La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15381

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 mars 2003, 15381


Tribunal administratif N° 15381 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 septembre 2002 Audience publique du 26 mars 2003

=============================

Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

--------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15381 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 septembre 2002 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déc

larant agir dans le cadre de l’assistance judiciaire, au nom de M. …, né le …, de nationalité cap-verdie...

Tribunal administratif N° 15381 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 septembre 2002 Audience publique du 26 mars 2003

=============================

Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

--------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15381 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 septembre 2002 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déclarant agir dans le cadre de l’assistance judiciaire, au nom de M. …, né le …, de nationalité cap-verdienne, sans état particulier, ayant demeuré à L-…, actuellement sans domicile ni résidence connu, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision prise par le ministre de la Justice le 20 juin 2002, par laquelle l’entrée et le séjour au Luxembourg lui ont été refusés ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 14 janvier 2003 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique déposé le 7 février 2003 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en ses plaidoiries.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Par arrêté du 20 juin 2002, le ministre de la Justice refusa l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg à M. … aux motifs qu’il ne disposait pas de moyens d’existence personnels et qu’il constituait par son comportement un danger pour l’ordre et la sécurité publics.

Par requête déposée le 23 septembre 2002, M. … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de ladite décision ministérielle précitée du 20 juin 2002.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit en ordre principal, au motif qu’un tel recours n’est pas prévu en la matière.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 4, et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande principale en réformation de la décision critiquée.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, le demandeur soutient en premier lieu que la décision ministérielle litigieuse n’énoncerait pas une motivation suffisante en droit et en fait.

Ledit moyen d’annulation est cependant à écarter, étant donné que, même en admettant que le reproche soit justifié, le défaut d’indication des motifs ne constitue pas une cause d’annulation des décisions ministérielles prises, pareille omission d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir. En effet, au vœu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, la motivation expresse d’une décision administrative peut se limiter à un énoncé sommaire de son contenu et il suffit, pour qu’un acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment de la prise de décision, quitte à ce que l’administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours de la procédure contentieuse, ce qui a été le cas en l’espèce, étant donné que les motifs énoncés dans la décision ministérielle, ensemble les compléments apportés par le représentant étatique au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause ont permis au demandeur d’assurer la défense de ses intérêts en connaissance de cause, c’est-

à-dire sans qu’il ait pu se méprendre sur la portée de la décision ministérielle querellée.

En second lieu, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir procédé au « retrait d’une décision créatrice de droits », en l’occurrence d’avoir prétendument procédé au retrait de ses carte d’identité et permis de séjour, sans l’avoir, conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, informé de son intention et ainsi, sans l’avoir mis en mesure de présenter ses observations préalablement à la prise de la décision critiquée.

Ledit moyen d’annulation laisse cependant d’être fondé, étant donné qu’il est erroné à sa base. En effet, il se dégage des éléments d’appréciation soumis au tribunal qu’au moment de la prise de la décision litigieuse, le demandeur, majeur depuis le 15 juin 2002, était dépourvu d’un titre l’autorisant à résider légalement au Grand-Duché de Luxembourg. Il convient de préciser dans ce contexte que s’il est vrai que la mère de M. … avait introduit le 21 novembre 2000 une demande en obtention d’une carte de séjour au Grand-Duché de Luxembourg pour son fils, à l’époque encore mineur, cette demande est cependant restée sans réponse de la part des autorités compétentes, équivalant ainsi à un refus de délivrance d’un titre de séjour valable pour le Luxembourg, fait d’ailleurs non contesté par le demandeur. En outre, cette conclusion n’est pas non plus affectée par l’argumentation développée par le demandeur dans son mémoire en réplique, consistant à soutenir qu’il n’aurait pas eu besoin de solliciter une carte de séjour, au motif qu’avant sa majorité, son autorisation de séjour aurait été « garantie » par le permis de séjour de ses père et mère, étant donné que, même abstraction faite de ce qu’au moment de la prise de décision de refus d’entrée et de séjour l’intéressé était majeur, il se dégage de l’article 4 du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux formalités à remplir par les étrangers séjournant au pays que tout étranger âgé de plus de quinze ans doit souscrire une demande de carte d’identité d’étranger à la commune de sa résidence.

