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26/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15773

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 mars 2003, 15773


Tribunal administratif N° 15773 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2002 Audience publique du 26 mars 2003 Recours formé par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15773 du rôle et déposée le 20 décembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Madame …, née le … à Tutin (Serbie/ex-

Yougoslavie), agissant tant en son nom personnel...

Tribunal administratif N° 15773 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2002 Audience publique du 26 mars 2003 Recours formé par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15773 du rôle et déposée le 20 décembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Tutin (Serbie/ex-

Yougoslavie), agissant tant en son nom personnel qu’en celui de son enfant mineur …, né le … à Novi Pazar (Serbie/ex-Yougoslavie), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 4 septembre 2002, notifiée le 8 octobre 2002, par laquelle ledit ministre aurait « déclaré manifestement infondée » leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, étant précisé qu’il s’agit, en réalité, d’une décision portant rejet – au sens non pas de l’article 9, mais de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire – de leur demande en reconnaissance dudit statut, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 18 novembre 2002 suite à un recours gracieux formulé par les demandeurs le 8 novembre 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 26 juin 2002, Madame … …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de son enfant mineur …, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».Madame … fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut ensuite entendue le 8 juillet 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 4 septembre 2002, notifiée le 8 octobre 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande en obtention du statut de réfugié avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Novi Pazar le 20 juin 2002 pour prendre place dans une voiture noire qui vous a emmenée d’abord à Belgrade. Vous avez ensuite poursuivi votre route jusqu’au Luxembourg, mais vous ignorez quels pays vous avez traversés. Vous êtes arrivée au Luxembourg le 25 juin 2002.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 26 juin 2002.

Vous exposez que vous avez pris la décision de quitter votre pays car vous auriez des ennuis avec la famille du père de votre fils ….

En effet, au début de votre grossesse, le père de l’enfant vous aurait quitté pour aller vivre en Allemagne. Vous auriez alors continué à vivre dans la famille de votre ex-ami jusqu’à ce que votre fils ait huit mois. Les grands-parents paternels de l’enfant auraient alors intenté une procédure judiciaire pour obtenir la garde de … mais ils auraient été déboutés.

Malgré ce jugement, ils seraient prêts à tout pour vous enlever l’enfant.

Aux Services de Police Judiciaire, vous avez encore dit que vous demandiez l’asile économique au Luxembourg car vous ne disposeriez pas dans votre pays de revenus suffisants pour subvenir aux besoins de votre fils.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Votre conflit avec votre « belle-famille » et vos ennuis financiers ne répondent à aucun des critères de fonds définis par la Convention de Genève. En effet, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre recours doit en outre être tenu pour abusif.

Or, l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire [énonce qu’] « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 8 novembre 2002, Madame … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 4 septembre 2002.

Par décision du 18 novembre 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 20 décembre 2002, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de son enfant mineur …, a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 4 septembre et 18 novembre 2002.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours, la loi prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière.

Il est vrai que l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaure un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées.

Il est cependant vrai encore que si un demandeur a expressément qualifié son recours dans la requête introductive d’instance de recours en annulation et qu’il conclut à la seule annulation de la décision attaquée, comme c’est le cas en l’espèce, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où, même en présence de la possibilité d’introduire un recours en réformation, le demandeur peut se borner à conclure à l’annulation, en n’invoquant que les seuls moyens de légalité, à condition d’observer les règles de procédure spéciales pouvant être prévues et les délais dans lesquels le recours doit être introduit.

En l’espèce, le recours a été introduit dans les formes et délai de la loi, de sorte que le mérite du recours est à examiner sous l’angle et dans la limite des moyens d’annulation soulevés, en l’occurrence un seul moyen consistant à reprocher au ministre de la Justice une erreur d’appréciation manifeste en ce qu’il aurait, à tort, retenu que les faits invoqués par la demanderesse ne constitueraient pas une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans ce contexte, la demanderesse fait exposer être originaire de la ville de Tutin en Serbie et qu’elle aurait quitté son pays d’origine en raison des problèmes rencontrés avec la famille du père de son fils …, famille qui serait disposée à enlever l’enfant, malgré une procédure judiciaire qui leur fut défavorable. Madame … estime, qu’en tant que musulmane elle ne réussirait pas à obtenir la protection des autorités policières dans son pays d’origine en vue de lui garantir la possibilité de garder son enfant, de sorte qu’elle a décidé de quitter la Serbie.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de la demanderesse. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 5 avril 2001, n°12801C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 35).

En l’espèce, sur base des éléments du dossier, l’examen des déclarations faites par Madame …, lors de son audition du 8 juillet 2002, telle que celle-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le seul motif de persécution dont Madame … fait état dans son recours contentieux, à savoir les menaces d’enlèvement de son enfant …, même à les supposer établies, elles ne sauraient être qualifiées d’acte de persécution à connotation politique au sens de la Convention de Genève. En effet, il se dégage du récit fourni par la demanderesse que ces menaces s’inscrivent tout au plus dans le cadre de la criminalité de droit commun et il ne ressort pas non plus des éléments du dossier que ces menaces seraient cautionnées par les autorités en place. Pour le surplus, il ressort encore de l’audition de Madame … devant l’agent du service de police judiciaire que celle-ci a encore quitté la Serbie en raison de la situation économique précaire y régnant.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 26 mars 2003, par le président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15773
Date de la décision : 26/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-26;15773 ?

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