison de ses fonctions militaires sous le régime de Monsieur MOBUTU. Il indique dans ce contexte, en se basant sur un rapport rédigé par la commission des droits de l’homme de l’ONU du 30 janvier 1998 que des militaires ayant appartenu, comme lui, aux forces armées zaïroises, auraient été soumis à des exactions, à des exécutions sommaires, à des actes de torture, à des amputations ainsi qu’à des mutilations par des agents se trouvant au service des autorités actuellement en place au Zaïre.

Depuis sa fuite de son pays d’origine, en 1997, le demandeur déclare avoir transité par plusieurs pays africains avant de s’installer au Niger où, à la suite d’une procédure d’instruction d’une durée de trois ans initiée par lui en vue de l’obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, et après que, contrairement à d’autres officiers généraux de l’ex-armée zaïroise, des reproches dirigés dans un premier stade à son encontre du fait de crimes de guerre ou d’autres crimes graves contre l’humanité ont été déclarés non fondés, il a pu obtenir, sur instruction du Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies, basé à Genève, le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, notamment en raison du fait que ses craintes de persécution en raison de l’exercice de ses hautes fonctions militaires au Zaïre auraient été à l’époque toujours réelles et sérieuses.

Le demandeur expose qu’un an après avoir obtenu le prédit statut de réfugié, et à la suite d’un changement de régime au Niger, il se serait à nouveau vu exposer à des menaces de mort et qu’il a pu apprendre à l’époque « qu’un contrat sur sa tête avait été passé avec des légionnaires corses pour l’éliminer », tel que cela ressort plus particulièrement d’une attestation testimoniale versée au dossier et signée par un avocat honoraire au barreau de Paris, ancien président des tribunaux militaires alliés en Allemagne. Ayant pris ces menaces très au sérieux et estimant que le régime actuellement en place au Niger ne pouvait lui assurer une protection efficace, il aurait pris la fuite de ce pays pour se rendre au Luxembourg et y solliciter la protection telle que prévue par la Convention de Genève sous forme de reconnaissance du statut de réfugié.

Le demandeur estime encore que le ministre de la Justice aurait commis une erreur de fait en estimant qu’il aurait obtenu la reconnaissance du statut de réfugié sur base de la « Convention de l’unité africaine », dont le champ d’application serait plus large en permettant la reconnaissance du statut de réfugié sur base de critères moins stricts que ceux prévus par la Convention de Genève, en soutenant qu’au contraire, il se serait vu délivrer ledit statut sur base de la Convention de Genève et après instruction de son dossier par le Haut commissariat aux réfugiés de Genève. Pour le surplus, il soutient que le ministre de la Justice ne pourrait valablement se baser sur une lettre émise en date du 24 janvier 2002 par le correspondant honoraire de l’UNHCR au Luxembourg, suivant laquelle sa « délégation au Niger ne dispose d’aucune information laissant à penser que Monsieur … … aurait pu connaître, au moment de son départ, des problèmes de sécurité qui l’auraient poussé à quitter le Niger », alors qu’il aurait effectivement reçu des menaces de mort dans ce pays, de sorte que celui-ci ne saurait être considéré comme constituant un pays sûr, en ajoutant que les menaces de mort qu’il se serait vues adresser au Niger, ainsi que les arrangements faits avec des légionnaires corses afin de l’abattre, constitueraient nécessairement des informations qui ne seraient pas publiques et qui ne se trouveraient pas nécessairement à la connaissance de l’UNHCR.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement admet que contrairement à l’impression qu’aurait pu donner la décision du ministre de la Justice, le demandeur s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève au Niger. Par ailleurs, il estime que la situation du demandeur, ainsi que les persécutions et les craintes de persécutions qu’il a pu subir dans son pays d’origine, à savoir au Zaïre, ancienne République démocratique du Congo, auraient déjà fait l’objet d’une appréciation par rapport à la Convention de Genève dans le cadre de l’instruction de sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève au Niger, qui lui a reconnu ledit statut, empêchant ainsi son refoulement vers la République démocratique du Congo. Ainsi, dans le cadre de la procédure qui a été pendante devant le ministre de la Justice, et ayant eu pour aboutissement la décision actuellement sous analyse, il aurait exclusivement appartenu au ministre de la Justice de vérifier si le Niger pourrait toujours être considéré comme constituant un pays sûr pour le demandeur. En effet, une personne, s’étant vue reconnaître le statut de réfugié dans un Etat, ne serait éligible pour solliciter le statut de réfugié dans un autre Etat qu’à partir du moment où le premier Etat ne pourrait plus être considéré comme constituant un pays sûr.

