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26/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15533

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 mars 2003, 15533


Tribunal administratif N° 15533 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 octobre 2002 Audience publique du 26 mars 2003

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Recours formé par Monsieur … et Madame … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15533 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAZADEH, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dragas...

Tribunal administratif N° 15533 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 octobre 2002 Audience publique du 26 mars 2003

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Recours formé par Monsieur … et Madame … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15533 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dragas (Kosovo/ex-Yougoslavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Dragas, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 15 mai 2002, notifiée le 4 juin 2002, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision implicite de confirmation dudit ministre se dégageant de son silence observé pendant plus de trois mois par rapport au recours gracieux par eux introduit en date du 1er juillet 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 22 novembre 2001, Monsieur … et son épouse Madame …, agissant en leur nom personnel, ainsi qu’en celui de leur enfant mineur …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 15 mars 2002, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur leurs motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 15 mai 2002, leur notifiée en date du 4 juin 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Suisse le 21 novembre 2001 pour le Luxembourg. En effet, les demandes d’asile que vous aviez déposées dans ce pays venaient d’être rejetées et vous faisiez l’objet d’un ordre de quitter le territoire.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié politique à Luxembourg le 22 novembre 2001.

Monsieur, vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire car vous auriez, en tant que chef de famille, obtenu un sursis en 1995. Vous auriez, par la suite, réussi à vous faire déclarer inapte au service.

Vous exposez aussi que, juste après votre mariage, en septembre 2000, vous auriez quitté le Kosovo pour aller en Suisse.

Vous dites ne pas vouloir retourner au Kosovo car la situation des Goranais y serait précaire. Vous auriez été battu à plusieurs reprises par des Albanais. Ceux-ci reprocheraient aux Goranais d’avoir pris parti pour l’armée régulière yougoslave pendant la guerre du Kosovo. Il vous auraient battu pour savoir si vous cachiez encore une arme et si vous avez pillé leurs maisons pendant la guerre du Kosovo. Vous dites avoir essayé en vain de déménager de Dragas à Orcusa, mais vous auriez reçu, dans ce village, des lettres de menaces. Vous ajoutez qu’en 1995, vous auriez habité et travaillé à Belgrade, mais que la situation n’y serait pas bonne pour vous, car votre nom aurait une consonance trop albanaise.

Vous, Madame, vous exposez que, bien que Goranaise, vous avez toujours vécu à Belgarde où réside encore toute votre famille. Vous n’auriez quitté la capitale qu’au moment de votre mariage. Pour le surplus, vous confirmez les dires de votre mari.

Ni l’un ni l’autre n’auriez été membre d’un parti politique et vous n’auriez jamais pris part à des manifestations politiques.

Je constate d’abord que vous dites avoir payé le montant de 2.000.- francs suisses pour venir au Luxembourg. Cette somme, vous l’auriez économisée sur l’aide sociale reçue en Suisse. Il est néanmoins hautement improbable que vous ayez pu, avec le seul montant de l’aide aux réfugiés, mettre de côté un tel montant. Il est, en effet, improbable que vous ayez passé dix-huit mois en Suisse sans dépenser d’argent, ceci d’autant plus que vous avez aussi dû faire face aux frais inhérents à la naissance de votre enfant.

Je prends note d’ailleurs que vous vous êtes opposés à ce que le Ministère de la Justice demande communication de votre dossier de demande d’asile en Suisse, et ceci malgré le consentement de votre avocat.

Quoiqu’il en soit, je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Pour ce qui est de la situation au Kosovo, force est de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’y est installée et qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

En ce qui concerne la situation plus précise des Goranais, il ressort qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait plus être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, les Albanais du Kosovo ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la prédite Convention.

Je constate de plus que vous avez l’un comme l’autre des attaches avec la Serbie puisque, vous, Monsieur, y avez travaillé pendant plusieurs mois et que vous, Madame, y avez vécu depuis votre plus jeune âge et y avez accompli toute votre scolarité. Vous ne faites état, ni l’un, ni l’autre, de difficultés particulières à Belgrade. Vous, Madame, vos expliquez cependant qu’on aurait jeté un jour des rats morts dans votre jardin, mais rien ne prouve que cette plaisenterie, d’un goût pour le moins douteux, procède d’un sentiment de xénophobie contre les Goranais.