Le demandeur a encore reproché au ministre de la Justice d’avoir omis de solliciter l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers.

Selon l’article 1er du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif à la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission consultative en matière de police des étrangers, l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers doit être sollicité dans cinq cas de figure, à savoir les décisions de refus de renouvellement d’une carte d’identité d’étranger, de retrait de la carte d’identité, d’expulsion du titulaire d’une carte d’identité valable, de révocation d’une autorisation temporaire de séjour et d’éloignement d’un réfugié reconnu au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ou d’un apatride au sens de la Convention de New York du 28 septembre 1954 se trouvant régulièrement au pays.

Or, comme la situation du demandeur ne rentre dans aucun de ces cinq cas de figure, l’autorité administrative n’a pas contrevenu à la règle de la saisine obligatoire de la commission consultative en matière de police des étrangers et le moyen afférent laisse également d’être fondé.

Le demandeur conteste ensuite le bien fondé de la décision querellée, au motif que le ministre de la Justice aurait tort de retenir qu’il serait susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics. Dans cet ordre d’idées, il soutient qu’il n’aurait pas encore subi de condamnation pénale et que la décision critiquée violerait le principe de la présomption d’innocence.

Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, (…) ».

Or, force est de relever qu’il se dégage des éléments d’appréciation soumis au tribunal que le demandeur de par son comportement a d’ores et déjà gravement contrevenu à l’ordre public et il se dégage de son comportement passé qu’il est susceptible de constituer une menace grave pour la sécurité, la santé et l’ordre publics et qu’on ne saurait reprocher au ministre de la Justice d’avoir méconnu la disposition légale prévisée, ni d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des circonstances de fait.

Cette conclusion s’impose suite à l’examen des pièces soumises à l’appréciation du tribunal, à savoir :

-

deux jugements du tribunal de la Jeunesse près le tribunal d’arrondissement de Diekirch des 7 juillet 1999 et 18 octobre 2001 ainsi qu’un jugement du tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, du 16 mai 2002, desquels il se dégage que Monsieur … a respectivement été condamné au placement à la section disciplinaire du Centre pénitentiaire à Schrassig pour une durée de trois mois, à son placement à la prédite section disciplinaire jusqu’à l’âge de 18 ans accomplis et à l’accomplissement d’un travail d’intérêt général non rémunéré d’une durée de 240 heures pour avoir respectivement volontairement fait des blessures ou porté des coups à T.M., soustrait le contenu d’un portefeuille appartenant à autrui, commis un cel frauduleux, causé des blessures ou porté des coups ayant causé une incapacité de travail personnelle, menacé verbalement, avec ordre ou sous condition, d’un attentat contre les personnes ou les propriétés, résisté avec violence ou menaces envers les dépositaires ou agents de la force publique, agissant pour l’exécution des lois, des ordres ou ordonnances de l’autorité publique, des mandats de justice ou jugements, outragé par parole, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, un agent public et verbalement menacé, non accompagné d’ordre ou de condition, d’un attentat contre les personnes ou les propriétés et comme auteur ayant commis lui-

même les infractions, avoir extorqué, par violence et menaces, la remise de fonds, avoir commis un vol à l’aide de violences et de menaces, avoir commis deux autres vols à l’aide de violences, et avoir tenté de commettre un vol à l’aide de violences, à une époque où il n’était âgé que de 16 ans ;

-

un rapport du commandant du commissariat de police de Heiderscheid du 30 novembre 2000 énumérant 10 procès-verbaux dressés à l’encontre du demandeur pour menaces et attentat avec injure contre un enseignant, vols, coups et blessures volontaires, dégradation d’objets ne lui appartenant pas, détention, transport et consommation de drogues, recel, injures d’un agent des forces de l’ordre ;