En l’espèce, le représentant étatique soutient que la preuve n’aurait pas été rapportée que le Niger n’était pas en mesure d’assurer une protection adéquate du demandeur. Dans ce contexte, il expose que les menaces auxquelles le demandeur fait référence, et même à les supposer établies, constitueraient plutôt des actes de vengeance de la part de personnes physiques, qui ne sauraient être qualifiées d’actes de persécution au sens de la Convention de Genève. En outre, il reproche au demandeur de ne pas avoir sollicité la protection des autorités actuellement en place au Niger, de sorte qu’il ne serait pas établi que le gouvernement nigérien aurait refusé de continuer à le protéger ou qu’il aurait été dans l’incapacité de ce faire.

En conclusion, le délégué du gouvernement affirme que le Niger est en mesure d’accorder une protection adéquate au demandeur dans ce pays et qu’il ne s’y trouverait pas en danger, en faisant référence notamment au contenu de la lettre précitée du correspondant honoraire de l’UNHCR du 24 janvier 2002, suivant laquelle ledit organisme international ne disposerait d’aucune information laissant penser que le demandeur aurait pu connaître, au moment de son départ du Niger, des problèmes de sécurité qui auraient pu motiver son départ.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur soutient que dans la mesure où, sur base des articles 8 et 10 de la loi précitée du 3 avril 1996, sa demande n’a pas été déclarée irrecevable, dans un délai de deux mois à partir de l’introduction de sa demande d’asile, au motif qu’il pourrait trouver refuge et protection dans un pays tiers d’accueil, sa demande introduite auprès du service compétent du ministère de la Justice au Luxembourg afin de se voir reconnaître le statut de réfugié aurait dû être instruite suivant la procédure « de droit commun », telle que prévue par ladite loi, de sorte qu’il ne pourrait actuellement se voir opposer un refus de reconnaissance dudit statut au motif que le Niger serait à considérer comme pays d’accueil sûr. Ainsi, le ministre aurait eu à apprécier s’il remplit les conditions telles qu’exigées par la Convention de Genève en vue de la reconnaissance du statut de réfugié. Il s’oppose partant à toute analyse ayant pour objet de vérifier les protections dont il pourrait bénéficier au Niger, en soutenant au contraire que sa demande d’asile devrait exclusivement être analysée au vu des craintes de persécutions et persécutions qu’il a fait valoir par rapport au Congo.

Il admet néanmoins que le Luxembourg aurait le droit de le renvoyer au Niger où il avait antérieurement obtenu une protection au sens de la Convention de Genève, en insistant toutefois sur le fait qu’à partir du moment où, dans ce pays, il a des raisons de craindre des persécutions ou lorsque sa sécurité physique y est en danger, l’autorité luxembourgeoise n’aurait plus l’obligation de l’y renvoyer en appréciant en outre de manière favorable sa demande d’asile déposée au pays. Il se réfère dans ce contexte encore une fois à l’attestation émise par le prédit avocat honoraire au barreau de Paris qui, après avoir eu connaissance des menaces dirigées contre Monsieur …, lui a recommandé de quitter le Niger, alors que sa sécurité n’y serait plus assurée. Il rappelle également dans ce contexte qu’en avril 1999, le président du Niger qui l’aurait protégé ainsi que d’autres hauts officiers du Congo, a été assassiné à la suite d’un coup d’Etat réalisé par le chef de la sécurité militaire, le général YANKE, l’actuel président du Niger. A la suite de ce coup d’Etat, tous les généraux mobutistes exilés au Niger auraient quitté le pays par peur de représailles, de sorte qu’il serait exclu pour lui de demander une protection efficace « à un assassin », notamment au vu de son histoire personnelle, en ce qu’il aurait déjà été victime, à plusieurs reprises, du pouvoir arbitraire de divers dirigeants africains et notamment de condamnations sans jugement, de prises d’otage et d’arrestations arbitraires en Côte d’Ivoire etc., entraînant qu’à juste titre il ne se sentirait plus en sécurité sur le continent africain.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement expose que le ministre de la Justice aurait analysé la demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié du demandeur quant au fond, sans avoir eu l’intention de la déclarer irrecevable dans le délai de deux mois précité en raison de l’existence d’un pays tiers d’accueil. Pour le surplus, ledit ministre aurait valablement pu vérifier si le demandeur a déjà pu bénéficier, dans le passé, d’une protection appropriée dans un Etat tiers, une telle analyse n’étant de toute façon pas de nature à porter préjudice aux intérêts du demandeur.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 7 mars 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur a fait état et a établi à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de son appartenance à un certain groupe social et de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il échet tout d’abord de relever que contrairement à l’argumentation développée par le demandeur, sa demande déposée au Luxembourg en vue de se faire reconnaître le statut de réfugié a correctement été analysée par le ministre de la Justice par rapport à sa situation au Niger, dernier pays dans lequel il a résidé pendant quelques années avant de se rendre au Luxembourg, et non pas par rapport au Congo, son pays d’origine initial, par rapport auquel il s’était déjà vu reconnaître le statut de réfugié au Niger. Il échet partant de faire abstraction de tous les faits, craintes de persécutions et persécutions que le demandeur a invoqué par rapport à sa situation au Congo qui ne constitue pas le pays par rapport auquel le Luxembourg a dû apprécier sa demande d’asile.

