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02/04/2003 | LUXEMBOURG | N°15553

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 avril 2003, 15553


Tribunal administratif Numéro 15553 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 novembre 2002 Audience publique du 2 avril 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15553 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 novembre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuelleme

nt à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de ...

Tribunal administratif Numéro 15553 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 novembre 2002 Audience publique du 2 avril 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15553 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 novembre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 15 mai 2002, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision implicite de confirmation dudit ministre se dégageant de son silence observé pendant plus de trois mois par rapport au recours gracieux par lui introduit en date du 2 juillet 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mars 2003.

Le 22 août 2001, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 15 novembre 2001, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur ses motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 15 mai 2002, lui notifiée en date du 4 juin 2002, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été refusée comme non fondée aux motifs qu’il n’invoquerait aucune crainte raisonnable de persécution du fait de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social.

Par courrier de son mandataire datant du 2 juillet 2002, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 15 mai 2002. Celui-ci n’ayant pas fait l’objet d’une décision du ministre dans les trois mois qui s’en suivirent, Monsieur … a fait déposer principalement un recours en réformation et subsidiairement un recours en annulation contre la décision ministérielle de refus du 15 mai 2002 et celle implicite confirmative se dégageant du silence observé par le ministre par rapport à son recours gracieux, par requête datant du 4 novembre 2002.

Quant au fond, Monsieur …, de nationalité yougoslave, de religion musulmane et appartenant à la minorité des Bochniaques, fait valoir que le départ de son pays d’origine aurait été justifié par des faits qui se seraient produits quelques jours avant celui-ci respectivement par les actes de violence dont il aurait fait l’objet lors de sa détention par la police serbe au cours de laquelle il aurait été violemment frappé à tel point qu’il garderait encore aujourd’hui des séquelles physiques et psychiques. Il précise qu’il aurait été battu à plusieurs reprises et grièvement blessé, de sorte qu’il se trouverait aujourd’hui sans une seule dent et ce parce que sa famille aurait publiquement soutenu la cause des Bochniaques. Il relève en outre que ses deux frères auraient été tués par la police serbe et que son troisième frère aurait disparu dans des conditions suspectes alors que son père, le seul survivant d’un attentat dans un train, serait menacé actuellement pour qu’il se taise sur les exactions commises pendant la période de guerre par les militaires serbes. Il conclut que le caractère d’exceptionnelle gravité des persécutions dont il aurait été victime résulterait des séquelles physiques et psychiques découlant de l’agression dont il aurait fait l’objet et que dès lors il rentrerait dans le champ d’application de la Convention de Genève.

A titre subsidiaire, il demande l’annulation de la décision attaquée pour violation du droit de la défense alors qu’il aurait été auditionné malgré son état psychique et physique désolant lequel nécessiterait un traitement adéquat avant toute audition respectivement avant toute prise de décision. Il continue que l’autorité administrative malgré sa demande officielle ayant trait à la suspension de la procédure lui permettant de se soumettre à un traitement médical afin qu’il puisse exprimer valablement ses craintes dans le cadre de la demande d’asile, n’aurait pas tenu compte de cette demande pour en fin de compte lui adresser une décision de refus.

A titre encore plus subsidiaire, Monsieur … demande, en se fondant sur l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, l’institution d’une expertise par la nomination d’un psychiatre afin de déterminer s’il était et est toujours en mesure d’exprimer valablement ses craintes au sens de la Convention de Genève dans le cadre de sa demande d’asile.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement fait valoir que Monsieur … n’aurait pas fait état d’une crainte avec raison d’être persécuté au sens de la Convention de Genève et que la simple appartenance à une minorité religieuse ou ethnique ne saurait justifier l’octroi du statut de réfugié, d’autant plus que la situation politique au Monténégro aurait favorablement évolué. Quant à l’audition, il soulève que le ministère de la Justice serait dans l’obligation de procéder à l’audition des demandeurs d’asile d’autant plus que le comportement de Monsieur … ne laissait présumer aucun trouble psychique. Il ajoute que s’il est vrai que l’audition a révélé une personnalité troublée et que l’agent du ministère de la Justice a demandé au commissaire de Gouvernement aux étrangers de faire passer un examen médical le plus complet possible et un examen psychologique de Monsieur …, la même demande aurait été adressée au demandeur lui-même. Cependant le seul certificat parvenu au ministère de la Justice serait celui du docteur … attestant la tuberculose de Monsieur …, de sorte qu’il faudrait bien admettre que les troubles mentaux du demandeur ne proviendraient pas des mauvais traitements et que le demandeur n’aurait pas fait preuve du lien de causalité entre son état de santé et les prétendues persécutions, de sorte que le ministre aurait correctement apprécié la situation du demandeur. Enfin il souligne que les mauvais traitements invoqués par Monsieur … ne seraient repris à aucun moment dans l’audition de son beau-frère et de sa belle-sœur également demandeurs d’asile.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Concernant la procédure d’instruction de la demande en obtention du statut de réfugié politique, Monsieur … conclut à l’annulation de la décision critiquée pour violation des droits de la défense.

Les moyens d’annulation tirés de la violation des droits de la défense soulèvent la question de la régularité de la procédure à suivre par l’administration lors de l’instruction de la demande d’admission au statut de réfugié politique.

