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02/04/2003 | LUXEMBOURG | N°16180

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 avril 2003, 16180


Tribunal administratif Numéro 16180 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 mars 2003 Audience publique du 2 avril 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16180 du rôle, déposée le 25 mars 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …

à Dohok (Irak), de nationalité iraqienne, ayant été placé au Centre de séjour provisoire pour ...

Tribunal administratif Numéro 16180 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 mars 2003 Audience publique du 2 avril 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16180 du rôle, déposée le 25 mars 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dohok (Irak), de nationalité iraqienne, ayant été placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 mars 2003 ordonnant la prorogation de la mesure de placement prise à son égard par décision du même ministre du 17 février 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Il ressort d’un procès-verbal référencé sous le numéro 12059 de la police grand-ducale, circonscription régionale d’Esch-sur-Alzette, unité CI-Dudelange, du 15 février 2003 que Monsieur … fit l’objet à la même date d’un contrôle policier dans l’enceinte de l’aire de Berchem après y avoir été déposé par un autobus immatriculé en Turquie et qu’il n’a pas pu présenter de documents d’identité.

Après avoir fait l’objet d’une mesure de rétention ordonnée par le parquet de Luxembourg en date du 16 février 2003, Monsieur … fut placé, par arrêté du ministre de la Justice du 17 février 2003, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois. La décision de placement fut fondée sur les considérations et motifs suivants :

1« Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’une demande de reprise en charge conformément à la Convention de Dublin sera adressée aux autorités belges ;

qu’en attendant l’accord des autorités belges, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par arrêté du ministre de la Justice du 17 mars 2003, le placement de Monsieur … fut prorogé pour une durée d’un mois, décision fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’une demande de reprise en charge conformément à la Convention de Dublin a été adressée aux autorités belges à plusieurs reprises ;

- qu’en attendant l’accord des autorités belges, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée le 25 mars 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 17 mars 2003.

L’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-

d’œuvre étrangère, instituant un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation lui déféré. Ce même recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur argumente en premier lieu que la décision entreprise devrait être annulée pour cause de nullité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, pour défaut de base légale, estimant que la loi modifiée du 27 juin 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire n’offrirait pas de base légale suffisante à la création, par voie de règlement grand-ducal, d’une structure spécifique au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg destinée à accueillir les étrangers faisant l’objet d’une mesure de placement, en renvoyant à cet égard à l’avis du Conseil d’Etat, auquel la commission juridique s’est ralliée 2par la suite, rendu dans le cadre de l’élaboration de cette dernière loi et ayant estimé que la création d’un nouvel établissement pénitentiaire nécessiterait l’intervention du législateur.

Ce moyen tiré des prétendues nullité ou inapplicabilité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 n’est cependant pas fondé, étant donné que la base légale dudit règlement grand-ducal est donnée par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, tel que cela ressort d’ailleurs du libellé même dudit règlement grand-ducal. Dans ce contexte, il est indifférent que le Conseil d’Etat, au moment de l’élaboration de la loi du 27 juillet 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire, a estimé que l’intervention du législateur serait de mise pour l’hypothèse d’une modification des attributions d’un établissement pénitentiaire, étant donné que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière n’est pas à considérer comme un établissement pénitentiaire (cf. trib. adm.

5 décembre 2002, n° 15679 du rôle, non encore publié).

Le demandeur conclut ensuite à une absence de motivation de la décision sous analyse, en ce qu’elle ne respecterait pas les conditions jurisprudentielles relatives à la précision des motifs, dans la mesure où elle ne contiendrait que des formules générales et abstraites, sans qu’il n’y soit fait état des raisons de fait concrètes se trouvant à sa base.

Il échet cependant de constater à la simple lecture de la décision précitée du 17 mars 2003, qu’elle celle-ci contient d’une manière détaillée les motifs en droit et en fait se trouvant à sa base, notamment l’indication des circonstances de fait relatives à la situation personnelle de Monsieur …, de sorte que le moyen tiré de l’utilisation de formules passe-partout et abstraites doit être écarté comme n’étant pas fondé.

Monsieur … invoque ensuite « l’absence des conditions pour prononcer une mesure de placement », au motif que l’autorité administrative resterait en défaut de prouver un risque réel dans son chef de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure, que pareil risque ne résulterait ni de la décision attaquée, ni du dossier administratif alors que, même en l’absence de toute pièce d’identité dans son chef, l’autorité administrative aurait parfaitement su qu’il serait demandeur d’asile en Belgique. Le demandeur fait valoir ensuite que les démarches requises de la part des autorités luxembourgeoises en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois seraient insuffisantes au vu du dossier administratif, alors que les autorités luxembourgeoises auraient connaissance du pays européen à partir duquel il s’est rendu sur le territoire luxembourgeois, en l’occurrence la Belgique, de sorte qu’une expulsion ou un refoulement dans son chef n’aurait nullement été impossible.

A titre subsidiaire, Monsieur … conclut encore au caractère disproportionné de la mesure de placement tant au regard de la loi du 28 mars 1972 précitée qu’au regard de sa situation personnelle.

