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02/04/2003 | LUXEMBOURG | N°15322

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 avril 2003, 15322


Tribunal administratif N° 15322 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 septembre 2002 Audience publique du 2 avril 2003

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Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15322 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 septembre 2002 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Monsieur …, né le … à Gjakove/Djakovica (Kosovo/ex-Yougoslavie), de nationalité yougoslave, ...

Tribunal administratif N° 15322 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 septembre 2002 Audience publique du 2 avril 2003

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Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15322 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 septembre 2002 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gjakove/Djakovica (Kosovo/ex-Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 juin 2002, notifiée le 26 juin 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre en date du 31 juillet 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Olivier LANG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 30 avril 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut encore entendu en date du 28 mai 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 5 juin 2002, notifiée le 26 juin 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Vous expliquez que, en tant que Rom, vous seriez chassé de partout. Des Albanais vous auraient attaqués, vous et votre famille le 19 avril 2002. Ils vous auraient chassés de votre maison et, grâce à la KFOR, vous auriez trouvé refuge dans une église. Vos parents se trouveraient encore dans cette église et ils ne recevraient des secours que de la KFOR.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti politique, mais votre père aurait été membre du Parti Askali.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que vous reconnaissez être sous la protection de la KFOR et que vous n’apportez pas la preuve que, le cas échéant, cette organisation ne serait pas en mesure de continuer à vous protéger, vous et votre famille.

Il résulte surtout de vos dires que vous éprouvez un sentiment général d’insécurité qui ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer au Monténégro ou en Serbie pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

De toutes façons, une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place au Kosovo. Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A la suite d’un recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur … auprès du ministre de la Justice en date du 30 juillet 2002, ce dernier confirma sa décision initiale par un courrier du 31 juillet 2002.

Par requête déposée le 4 septembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 5 juin et 31 juillet 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours contentieux, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo, de confession musulmane et qu’il appartiendrait à la minorité des « Roms », qu’il aurait quitté son pays d’origine pour échapper à des persécutions dirigées à l’encontre des membres de l’ethnie « Rom », persécutions que les autorités actuellement investies du pouvoir au Kosovo ne seraient pas capables de prévenir. Dans ce contexte, il fait état d’actes de violence qu’il subirait de la part de membres des communautés serbe et albanaise « allant de la simple intimidation en vue de l’empêcher de vendre ses marchandises sur le marché local à l’attaque à l’arme blanche », qui seraient à l’origine de son sentiment permanent d’insécurité qui se serait aggravé du fait qu’en date du 19 avril 2002, un groupe d’Albanais portant des masques aurait pénétré pendant la nuit dans la maison de sa famille, située à Djakovica, et qu’à cette occasion, les membres de ce groupe auraient agressé son père et menacé sa famille « des pires sévices », en les chassant finalement de leur domicile. A la suite de cet événement, les forces de l’ordre, agissant dans le cadre de la KFOR, auraient placé tous les membres de sa famille dans une église située à Djakove dont ils n’auraient plus pu sortir de peur de s’exposer à un danger réel pour leurs personnes. Ne pouvant supporter cet enfermement dans cette église, le demandeur expose avoir fui son pays d’origine, après avoir passé cinq jours au sein de cette église, pour rejoindre le Luxembourg où il aurait dès le lendemain déposé sa demande d’asile auprès des autorités compétentes.

Quant à la possibilité d’obtenir une protection appropriée par les autorités actuellement en place au Kosovo, le demandeur expose qu’à part le fait de le tenir enfermé dans une église, ensemble avec ses parents « et trois dames âgées serbes », les autorités militaires agissant sous l’égide de l’ONU seraient actuellement dans l’impossibilité de fournir une protection adéquate aux membres des minorités résidant au Kosovo, afin de garantir ainsi la survie des personnes se trouvant sous leur protection.

Il soutient encore que contrairement à la motivation retenue par le ministre de la Justice dans sa décision incriminée du 5 juin 2002, la possibilité d’une fuite interne ne saurait motiver le refus de reconnaissance du statut de réfugié politique, alors qu’un tel motif ne pourrait être invoqué qu’à la base des décisions prises en vertu des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 par lesquelles sont déclarées manifestement infondées des demandes d’asile introduites au Luxembourg.

