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19/03/2003 | LUXEMBOURG | N°16113

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 mars 2003, 16113


Tribunal administratif Numéro 16113 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mars 2003 Audience publique du 19 mars 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16113 du rôle, déposée le 11 mars 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationa

lité palestinienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situ...

Tribunal administratif Numéro 16113 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mars 2003 Audience publique du 19 mars 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16113 du rôle, déposée le 11 mars 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité palestinienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 13 février 2003 ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 13 février 2003, le ministre de la Justice ordonna à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants:

« Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- qu’un éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

1 Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée le 11 mars 2003 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision de placement du 13 février 2003.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur soulève en premier lieu la nullité respectivement l’inapplicabilité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, pour défaut de base légale, estimant que la loi modifiée du 27 juin 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire n’offrirait pas de base légale suffisante à la création, par voie de règlement grand-ducal, d’une structure spécifique au sein du Centre Pénitentiaire de Luxembourg destinée à accueillir les étrangers faisant l’objet d’une mesure de placement.

Monsieur … invoque ensuite « l’absence des conditions pour prononcer une mesure de placement », au motif que l’autorité administrative serait dans l’impossibilité de procéder à son refoulement, celui-ci ayant été rendu impossible du fait du dépôt de sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié politique, en vertu de l’article 33 de la Convention de Genève et de l’article 14 de la loi précitée du 28 mars 1972.

Enfin, il conteste encore que le Centre de séjour provisoire pour étrangers, dans la mesure où il est situé au sein du Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, constitue un établissement approprié pour l’exécution de la mesure de placement ordonnée à son encontre.

Il conclut partant à voir ordonner sa mise en liberté dans les plus brefs délais, en insistant sur son état de détresse psychologique et son impossibilité de faire face à un milieu « aussi inhumain » que le Centre pénitentiaire de Schrassig.

Le délégué du gouvernement renvoie à l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 comme base légale du règlement grand-ducal précité du 20 septembre 2002, qui prévoit dans son alinéa 1er que les étrangers en situation irrégulière peuvent être placés dans un « établissement approprié ». Par conséquent, le règlement grand-ducal en question aurait été pris sur une base légale valable et il n’y aurait partant pas de violation de l’article 36 de la Constitution.

En ce qui concerne le reproche tiré de l’illégalité de la mesure de placement, il conclut que Monsieur …, en sa qualité de demandeur d’asile, pourrait être maintenu en « rétention administrative », à partir du moment où il a déposé sa demande d’asile après avoir été mis à la disposition du gouvernement, afin de permettre son identification pour déterminer la compétence du Grand-Duché de Luxembourg, sur base de la Convention de Dublin du 15 juin 1990 relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile 2présentée dans l’un des Etats membres des Communautés européennes, pour analyser sa demande d’asile. Il expose dans ce contexte qu’à partir du moment où le ministère de la Justice a eu connaissance du dépôt de la demande d’asile, il aurait entamé des recherches et envoyé les empreintes digitales ainsi que des demandes d’information aux pays « voisins » sur base de l’article 15 de la Convention de Dublin. Dans la mesure où de telles recherches et procédures risqueraient de prendre un mois, et où les agents du ministère de la Justice et du service de police judiciaire auraient agi avec un maximum de diligences, la mesure de placement serait légalement justifiée.

Enfin, il conteste que le placement litigieux constitue une mesure disproportionnée, en rappelant que Monsieur … est placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière et non pas au Centre Pénitentiaire proprement dit, de sorte à être séparé des autres détenus.

Concernant tout d’abord le reproche tiré de « l’absence des conditions pour prononcer une mesure de placement », il est constant en cause que la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion. Il convient partant d’examiner si la mesure en question est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972];

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement, à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

En l’espèce, parmi les motifs invoqués à l’appui de la décision de placement, le ministre de la Justice fait état du fait que le demandeur se trouvait en séjour irrégulier au pays.

Dans la mesure où il est constant que le demandeur n’est en possession ni de papiers de légitimation prescrits, ni de visa, une mesure de refoulement telle que prévue par l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 était en principe justifiée à son égard au moment de la prise de la décision litigieuse.

3Ceci étant, il convient encore d’examiner l’incidence du dépôt d’une demande d’asile par Monsieur …, notamment au regard du principe de non refoulement tel qu’il se dégage des articles 33 de la Convention de Genève et 14 de la loi précitée du 28 mars 1972.