Le délégué du gouvernement estime que les conditions justifiant la décision de mise à disposition du gouvernement entreprise seraient remplies et que le recours laisserait d’être fondé. Il souligne plus particulièrement que le ministre de la Justice aurait contacté les autorités belges à 5 reprises et qu’il serait « carrément indécent d’affirmer que le ministre de la Justice n’aurait pas fait les démarches suffisantes ». Le représentant étatique sollicite ensuite l’octroi d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- euros qu’il serait inéquitable de laisser à charge de l’Etat au motif que « Maître FATHOLAHZADEH se borne à 3reprendre les moyens de droit qui ont été toisés et rejetés à de multiples reprises par [le] tribunal ».

Concernant le reproche tiré de « l’absence des conditions pour prononcer une mesure de placement», il est constant en cause que la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion. Il convient partant d’examiner si la mesure en question est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-

verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972] ;

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement, à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

Encore faut-il que la mesure afférente soit prise légalement, c'est-à-dire pour un des motifs prévus par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 auquel renvoie l’article 15.

En l’espèce, parmi les motifs invoqués au moment de la prise de la décision de placement du 17 février 2003, le ministre de la Justice a fait état du fait que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au pays et qu’il n’est pas en possession de moyens d’existence personnels suffisants.

Or, il est patent en cause que Monsieur … ne dispose ni des papiers de légitimation prescrits, ni de moyens d’existence personnels suffisants, de manière à remplir les conditions légales telles que fixées par la loi luxembourgeoise sur base desquelles une mesure de refoulement a valablement pu être prise à son encontre.

Concernant la justification de la décision de prorogation sous examen, le paragraphe 2 de l’article 15 de la loi prévisée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue être reconduite par le ministre de la Justice à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

4Le tribunal est partant amené à analyser si le ministre de la Justice a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’en l’espèce une nécessité absolue rendait la reconduction de la décision de placement inévitable (cf. trib. adm. 22 mars 1999, n° 11191 du rôle, Pas. ad. 2002, V° Etrangers, n° 203 et autres références y citées).

S’il est vrai que l’autorité compétente doit veiller à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée et que la prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire, force est de constater qu’en l’espèce, il ressort du dossier que les autorités luxembourgeoises, après avoir procédé à des mesures de vérification quant à l’identité de l’intéressé, ont établi via le système Eurodac, que Monsieur … est connu par les autorités belges sous le numéro d’identification BE 1102025398. Par la suite, les autorités luxembourgeoises ont contacté les autorités belges par télécopie en date du 20 février 2003 en vue de la reprise de Monsieur … et ont, suite à une première réponse négative, relancé les autorités belges en dates des 21 février, 7 mars, 17 mars et 25 mars 2003. Il s’ensuit dès lors que l’ensemble des diligences entreprises ne saurait être qualifié d’insuffisant et la critique afférente n’est pas fondée.

Cette conclusion n’est pas affectée par l’argumentation basée sur l’inertie des autorités belges qui, aux termes de l’article 13.1.b de la loi du 20 mai 1993 portant approbation de la Convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés européennes, signée à Dublin le 15 juin 1990, sont normalement tenus de répondre dans un délai de huit jours à compter de leur saisine, étant donné que lesdites autorités ont répondu dès le 20 février 2003 que le demandeur leur serait inconnu sous son nom et sa date de naissance. S’il est exact qu’il ressort du rapport no. 6/333/03/GHI dressé en date du 18 février 2003 par la police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, que le système Eurodac a permis d’établir que Monsieur … est connu par les autorités belges sous la fiche n° BE 1102025398, il n’appartient pas autorités luxembourgeoises d’interpréter à ce stade de la procédure le silence des autorités belges, étant donné que la procédure de mise à disposition du gouvernement est justement destinée à détenir un étranger en situation irrégulière à la disposition des autorités luxembourgeoises dans l’attente de l’accomplissement des formalités nécessaires en vue de son éloignement, dans les limites du cadre légal tracé.

Concernant finalement le prétendu caractère disproportionné de la mesure de placement en ce que le demandeur soutient qu’il ne serait pas placé dans une « infrastructure spécifique et appropriée », il est constant en cause que Monsieur … n’a pas été placé dans la partie réservée au régime pénitentiaire au sein du Centre pénitentiaire de Schrassig mais dans une structure spécifique y aménagée, à savoir le nouveau Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière créé par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002.

Dans la mesure où le caractère approprié de cet établissement au sens de l’article 15 (1) de la loi prévisée du 28 mars 1972 se dégage d’un texte réglementaire, il ne saurait dès lors plus être sujet à discussion.

En effet, dans la mesure où il n’est pas contesté que le demandeur était en situation irrégulière au regard de la loi prévisée du 28 mars 1972 et qu’il a subi une mesure de placement administrative sur base dudit article 15 en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois, il rentrait et rentre directement dans les prévisions de la définition des 5« retenus » telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 précité, étant relevé que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence éventuelle de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent par essence un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Au vu de ce qui précède les reproches tirés du prétendu caractère disproportionné de la mesure de placement litigieuse sont également à rejeter comme étant non pertinents.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur est à en débouter.

La demande en obtention d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- euros, telle que présentée par l’Etat dans son mémoire en réponse, est à rejeter, les conditions légales n’étant pas remplies en l’espèce.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par l’Etat non fondée ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 2 avril 2003 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16180
Date de la décision : 02/04/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-04-02;16180 ?

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