D’une manière générale, il expose que depuis la fin du conflit armé au Kosovo et le retrait de l’armée fédérale yougoslave de ce territoire, certains membres de la communauté albanaise se livreraient à des actes de vengeance et de persécution contre les ressortissants serbes et les ressortissants d’autres minorités vivant au Kosovo, de sorte à constituer une menace permanente tant pour les biens que pour les vies de ces personnes. Dans ce contexte, il relève que la situation des « Roms » serait particulière, dans la mesure où ils seraient considérés comme des traîtres aux yeux des Albanais du fait de leur participation – forcée dans la majorité des cas - à des opérations militaires dirigées contre les Albanais par l’armée et la police serbes avant l’intervention de la force armée internationale. En outre, les membres de la minorité « Rom » risqueraient également d’être persécutés par des membres de la communauté serbe, craignant d’être dénoncés par les « Roms » qui, sous le régime du président Milosevic, auraient été témoins de leurs actes et crimes de guerre commis au Kosovo.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Il se dégage de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 28 mai 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur établit à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de son appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, et plus particulièrement de celle des « Roma », il échet de relever qu’il ressort d’un rapport du UNHCR daté de janvier 2003 portant sur la « continued protection needs of individuals from Kosovo », qu’alors même que des améliorations ont pu être constatées pour les autres communautés ethniques du Kosovo, et que la situation du point de vue de la sécurité est stabilisée dans de nombreuses régions, les membres notamment de la communauté des « Roma », continuaient à faire face à de sérieux problèmes de sécurité, de sorte que leur sécurité physique continuerait à être précaire. Ainsi, ces problèmes de sécurité comprendraient des attaques à la grenade et des violences physiques dirigées contre les membres de la communauté des « Roma », s’ajoutant à d’autres discriminations et mesures de marginalisation, entraînant que leur liberté de circulation est restreinte d’une manière générale. Ledit rapport continue en disant que même s’il y a eu des retours volontaires de membres de la communauté des « Roma » à des endroits géographiques spécifiques, cet état des choses ne reflèterait toutefois pas une amélioration substantielle générale concernant leur situation au Kosovo, d’autant plus que ces retours volontaires ont exigé une planification détaillée et appropriée.

Il se dégage encore dudit rapport qu’à part le fait que tout membre de la minorité ethnique visée est, en raison de la seule appartenance à cette minorité, exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, les autorités actuellement en place sont dans l’incapacité de poursuivre les infractions commises à leur égard et d’arrêter les auteurs de ces infractions (« law enforcement authorities, the non response from the latter, failing to follow up, to identify and prosecute perpetrators or enforce appropriate legal measures perpetuates the sense of insecurity and helplessness »). Le rapport indique également un manque d’efficacité de la part des autorités chargées de l’application des lois (« lack of a credible function of the law enforcement authorities »).

Il suit de ce qui précède que tant les explications fournies par le demandeur que celles résultant du rapport précité de l’UNHCR mettent suffisamment en évidence non seulement les persécutions que tout membre de la minorité des « Roms » risque de subir au Kosovo, mais également les graves difficultés auxquelles sont confrontées les autorités actuellement en place au Kosovo pour protéger notamment les membres de la minorité des « Roms ».

En ce qui concerne la possibilité de fuite interne, il échet de relever, à partir du prédit rapport de l’UNHCR, que d’une manière générale, les déplacements des personnes à l’intérieur de l’ancienne République fédérale de Yougoslavie ne peuvent pas se faire dans des conditions offrant une protection appropriée et raisonnable et qu’en tout état de cause de tels déplacements ne constituent pas des alternatives efficaces aux mesures de protection internationales offertes notamment par la Convention de Genève.

Il s’ensuit qu’à défaut par le délégué du gouvernement d’avoir rapporté des éléments permettant d’établir, en l’espèce, que le demandeur, en sa qualité de membre de l’ethnie des « Roms », peut accéder à un endroit, soit au Monténégro, soit en Serbie, où il peut bénéficier d’un séjour et d’une protection efficaces, il échet de conclure qu’il n’est pas établi que le demandeur, en sa qualité de membre de la prédite ethnie minoritaire soit en mesure de trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que c’est à tort que le ministre de la Justice a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, de sorte qu’il y a lieu de réformer les décisions ministérielles entreprises des 5 juin et 31 juillet 2002 et d’accorder à Monsieur … le statut de réfugié politique.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant reconnaît à Monsieur … le statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève ;

renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 2 avril 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15322
Date de la décision : 02/04/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-04-02;15322 ?

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