Dans ce contexte, il convient de relever qu’il se dégage tant de la requête introductive d’instance que du mémoire en réponse du délégué du gouvernement, que Monsieur … a effectivement introduit une demande d’asile au sens de la Convention de Genève en date du 4 mars 2003, qu’il l’a réitérée en date du 12 mars 2003 et que son audition par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, prévue pour le 12 mars 2003, n’a pas pu avoir lieu, alors que contrairement à l’accord obtenu par son mandataire suivant lequel cette audition pouvait avoir lieu en son absence, Monsieur … a refusé de répondre aux questions qui lui ont été posées.

Or, s’il est admis en l’espèce que Monsieur … a posé une demande d’asile, force est néanmoins également de relever qu’il n’est pas moins constant en cause que le demandeur n’a pas soumis sa demande d’asile spontanément en se présentant aux autorités luxembourgeoises dès son arrivée au Luxembourg, mais seulement après avoir été intercepté à l’occasion d’une opération de contrôle par la police grand-ducale, tel que cela ressort d’un procès-verbal n° 65126 du 13 février 2003, suivant lequel ledit contrôle de police a eu lieu le 31 janvier de la même année. Dans la mesure où l’irrégularité du séjour du demandeur était dès lors patente préalablement à l’introduction de sa demande d’asile et que ce dernier n’avait manifestement pas l’intention de s’adresser directement à cette fin aux autorités luxembourgeoises, le ministre pouvait valablement maintenir la mesure de placement à l’encontre de Monsieur … afin de mettre ses services en mesure de vérifier l’identité de Monsieur …, d’autant plus que celui-ci indique lui-même deux identités différentes, ainsi qu’une date de naissance qui, après examen médical, se révèle être fausse, et afin de clarifier la question de la compétence de l’Etat luxembourgeois pour connaître de sa demande d’asile à la lumière notamment de la Convention de Dublin.

Ceci dit, lesdites mesures de vérification doivent être diligentées dans un délai nécessairement bref, afin d’assurer un éloignement de sa personne dans les meilleurs délais, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum la privation de liberté, même si le placement a lieu non pas dans un Centre pénitentiaire, mais dans une partie spéciale aménagée en centre de séjour provisoire.

En l’espèce, force est de constater qu’au vu notamment du défaut de collaboration de Monsieur … avec les autorités compétentes pour traiter sa demande d’asile, en refusant notamment, en date du 12 mars 2003, de répondre aux questions qui auraient dû lui être posées par l’agent du ministère de la Justice chargé de l’interroger sur les motifs de sa demande d’asile et sur son identité, de l’indication de deux identités différentes, ainsi que d’une date de naissance erronée, et du procès-verbal de la police grand-ducale du 13 mars 2003, dont il ressort que des démarches ont été effectuées afin de déterminer la compétence du Grand-Duché de Luxembourg pour traiter la demande d’asile du demandeur, la condition de la possibilité d’un éloignement était toujours vérifiée au jour de l’introduction du présent recours, qui constitue par ailleurs la date d’expiration de la première mesure de placement prise à l’encontre du demandeur, de sorte que le ministre a valablement pu maintenir le demandeur en placement, dans l’attente de l’établissement de son identité et de la mise en œuvre des formalités préalables à sa demande d’asile.

4Concernant ensuite la légalité du prédit règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement a relevé que la base légale est donnée par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, tel que cela ressort d’ailleurs du libellé même dudit règlement grand-ducal. Dans ce contexte, il est indifférent que le Conseil d’Etat, au moment de l’élaboration de la loi du 27 juillet 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire, a estimé que l’intervention du législateur serait de mise pour l’hypothèse d’une modification des attributions d’un établissement pénitentiaire, étant donné que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière n’est pas à considérer comme un établissement pénitentiaire.

Il s’ensuit que le moyen tiré de la nullité du prédit règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 n’est pas fondé.

Pour le surplus, il est constant d’après les affirmations non contestées en cause que par application de la décision litigieuse, Monsieur … fut placé non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au nouveau Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière créé par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, de sorte que le caractère approprié de l’établissement au sens de l’article 15 (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, se dégage d’un texte réglementaire et ne saurait dès lors plus être sujet à discussion.

En effet, dans la mesure où il n’est pas contesté que Monsieur ABOUHMAD fut en situation irrégulière à la date de son placement et qu’il subit une mesure de rétention administrative sur base dudit article 15 en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois, il rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée par l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 précité, de sorte que toute discussion sur l’existence d’un risque de fuite dans son chef se révèle désormais non pertinente en la matière, étant donné que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent par essence un risque de fuite, fut-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Au vu de ce qui précède, le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

5 Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 19 mars 2003 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16113
Date de la décision : 19/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-19;16113 ?

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