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19/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15503

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 mars 2003, 15503


Tribunal administratif Numéro 15503 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 octobre 2002 Audience publique du 19 mars 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15503 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pristina (Kosovo/ex-Yougo

slavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Pec (Kosovo), agissant tant en leur nom pe...

Tribunal administratif Numéro 15503 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 octobre 2002 Audience publique du 19 mars 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15503 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pristina (Kosovo/ex-Yougoslavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Pec (Kosovo), agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 14 mai 2002, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision implicite de confirmation dudit ministre se dégageant de son silence observé pendant plus de trois mois par rapport au recours gracieux par eux introduit en date du 28 juin 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise du 14 mai 2002 ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Le 10 mai 1999, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leur enfant mineur …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 9 novembre 1999, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur leurs motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 14 mai 2002, leur notifiée le 4 juin 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivés au Luxembourg le 10 mai 1999 vers 10.00 heures.

Monsieur, vous exposez que l’armée serait venue vous emmener à la réserve militaire en avril 1999. Vous auriez déserté le 27 avril 1999 en raison de votre peur de la guerre.

Vous indiquez que vous n’auriez pas subi de persécutions personnelles.

Vous auriez surtout peur des Albanais parce que vous auriez fait l’armée pendant la guerre. Des Albanais vous auraient vu garder l’hôpital de Mitrovica. Vous expliquez que votre maison aurait partiellement brûlée et qu’elle aurait été pillée lors du retour des Albanais du Kosovo.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari et vous n’invoquez pas d’éléments de persécution personnelle. Vous auriez peur des Serbes et des Albanais en raison de votre appartenance ethnique.

Force est de constater que l’arme fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les diverses élections qui ont eu lieu après la fin du conflit armé en mai 1999 se sont conclues avec des victoires des partis modérés et des défaites des partis extrémistes. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

De même, les Serbes et les Albanais du Kosovo ne sauraient être considérés comme étant des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Vous déclarez cependant tous les deux que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions.

Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans ces circonstances vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d’asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de leur mandataire daté au 16 mars 2002, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 14 mai 2002. Celui-ci n’ayant pas fait l’objet d’une décision du ministre dans les trois mois qui s’en suivirent, ils ont fait déposer, tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants …, un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus du 14 mai 2002 et celle implicite confirmative se dégageant du silence observé par le ministre par rapport à leur recours gracieux, par requête datant du 28 octobre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo, de nationalité yougoslave, de confession musulmane et qu’ils appartiennent à la minorité ethnique des « bochniaques ». Ils font valoir que leur départ de leur pays d’origine aurait été motivé par le fait que Monsieur … aurait « reçu l’ordre de quitter le Kosovo », étant donné que leur maison familiale aurait été détruite par l’armée serbe. Ils font valoir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, Monsieur … risquerait d’être attrapé et maltraité par des militants extrémistes de l’UCK, lesquels considéreraient la minorité bosniaque comme ayant trahi la cause albanaise et collaboré avec les Serbes pendant la proclamation de l’état de guerre. Dans la mesure où des actes de persécution seraient régulièrement perpétrés par des Albanais à l’égard de non-albanais du seul fait de leur origine ethnique, les demandeurs estiment que face à l’impuissance de l’administration civile mise en place au Kosovo par rapport aux nombreuses exactions de la part de la communauté albanaise, ce serait à tort que le ministre a refusé de faire droit à leur demande d’asile.

Les demandeurs soulèvent en outre deux moyens d’annulation basés sur ce que, d’une part, leur demande d’asile n’aurait pas été instruite dans un délai raisonnable, tel que l’exigerait pourtant la Convention européenne des droits de l’homme et, d’autre part, ils n’auraient plus été entendus suite à leur audition du 9 novembre 1999, de sorte qu’ils n’auraient pas pu s’exprimer relativement à la situation existant actuellement dans leur pays d’origine.

Le délégué du Gouvernement estime que les moyens d’annulation laissent d’être fondés et que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

Concernant en premier lieu les deux moyens d’annulation soulevés relativement au respect d’un délai raisonnable et d’une instruction insuffisante de la demande d’asile des demandeurs, qui sont préalables, il échet de relever que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, telle qu’approuvée par la loi du 29 août 1953, ne s’applique qu’à des contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil, ainsi que sur le bien-fondé d’accusations en matière pénale. Or, comme les contestations en matière de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève ne sont à considérer ni comme des contestations à caractère civil ni comme des contestations à caractère pénal, elles ne tombent partant pas sous le champ d’application de l’article 6 précité qui, pour le surplus, ne vise que des procédures juridictionnelles et non pas des procédures administratives.

Concernant le second moyen d’annulation soulevé par les demandeurs, il convient en premier lieu de relever qu’il est constant en cause que préalablement à la décision ministérielle initiale du 14 mai 2002, les demandeurs ont fait l’objet d’une audition par un agent du service de police judiciaire, ainsi que d’auditions détaillées séparées par un agent du ministère de la Justice en présence d’un traducteur assermenté sur les motifs à la base de leur demande d’asile. En ce qui concerne la durée qui s’est écoulée entre les auditions des demandeurs et la prise des décisions entreprises, force est de constater que les demandeurs restent en défaut d’indiquer en quoi leurs droits auraient été lésés, étant donné que, d’une part, le ministre de la Justice est appelé à statuer sur base des déclarations des intéressés en tenant compte de la situation telle qu’elle se présente à l’heure où il statue, c’est-à-dire qu’il doit nécessairement tenir compte de tous les changements de situation qui sont intervenus depuis l’audition d’un demandeur d’asile et qui sont de nature à influencer le sort à réserver à sa demande d’asile et, d’autre part, les demandeurs n’indiquent pas dans leur recours en quoi leur situation particulière ou celle de leur pays d’origine auraient évolué depuis leurs auditions sans que pareil changement n’ait été pris en considération par le ministre dans le cadre de sa décision du 14 mai 2002, voire dans la confirmation implicite.

Quant au bien fondé de la demande d’asile, l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er , section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques, elles ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes. Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile.

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité des « bochniaques ». Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des « bochniaques », est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant un rapport récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, auquel s’est référé le mandataire des demandeurs en termes de plaidoiries, la situation de sécurité générale des « bochniaques » du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the general security situation of Kosovo Bosniaques remains stable with no incidents of serious violence »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Bosniaques au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

En l’espèce, les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit une crainte personnelle de persécution, voire une incapacité des autorités en place d’assurer leur protection, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs au frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 19 mars 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15503
Date de la décision : 19/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-19;15503 ?

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