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26/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15201

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 mars 2003, 15201


Numéro 15201 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2002 Audience publique du 26 mars 2003 Recours formé par Madame …, …, et consort contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15201 du rôle, déposée le 2 août 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscri

t au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, et de sa ...

Numéro 15201 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2002 Audience publique du 26 mars 2003 Recours formé par Madame …, …, et consort contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15201 du rôle, déposée le 2 août 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, et de sa fille, Mademoiselle …, née le …, toutes les deux de nationalité russe, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 23 janvier 2002 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative implicite du même ministre suite au silence par lui observé face au recours introduit pour leur compte par courrier du 4 avril 2002;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 janvier 2003.

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Le 27 septembre 1999, Madame … et sa fille, Mademoiselle … …, préqualifiées, désignées ci-après par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue en dates des 21 mars 2000, 19 avril 2000, 5 décembre 2000 et 4 janvier 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, tandis que l’audition de Mademoiselle … … eut lieu le 4 janvier 2001.

Le ministre de la Justice informa les consorts … par décision du 23 janvier 2002, notifiée en date du 4 mars 2002, de ce que leur demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’elles n'allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécutions en raison de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans leur chef.

Le recours gracieux formé par les consorts … à travers un courrier de leur mandataire du 4 avril 2002 étant resté sans réponse de la part du ministre, elles ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle initiale de rejet du 23 janvier 2002 et de la décision confirmative implicite se dégageant du silence observé par le ministre par rapport à leur recours gracieux du 4 avril 2002 par requête déposée en date du 2 août 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Les demanderesses reprochent tout d’abord au ministre de ne pas avoir respecté un délai raisonnable, alors que leur demande d’asile date du 27 septembre 1999 et que le ministre aurait été en possession de tous les éléments requis depuis le 4 janvier 2001 pour instruire leur demande dans un délai raisonnable, de manière que les décisions entreprises devraient encourir l’annulation pour détournement de pouvoir et violation de la loi.

Il convient en premier lieu de relever qu’il est établi par les pièces versées au dossier que préalablement à la décision ministérielle déférée, les demanderesses ont fait l’objet d’auditions détaillées et individuelles par un agent du service de police judiciaire, ainsi que par un agent du ministère de la Justice en présence d’un traducteur assermenté.

En ce qui concerne la durée qui s’est écoulée entre l’audition des consorts … et la prise des décisions litigieuses, force est de constater que les demanderesses restent en défaut d’indiquer en quoi leurs droits auraient été lésés, étant donné que, d’une part, le ministre de la Justice est appelé à statuer sur base des déclarations des demanderesses en tenant compte de la situation telle qu’elle se présente à l’heure où il statue, c’est-à-dire qu’il doit tenir compte des changements de situation qui sont intervenus depuis l’audition du demandeur d’asile et qui sont de nature à influencer le sort à réserver à la demande d’asile et que, d’autre part, les demanderesses n’indiquent pas dans leur recours en quoi leur situation particulière ou celle de leur pays d’origine auraient évolué depuis leurs auditions sans que pareil changement n’ait été pris en considération par le ministre dans le cadre de sa décision initiale du 23 janvier 2002.

Il s’ensuit que le reproche d’une violation des droits de la défense des demanderesses ne saurait être utilement retenu en l’espèce, à défaut d’éléments concrets avancés à cet égard.

Les demanderesses soulèvent ensuite un moyen d’annulation tiré de ce que les décisions du ministre de la Justice devraient encourir l’annulation pour défaut de motivation, dans la mesure où ces décisions auraient fait l’objet d’une instruction insuffisante. Elles soutiennent à ce titre que le ministre, dans le cadre de sa décision initiale, n’aurait pas pris en considération les risques particuliers de persécution existant dans leur chef et n’aurait pas procédé à un examen approfondi des pièces par elles versées, de manière qu’à l’appui de leur recours gracieux, elles auraient sollicité une mesure d’instruction supplémentaire dont l’objet aurait été de « clarifier l’objet de cet aspect du dossier », mais que le ministre de la Justice, en confirmant simplement sa décision initiale à défaut d’éléments pertinents nouveaux, aurait tout simplement omis de prendre en considération cette demande. Elles estiment qu’il découlerait de ces considérations que les décisions déférées seraient insuffisamment motivées et que le tribunal serait dans l’impossibilité d’évaluer le bien fondé de leur demande.

En l’espèce, il y a lieu de retenir que le ministre était informé sur les faits à la base de la demande d’asile en cause et qu’il s’est également prononcé à cet égard dans sa décision litigieuse du 23 janvier 2002, de sorte qu’en l’absence de faits nouveaux soumis par les demanderesses au ministre dans le cadre de leur recours gracieux - celui-ci comportant en substance certaines précisions par rapport aux faits déjà invoqués antérieurement par les demanderesses -, une instruction supplémentaire de leur demande d’asile n’était pas requise.

Le ministre a dès lors pu s’estimer utilement informé quant à la situation de fait des demanderesses et il a pu se référer, dans sa décision confirmative à la motivation -

exhaustive en fait et en droit - contenue dans la décision initiale.

Il s’ensuit que le moyen afférent n’est pas fondé et doit être écarté.