-

un rapport circonstancié du juge de la Jeunesse près du tribunal d’arrondissement de Diekirch du 10 juin 2002, qualifiant le demandeur de « bombe à retardement, une fois relâché dans notre société », à l’encontre duquel il y aurait lieu de prendre des mesures « draconiennes », au vu de son comportement violent et dangereux et de sa fréquentation du milieu de la drogue par le biais duquel il risquerait de financer son train de vie « une fois sorti de prison » où, à l’époque du rapport, il était placé en section disciplinaire jusqu’à l’âge de 18 ans accomplis ;

-

un rapport établi en date du 17 avril 2002 par l’enseignant ayant dirigé la classe scolaire dont le demandeur faisait partie au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, relatant un incident qui s’est produit au cours d’une leçon, pendant laquelle le demandeur a montré un comportement dangereux et violent à l’égard du prédit enseignant et n’a pas respecté l’autorité de celui-ci en refusant de suivre ses instructions ;

-

un rapport d’un psychologue du 15 avril 2002 adressé au directeur adjoint du Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig dont il ressort que dans le chef du demandeur, il existerait un risque de récidive et qu’il recommanderait à son profit de suivre une thérapie de réhabilitation sociale à l’étranger, ainsi que 10 décisions disciplinaires ;

-

un rapport disciplinaire et 3 comptes rendus d’incidents rédigés à l’encontre de Monsieur … au cours de son séjour au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, portant sur des faits qui se sont produits pendant la période allant du 25 octobre 2001 au 28 mai 2002.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, que le ministre de la Justice a refusé l’entrée et le séjour au pays à M. …, sans qu’il y ait encore lieu d’examiner le second motif de refus énoncé par le ministre à l’appui de sa décision, ni les moyens d’annulation afférents soulevés, cette analyse étant surabondante.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le moyen soulevé par le demandeur et tiré du droit au regroupement familial, tel qu’il se dégage de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En effet, même en admettant l’existence d’une vie familiale effective au Luxembourg avec ses père et mère ou avec sa fiancée et l’enfant de cette dernière, dont il soutient être le père, - la réalité de l’existence de pareille vie familiale étant contestée par le délégué du gouvernement, mais offerte en preuve par le demandeur -, la mesure litigieuse, compte tenu des circonstances de l’espèce, constitue en tout état de cause une intervention légalement prévue, ainsi qu’une mesure justifiée et proportionnée par rapport au but poursuivi par le ministre de la Justice.

Enfin, c’est encore à tort que le demandeur soutient que l’arrêté litigieux serait vicié, au motif qu’il omettrait de lui reconnaître un délai pour quitter le territoire et qu’il ne pourrait ainsi pas prendre « les dispositions élémentaires ». En effet, cette conclusion se dégage des dispositions de l’article 7 de la loi précitée du 28 mars 1972 au titre duquel le refus de l’autorisation de séjour entraîne pour l’étranger « l’obligation de quitter le territoire luxembourgeois endéans le délai imparti, qui commencera à courir à partir de la notification de la décision », et de la considération que contrairement aux ressortissants communautaires pour lesquels un délai minimal a été fixé par l’article 12 du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, ledit article 7 n’a pas prévu de délai minimal, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le délai exigé par l’article 7 peut être égal à zéro, tel étant le cas en l’espèce en présence d’une invitation à quitter le territoire dès la notification de l’arrêté litigieux, l’essentiel étant qu’un délai ait été formulé de manière déterminée (cf. Cour adm. 21 novembre 2000, n° 12156C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 116 et autre référence y citée).

Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle est légalement fondée et que le demandeur doit être débouté de son recours.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, ainsi qu’un mémoire en réplique, le jugement est rendu contradictoirement entre parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 26 mars 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15381
Date de la décision : 26/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-26;15381 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award