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19/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15403

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 mars 2003, 15403


Numéro 15403 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2002 Audience publique du 19 mars 2003 Recours formé par Mademoiselle …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15403 du rôle, déposée le 27 septembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Aloyse MAY, avocat à la Cour, assisté de

Maître Marielle STEVENOT, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avoc...

Numéro 15403 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2002 Audience publique du 19 mars 2003 Recours formé par Mademoiselle …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15403 du rôle, déposée le 27 septembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Aloyse MAY, avocat à la Cour, assisté de Maître Marielle STEVENOT, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mademoiselle …, née le … , de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 1er juillet 2002, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 27 août 2002 prise sur recours gracieux, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marielle STEVENOT et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 janvier 2003.

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Le 19 février 2002, Mademoiselle …, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Mademoiselle … fut entendue en date du 5 avril 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Mademoiselle … par décision du 1er juillet 2002, notifiée par courrier recommandé du 24 juillet 2002, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’elle n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécutions en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par Mademoiselle … à travers un courrier de son mandataire du 22 août 2002 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 27 août 2002, elle a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 1er juillet et 27 août 2002 par requête déposée en date du 27 septembre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse, originaire du Kosovo et d’origine bochniaque, reproche au ministre de ne pas avoir pris en compte ses craintes réelles de persécution, étant donné qu’elle aurait été maltraitée à plusieurs reprises par des hommes masqués et qu’elle aurait craint en permanence d’être violée comme l’auraient été de nombreuses femmes de la région. Elle estime que son appartenance au groupe social des femmes l’exposerait dès lors à un risque réel de persécution et fonderait ainsi une crainte justifiée de persécution, laquelle se trouverait confirmée par le dernier rapport du Secrétaire Général des Nations Unies sur la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) qui constaterait la persistance de nombreux meurtres, enlèvements, pillages et viols. La demanderesse se prévaut également d’une déposition effectuée par son père auprès des forces internationales dont il résulterait que sa famille aurait été persécutée, de manière qu’elle pourrait légitimement craindre de subir le même sort que ses proches parents.

Quant au motif retenu dans les décisions déférées tiré du fait que les actes de persécution invoqués auraient émané de groupements privés ne pouvant être qualifiés d’agents de persécution au sens de la Convention de Genève, la demanderesse affirme que le prédit rapport sur la MINUK démontrerait à suffisance que les démarches nécessaires en vue d’assurer une protection appropriée ne seraient pas entreprises par les autorités en place, les agressions et viols étant très fréquents, et qu’elle aurait recherché ensemble avec sa famille la protection des forces de la MINUK, ainsi qu’en attesterait la déposition prévisée. La demanderesse conteste que la Bosnie-Herzégovine puisse être qualifiée de premier pays d’accueil en raison de son seul séjour de quelques semaines chez une tante, la Bosnie devant encore actuellement faire face à des tensions inter-ethniques au sein de sa population, et que la protection des minorités au Kosovo serait présentement assurée du fait de la présence des forces internationales de la MINUK et des élections parlementaires au Kosovo.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition en date du 5 avril 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la situation actuelle dans le pays d’origine, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Dans la mesure où les persécutions avancées par la demanderesse n’émanent pas d’autorités publiques de son pays d’origine, mais de groupes de la population, en l’occurrence d’hommes masqués que la demanderesse soupçonne d’être d’origine albanaise, il y a lieu de retenir que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos 73-s). Celui-ci doit en plus établir avoir concrètement recherché la protection des autorités publiques compétentes pour le maintien de l’ordre.

En ce qui concerne la situation des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des musulmans slaves, s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment par la population albanaise, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des actes de persécution.

Il y a encore lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les éléments concrets invoqués par la demanderesse et les craintes par elle exprimées en raison de sa religion, de son appartenance ethnique et de la situation générale tendue au Kosovo, même à les supposer établies, sont insuffisantes à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que la demanderesse fait certes état d’actes de persécution répétés de la part de certains éléments de la population, mais reste en défaut de prouver à suffisance de droit une recherche concrète de la protection de la part des autorités en place et le refus par celles-ci de lui accorder cette protection pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève, voire une incapacité de ces dernières de lui assurer un niveau de protection adéquat. En effet, il ressort de la déposition faite le 16 août 2001 par le père de la demanderesse dans les bureaux de la MINUK, versée en cause, qu’elle a été faite sur demande des agents de la MINUK dans le cadre d’une enquête en cours et que le père de la demanderesse y a relaté des faits remontant à la période de juin à août 1999 sans faire état d’actes de persécution dont il aurait fait l’objet dans un passé récent par rapport à la date de ladite déposition. S’il est vrai que la demanderesse a affirmé lors de son audition avoir porté plainte contre les agissements des hommes masqués, elle reste cependant en défaut de préciser l’autorité auprès de laquelle cette plainte a été déposée, la date de la plainte, les faits concrètement dénoncés ainsi que les suites y réservées.

En outre, quant à la situation d’insécurité existant prétendument au Kosovo, force est au tribunal de constater que le rapport du Secrétaire Général des Nations Unies sur la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo, dont la demanderesse se prévaut, retient notamment que « la tendance générale de la situation en matière de sécurité est restée encourageante, et le nombre de meurtres, d’enlèvements, d’incendies criminels et de pillages a continué à diminuer. Il ressort des principaux indicateurs de la criminalité que la plupart des délits avaient des motifs économiques. .. Une tendance négative a cependant été enregistrée, à savoir l’augmentation des cas de viols et de voies de fait ». Le même rapport énonce encore qu’ « au cours de la période considérée, il n’a été signalé aucun acte de violence grave à motivation ethnique. Bien qu’il soit difficile de l’évaluer sur une période de courte durée, la situation sécuritaire des minorités semble s’être améliorée. Il y a un an, les attaques et les actes d’intimidation dirigés contre les communautés minoritaires semblaient encore systématiques ; à l’heure actuelle, ils sont nettement moins nombreux et paraissent plus fortuits ». Loin de confirmer la thèse de la demanderesse d’un risque accru d’actes de persécution et d’un défaut de protection de la part des autorités en place au Kosovo, ces conclusions du Secrétaire Général des Nations Unies mettent à jour une nette diminution effective du risque généralisé de persécution.

Il résulte des développements qui précèdent que la demanderesse reste en défaut d’établir un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef, voire un défaut ou une incapacité de protection de la part des autorités en place au Kosovo, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 mars 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15403
Date de la décision : 19/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-19;15403 ?

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