Vous auriez donc pu sans difficulté vous installer définitivement dans cette région et profiter d’une possibilité d’une fuite interne.

Je dois constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raisons de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de leur mandataire datant du 1er juillet 2002, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 15 mai 2002. Celui-ci n’ayant pas fait l’objet d’une décision du ministre dans les trois mois qui s’en suivirent, les consorts …-… ont fait déposer, tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur, un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus du 15 mai 2002 et celle implicite confirmative se dégageant du silence observé par le ministre par rapport à leur recours gracieux, par requête datant du 31 octobre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre les décisions ministérielles déférées.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Kosovo, de confession musulmane, qu’ils feraient partie de la minorité des « Goranais » et qu’ils auraient quitté leur pays d’origine en septembre 2000 pour la Suisse, au motif que la situation des Goranais du Kosovo aurait été et serait toujours précaire. Dans ce contexte, Monsieur … explique qu’il aurait été battu à plusieurs reprises par des Albanais qui reprocheraient au Goranais d’avoir pris parti pour l’armée régulière yougoslave pendant la guerre du Kosovo. Monsieur … ajoute encore qu’il aurait dénoncé ces faits auprès de la KFOR mais que cette autorité internationale ne pourrait pas assurer la sécurité de chaque personne. Les demandeurs exposent encore que suite à ces agressions ils auraient quitté le ville de Dragas pour s’installer dans la ville d’Orcuse, ville située à 200 mètres de la frontière albanaise, mais que la vie y serait également impossible étant donné que les Albanais feraient des incursions régulières au Kosovo pour commettre des actes de persécution à l’égard des non-Albanais. Finalement dans le cadre de leur recours contentieux les demandeurs sollicitent encore l’annulation de la décision ministérielle pour « violation du droit de la défense ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Concernant tout d’abord le moyen d’annulation tiré de la violation alléguée « du droit de la défense », il échet de constater que mis à part le libellé abstrait de ce moyen au dispositif de la requête, les demandeurs n’ont pas indiqué en quoi et dans quelle mesure leurs droits de la défense auraient été violés par le ministre de la Justice, de sorte qu’elles ont mis le tribunal administratif dans l’impossibilité d’apprécier si effectivement pareils droits ont le cas échéant pu être violées en l’espèce. Il échet de rappeler en effet dans ce contexte qu’un demandeur, dans le cadre d’un recours contentieux, doit formuler les moyens à la base de son recours avec une précision telle que le tribunal, appelé à statuer, soit mis en mesure d’analyser in concreto la légalité de la décision déférée. Il lui incombe de fournir des éléments concrets sur lesquels il se base aux fins de voir établir l’illégalité qu’il allègue (cf.

trib. adm. 9 décembre 1997, Pas. adm. 2002, V° Procédure contentieuse, n° 130 et autres références y citées). Il y a par ailleurs lieu d’ajouter que sur base des pièces et éléments qui sont à la disposition du tribunal, celui-ci n’a pas pu constater une quelconque violation des droits de la défense des demandeurs.

Il suit des considérations qui précèdent que le moyen ainsi formulé est à écarter comme non-fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er , section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, concernant des persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques, elles ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes. Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par le demandeur d’asile.

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de persécutions de la part d’Albanais à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité des Goranais. Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant un rapport récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, la situation de sécurité générale des Goranais du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the overall security situation of Kosovo Gorani has remained stable with no direct attacks during the reviewing period. (…) Within Dragash inter-ethnic relations with Albanians are slowly relaxing. At this time, Gorani do not face security threats »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002, la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas de conclure que la situation générale des Goranais au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Il suit de ce qui précèdent que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 26 mars 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15533
Date de la décision : 26/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-26;15533 ?

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