En ce qui concerne plus particulièrement la situation au Niger, il échet de relever que le demandeur a présenté un récit crédible et cohérent quant aux craintes de persécution et au défaut de protection par les autorités actuellement en place au Niger, après l’assassinat, en date du 9 avril 1999, du président du Niger qui était le protecteur du demandeur. C’est ainsi que dans une note rédigée, le demandeur fait état de ce qu’à la suite de l’assassinat de l’ancien président du Niger, il se serait trouvé sans assistance et sans protection dans ce pays, en ce que le logement et les autres avantages matériels qu’il avait pu obtenir par l’ancien président du Niger lui avaient été retirés, à ces faits s’ajoutant les menaces de mort que le demandeur déclare avoir eu à endurer au Niger, sans que le régime en place n’ait pu lui fournir une quelconque protection, ce qui s’expliquerait du fait du rapprochement du nouveau régime en place au Niger du pouvoir en place au Congo sous le président KABILA. Ces faits, clairs et concordants, ne sauraient être mis en doute par la simple affirmation ressortant de la lettre précitée du 24 janvier 2002 du correspondant honoraire de l’UNHCR au Luxembourg, suivant laquelle, d’après les informations dont disposerait le Haut commissariat pour les réfugiés, le demandeur n’aurait connu un quelconque problème de sécurité qui aurait pu le pousser à quitter le Niger, sans que ledit courrier ne prenne d’une quelconque manière position par rapport à la situation personnelle du demandeur et sans qu’un tel constat, basé sur des informations officielles se trouvant à la disposition des autorités au pouvoir au Niger, n’exclue qu’en fait des menaces de mort soient dirigées contre le demandeur au Niger et que ce pays ne soit pas en mesure de le protéger efficacement contre de telles atteintes à sa vie privée.

La crédibilité du récit du demandeur, ainsi que ses craintes de persécutions sont encore confortées par une attestation signée en date du 30 juillet 2001 par Maître Jean-

Philippe GALICHON, avocat honoraire au barreau de Paris, ancien président des tribunaux militaires alliés en Allemagne, suivant laquelle, le demandeur a couru un risque grave au cours de son séjour prolongé au Niger. Ainsi, il est attesté, sur base d’informations reçues par un ressortissant français séjournant régulièrement dans différents pays africains, qu’un commando de légionnaires corses avait reçu un « contrat sur la tête » du demandeur et que ce n’était que par suite de la non-exécution d’un engagement financier pris vis-à-vis de ce commando que ce dernier s’était temporairement abstenu d’exécuter sa mission. Monsieur GALICHON atteste encore qu’au vu des trois précédents incidents dramatiques dont a fait l’objet le demandeur, ayant eu lieu au Congo-Brazzaville et en Côte d’Ivoire, pendant lesquels il avait été séquestré et il a failli être exécuté, il avait recommandé au demandeur de quitter le Niger, étant donné qu’il serait « insensé voire suicidaire de sa part de se maintenir imprudemment sur le continent africain dont les structures étatiques ne sont pas aptes à garantir la sécurité élémentaire d’une telle personnalité ».

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur remplit les conditions posées par la Convention de Genève en vue d’obtenir la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef, de sorte qu’il y a lieu de réformer la décision ministérielle déférée en lui accordant le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant reconnaît à Monsieur … … le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève ;

renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre de la Justice ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 3 avril 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15179
Date de la décision : 03/04/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-04-03;15179 ?

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