Même dans le cas où le tribunal serait amené à statuer sur un recours en réformation, il peut se limiter à ne prononcer que l’annulation de la décision critiquée et à renvoyer l’affaire devant l’administration. Il en est plus spécialement ainsi lorsque l’instruction du dossier est irrégulière dans la mesure où les droits de la défense ont été violés1 .

Il résulte de l’audition de Monsieur … passée le 15 novembre 2001, que celui-ci fait état de mauvais traitements et de coups et blessures. Il soutient qu’après 1993, il aurait été maltraité environ 10 fois par an par la police serbe au point d’en garder des séquelles et de n’avoir plus de dents.

Il est établi par les pièces versées au dossier que le mandataire de Monsieur … a demandé dans le cadre de son recours gracieux introduit en date du 2 juillet 2002 la suspension de la procédure, alors que l’état de santé et notamment l’état psychique et mental de son mandant nécessiterait un suivi médical par un médecin psychiatre ou un psychologue pour que Monsieur … puisse valablement exprimer ses craintes.

Il est également établi, selon les dires du mandataire de Monsieur … confirmés par les affirmations du délégué du Gouvernement, qu’ « il est vrai que l’audition a révélé une personnalité troublée », de sorte que les services du ministère de la Justice ont adressé, le 30 janvier 2002, une demande à Madame le Commissaire de Gouvernement aux étrangers aux fins d’un examen médical de Monsieur ….

1 Trib. adm. 16 avril 1997, n° du rôle 9673, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n°7, p.518 La demande est libellée de la façon suivante :

« Avec prière de faire passer un examen médical le plus complet possible à Monsieur … qui prétend avoir été frappé à la poitrine et à la tête.

Il présente un certificat médical du docteur … (ci-joint) diagnostiquant la tuberculose.

Un examen psychiatrique serait aussi indiqué vu l’incohérence du discours de Monsieur ….

Prière de nous faire tenir votre avis sur son état de santé ainsi que sur l’existence de séquelles d’éventuels mauvais traitements ».

Le 22 février 2002, le Commissariat du Gouvernement aux étrangers fait parvenir au ministère de la Justice le rapport signé d’une infirmière diplômée et non d’un médecin, ayant la teneur suivante :

« concerne état de santé de Monsieur … Lors de mon entretien avec Monsieur …, le 13.02.02, il m’a raconté avoir été frappé en 1993 par la police et la police militaire (Bijelo Polje /Yu). Son père ayant été témoin d’une attaque de train a dû témoigner. Quant la police est venu chercher le père, Monsieur … dit avoir été frappé du seul fait de sa présence.

Cette histoire me semble assez confuse ! Je lui ai conseillé de consulter un médecin-psychiatre.

Concernant la tuberculose, Monsieur … a été hospitalisé à l’Hôpital de la Ville d’Esch-sur-Alzette (pneumologie, Dr….), du 20.08.01-06.06.01.

Actuellement il est sous traitement d’antibiotiques (un tel traitement peut durer de 6 mois à 1 an, mais le malade n’est plus contagieux). Le prochain contrôle chez Dr… est au mois de mars ».

Il échet au tribunal de constater que le rapport prévisé du 22 février 2002 ne répond pas aux différents points précisés lors de la demande, à savoir :

- faire passer un examen médical ;

- faire passer, le cas échéant, un examen psychiatrique ;

- un avis sur l’état de santé ;

- un avis sur l’existence de séquelles d’éventuels mauvais traitements.

Face à cette réponse de loin insuffisante à la demande expresse et explicite formulée par l’autorité compétente, il aurait appartenu à celle-ci de demander un complément d’informations.

L’autorité compétente, en passant outre cette information incomplète et en en tirant des conclusions par un renversement de la charge de la preuve (Finalement, il faut bien admettre que les troubles mentaux du requérant ne proviennent pas de mauvais traitements. Le requérant ne prouvant pas le lien de causalité entre son état et les prétendues persécutions), sans pourtant avoir disposé d’indices tangibles et suffisants permettant de dégager que les déclarations du demandeur à la base de sa demande d’asile, malgré l’incohérence de son discours constatée par le ministre lui-même, ont pu être utilement considérées, a basé sa décision sur des faits qui, en l’état actuel du dossier et plus particulièrement au vu des doutes subsistant quant à l’état de santé mentale du demandeur, ne sauraient être retenus comme étant établis à suffisance.

Eu égard au fait qu’une instruction plus en avant du dossier au regard notamment à l’état de santé mentale du demandeur aurait été de nature à exercer une influence déterminante sur la décision prise, il y a lieu de prononcer dans le cadre du recours en réformation, l’annulation de la décision ministérielle du 15 mai 2002, ainsi que de celle implicite de confirmation dudit ministre se dégageant de son silence observé pendant plus de trois mois par rapport au recours gracieux introduit en date du 2 juillet 2002, sans qu’il ne soit nécessaire d’analyser les autres moyens invoqués par le demandeur.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 15 mai 2002 et celle implicite confirmative et renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 avril 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15553
Date de la décision : 02/04/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-04-02;15553 ?

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