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26/03/2003 | LUXEMBOURG | N°16134

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 mars 2003, 16134


Tribunal administratif N° 16134 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2003 Audience publique du 26 mars 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16134 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au t

ableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité irakien...

Tribunal administratif N° 16134 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2003 Audience publique du 26 mars 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16134 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité irakienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 février 2003 ordonnant une mesure de placement pour la durée maximum d’un mois à son encontre ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 mars 2003.

Il ressort d’un procès-verbal référencé sous le numéro 12058 de la police grand-ducale, circonscription régionale d’Esch-sur-Alzette, unité CI-Dudelange, du 15 février 2003 que Monsieur …, alias …, fit l’objet à la même date d’un contrôle policier dans l’enceinte de l’aire de Berchem après y avoir été déposé par un autobus immatriculé en Turquie et qu’il n’a pas pu présenter de documents d’identité.

Après avoir fait l’objet d’une mesure de rétention ordonnée par le parquet de Luxembourg en date du 16 février 2003, Monsieur … fut placé, par arrêté du ministre de la Justice du 17 février 2003, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois. La décision de placement fut fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valables ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- qu’un éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’une demande de reprise en charge conformément à la Convention de Dublin sera adressée aux autorités néerlandaises ;

- qu’en attendant l’accord des autorités néerlandaises, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée en date du 17 mars 2003, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 17 février 2003.

Le délégué du Gouvernement conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours pour absence d’intérêt à agir dans le chef du demandeur, en faisant valoir que la décision litigieuse du 17 février 2003 a perdu ses effets en date du 17 mars 2003, date du dépôt du recours.

Il est constant à partir de pièces versées au dossier que la décision de placement litigieuse avait été prise pour la durée maximale d’un mois, de manière à avoir sorti ses effets jusqu’au 17 mars 2003, de sorte que ledit 17 mars était le dernier jour utile pour introduire un recours devant le tribunal administratif. S’il est par ailleurs certes vrai que ni la réformation, ni l’annulation de la décision de placement prise à l’égard du demandeur ne sauraient désormais avoir un effet concret, faute pour le demandeur d’être placé encore à l’heure actuelle au Centre de séjour sur base de la décision litigieuse, celui-ci garde néanmoins un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure de la part de la juridiction administrative, de sorte que le moyen d’irrecevabilité soulevé par le délégué du Gouvernement laisse d’être fondé pour autant que le recours met en cause la légalité de l’arrêté ministériel litigieux.

Il se dégage des considérations qui précèdent que même si l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, instaure un recours au fond en la matière, le tribunal ne saurait en l’espèce connaître du recours en réformation introduit que dans la limite des moyens de légalité présentés, le recours étant pour le surplus à considérer comme étant devenu sans objet, faute pour le demandeur d’être actuellement encore placé au Centre de séjour par l’effet de la décision litigieuse.

A l’appui de son recours, le demandeur soulève en premier lieu la nullité respectivement l’inapplicabilité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, pour défaut de base légale, estimant que la loi modifiée du 27 juin 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire n’offrirait pas de base légale suffisante à la création, par voie de règlement grand-ducal, d’une structure spécifique au sein du Centre Pénitentiaire de Luxembourg destinée à accueillir les étrangers faisant l’objet d’une mesure de placement.

Le demandeur conclut encore à une absence de motivation de la décision sous analyse, en ce qu’elle ne respecterait pas les conditions jurisprudentielles relatives à la précision des motifs, dans la mesure où elle ne contiendrait que des formules générales et abstraites, sans qu’il n’y soit fait état des raisons de fait concrètes se trouvant à sa base.

Monsieur … invoque ensuite « l’absence des conditions pour prononcer une mesure de placement », au motif que l’autorité administrative resterait en défaut de prouver un risque réel dans son chef de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure, que pareil risque ne résulterait ni de la décision attaquée, ni du dossier administratif alors qu’il aurait vécu avant son placement ensemble avec son épouse dans un foyer mis à leur disposition par le ministère de la Famille et que le seul motif de l’absence de toute pièce d’identité serait dépourvu de tout fondement, alors que l’autorité administrative aurait parfaitement su qu’il est un demandeur d’asile.

Le demandeur fait valoir ensuite que les démarches requises de la part du ministre de la Justice en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois seraient inexistantes au vu du dossier administratif, alors que les autorités luxembourgeoises auraient connaissance du pays européen à partir duquel il s’est rendu sur le territoire luxembourgeois, en l’occurrence les Pays-Bas, de sorte qu’une expulsion ou un refoulement dans son chef n’auraient nullement été impossibles.

A titre subsidiaire, le demandeur conclut encore au caractère disproportionné de la mesure de placement tant au regard de la loi du 28 mars 1972 précitée qu’au regard de sa situation personnelle.

Le délégué du Gouvernement estime que les conditions justifiant la décision de mise à disposition du Gouvernement entreprise seraient remplies et que le recours laisserait d’être fondé. Il signale par ailleurs que dès le 20 février 2003 une demande de reprise a été adressée aux autorités néerlandaises, demande qui a fait l’objet d’un rappel en date du 6 mars 2003, ainsi que, suivant les indications orales fournies à l’audience, en date du 19 mars 2003.