Quant au fond, les demanderesses, appartenant à la communauté juive, reprochent au ministre de ne pas avoir tenu compte du fait qu’elles auraient quitté leur pays d’origine afin de se soustraire à des persécutions et violences dont elles auraient été les victimes de la part d'éléments extrémistes néo-nazis du groupe RNE (Union Nationale Russe) en raison de leur seule appartenance ethnique et qu’elles n’auraient pas pu se réclamer utilement de la protection des autorités russes. Elles font exposer à cet égard qu’elles auraient subi des menaces et injures de la part de ces groupes néo-nazis et que Madame … aurait même dû être hospitalisée durant trois semaines après avoir été agressée par ces groupes. Elles ajoutent que le mari de Madame … aurait été assassiné dans des conditions suspectes à l’entrée de son immeuble dans la nuit du 4 au 5 juillet 1999, les meurtriers ayant laissé des tracts anti-juifs près du lieu du crime, que cette dernière aurait été violée par des membres du même groupe extrémiste le 8 juillet 1999 après l’enterrement de son mari et que leur appartement aurait fait l’objet d’un incendie criminel dans la nuit du 14 au 15 septembre 1999. Elles font valoir que Madame … aurait déposé plainte auprès de la police dès le lendemain de l’agression à son encontre, mais que les autorités n’auraient pas affiché une volonté réelle de défendre ses intérêts malgré la gravité des faits en enregistrant simplement la plainte qui par la suite aurait donné lieu à des non-lieux. Les demanderesses soutiennent que ce serait à tort que le ministre a retenu dans leur chef l’existence d’une possibilité de fuite interne, étant donné que cette considération ne saurait fonder que le rejet d’une demande d’asile comme étant manifestement infondée.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demanderesses et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, v° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demanderesses lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les différents comptes-rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demanderesses restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, même en admettant que les doutes soulevés par le délégué du Gouvernement quant à la réalité du récit des demanderesses et à l’authenticité des pièces par elles versées, ne soient pas de nature à énerver globalement la crédibilité de leur récit, force est au tribunal de constater que les demanderesses font essentiellement état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre de la part des membres d’un groupement antisémite ou de sympathisants dudit groupe.

Or, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. En effet, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-

Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). En outre, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

En l’espèce, il ressort des pièces versées en cause que Madame … a déposé deux plaintes, la première le 2 mars 1999 pour avoir été frappée par quatre hommes près d’un arrêt d’autobus en raison de son appartenance à la communauté juive, et la seconde le 8 juillet 1999 après avoir été violée par des personnes inconnues. Les demanderesses ont soumis la copie d’un avis relatif à la prise d’une ordonnance du 24 juin 1999 relative au classement sans suites de la plainte pénale concernant l’agression du 2 mars 1999 laquelle motive le dit classement par les considérations « de l’insuffisance des pièces réunies pour identifier les personnes ayant accompli des actes illicites ». Les considérations à la base de cette motivation ne sont pas de nature à indiquer un refus de poursuites contre les auteurs de l’agression incriminée par la plainte de Madame … pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève, mais relèvent plutôt du domaine de la preuve des infractions alléguées. En outre, il ressort des pièces versées en cause que la plainte relative au viol du 8 juillet 1999 a fait l’objet d’une instruction de la part des autorités compétentes, vu que le dossier comporte notamment des copies d’une ordonnance du 8 juillet 1999 ordonnant une expertise médicale, d’une ordonnance recevant la constitution de partie civile de Madame … et une ordonnance du 27 août 1999 ordonnant la mise en mouvement d’une action pénale sur base des signes de l’infraction de viol, mais qu’elle a fait l’objet d’une décision de non-lieu au 9 septembre 1999 sur base de certaines dispositions du code de procédure pénale de la Fédération de Russie. Même si l’avis relativement à la décision de non-lieu ne comporte pas l’indication des éléments de fait à la base du classement sans suites, il ne ressort d’aucun élément du dossier que cette décision soit fondée sur l’un des motifs visés par la Convention de Genève plutôt que sur un motif de droit commun. Il s’ensuit que les éléments soumis par les demanderesses sont insuffisants pour établir concrètement que les autorités russes tolèrent voire encouragent systématiquement des agressions notamment à l’encontre des personnes d’origine juive ou qu’elles ne soient structurellement pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Russie, notamment de ceux appartenant à la communauté juive.

Pour le surplus, les risques allégués par les demanderesses se limitent à la région de Saint-Petersbourg et elles restent en défaut d’établir qu’elles ne peuvent pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Russie, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, n° 40 et autres références y citées). C’est à tort que les demanderesses affirment dans ce cadre que « cette considération légale » de l’existence d’une possibilité de fuite interne ne pourrait être appliquée que dans le cadre d’une demande d’asile déclarée manifestement infondée, étant donné que dans la mesure où ce motif de refus est expressément prévu comme l’un des motifs limitativement énumérés pouvant justifier le rejet d’une demande comme étant manifestement infondée, il doit a fortiori pouvoir être pris en compte dans le cadre d’un examen au fond d’une demande d’asile.

Il résulte des développements qui précèdent que les demanderesses restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demanderesses aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 mars 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15201
Date de la décision : 26/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-26;15201 ?

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