En ce qui concerne tout d’abord le reproche tiré d’une indication insuffisante des motifs, voire d’une absence de motivation de la décision incriminée, il échet de constater, à la simple lecture de la décision précitée du 17 février 2003, que celle-ci contient d’une manière détaillée les motifs en droit et en fait se trouvant à sa base, notamment l’indication des circonstances de fait relatives à la situation personnelle de Monsieur …, de sorte que le moyen tiré de l’utilisation de formules passe-partout et abstraites doit être écarté comme n’étant pas fondé.

Concernant ensuite la légalité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, c’est à juste titre que le délégué du Gouvernement a relevé que la base légale est donnée par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, tel que cela ressort d’ailleurs du libellé même dudit règlement grand-ducal. Dans ce contexte, il est indifférent que le Conseil d’Etat, au moment de l’élaboration de la loi du 27 juillet 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire, a estimé que l’intervention du législateur serait de mise pour l’hypothèse d’une modification des attributions d’un établissement pénitentiaire, étant donné que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière n’est pas à considérer comme un établissement pénitentiaire.

Il s’ensuit que le moyen tiré de la nullité du prédit règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 n’est pas fondé.

Concernant ensuite le reproche tiré de « l’absence des conditions pour prononcer une mesure de placement », il est constant en cause que la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion. Il convient partant d’examiner si la mesure en question est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972] ;

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement, à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

Encore faut-il que la mesure afférente soit prise légalement, c'est-à-dire pour un des motifs prévus par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 auquel renvoie l’article 15.

En l’espèce, parmi les motifs invoqués au moment de la prise de la décision de placement du 17 février 2003, le ministre de la Justice a fait état du fait que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au pays et qu’il n’est pas en possession de moyens d’existence personnels suffisants.

Or, il est patent en cause que Monsieur … ne dispose ni des papiers de légitimation prescrits, ni de moyens d’existence personnels suffisants, de manière à remplir les conditions légales telles que fixées par la loi luxembourgeoise sur base desquelles une mesure de refoulement a valablement pu être prise à son encontre.

Pour le surplus, il est constant d’après les affirmations non contestées en cause que par application de la décision litigieuse, Monsieur … fut placé non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au nouveau Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière créé par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, de sorte que le caractère approprié de l’établissement au sens de l’article 15 (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée se dégage d’un texte réglementaire et ne saurait dès lors plus être sujet à discussion.

En effet, dans la mesure où il n’est pas contesté que Monsieur … fut en situation irrégulière à la date de son placement et qu’il a fait l’objet d’une décision de placement sur base dudit article 15 en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois, il rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée par l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 précité, de sorte que toute discussion sur l’existence d’un risque de fuite dans son chef se révèle désormais non pertinente en la matière, étant donné que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent par essence un risque de fuite, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Cette conclusion ne saurait être énervée par l’affirmation du demandeur qu’avant son placement il aurait vécu ensemble avec son épouse dans un foyer mis à leur disposition par le ministère de la Famille, étant donné que cette affirmation est contredite par les éléments du dossier tel que fourni au tribunal suivant lesquels le demandeur a déclaré avoir rejoint le Grand-Duché de Luxembourg par camion à partir d’Istanbul, sans pour autant faire état de son épouse, voire d’un éventuel séjour préalable au Grand-Duché de Luxembourg dans un foyer mis à sa disposition par le ministère de la Famille.

Finalement, c’est encore à juste titre que le ministre de la Justice expose que des démarches nécessaires ont dû être entreprises en vue de l’éloignement de Monsieur … du territoire luxembourgeois, étant donné qu’il est dépourvu de papiers d’identité valables et qu’il s’est avéré qu’il avait précédemment déposé une demande d’asile sur le territoire des Pays-Bas, de sorte que les démarches en vue d’une reprise en charge de l’intéressé par les autorités néerlandaises ont valablement pu être entamées, étant donné que conformément aux dispositions de l’article 10 de la loi du 20 mai 1993 portant approbation de la Convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés Européennes, l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile en application des critères définis par cette Convention est tenu de mener à terme l’examen de la demande d’asile, voire de réadmettre ou de reprendre le demandeur d’asile dans la demande est en cours d’examen ou dont il a rejeté la demande et qui se trouve irrégulièrement dans un autre Etat membre, tel le cas en l’espèce.

Dans la mesure où ces démarches sont documentées en cause par un courrier adressé dès le 20 février 2003 aux autorités néerlandaises, ainsi que par des rappels datant des 6 et 19 mars 2003, il ne saurait en l’espèce être reproché aux autorités luxembourgeoises de ne pas avoir entrepris des démarches suffisantes en vue de l’éloignement de Monsieur ….

Au vu de ce qui précède, le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation dans la limite des moyens de légalité invoqués ;

le déclare sans objet pour le surplus ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 mars 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16134
Date de la décision : 26/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-26;16134 ?

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