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19/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15288

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 mars 2003, 15288


Tribunal administratif N° 15288 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2002 Audience publique du 19 mars 2003

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consort contre trois décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15288 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2002 par Maître Laurent N

IEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …...

Tribunal administratif N° 15288 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2002 Audience publique du 19 mars 2003

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consort contre trois décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15288 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2002 par Maître Laurent NIEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, ouvrier, et de son épouse, Madame …, plongeuse, demeurant ensemble à L-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de … …, né le …, demeurant ensemble avec eux à l’adresse précitée, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de trois décisions du ministre de la Justice datées des 28 septembre 2001, 1er mars et 14 mai 2002, par lesquelles la délivrance d’une autorisation de séjour a été refusée à … … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom des demandeurs au greffe du tribunal administratif le 22 novembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Laurent NIEDNER et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Suivant un protocole rédigé en date du 15 décembre 2000 par le directeur et le greffier du centre de service social de Vranje de la République de Serbie, l’enfant … …, né le … à Vranje, a fait l’objet d’une adoption plénière par les époux … et …, à la suite de laquelle son nom a été modifié en … ….

A la suite de l’adoption plénière précitée, un extrait de l’acte de naissance a été établi en faveur de … …, avec l’indication qu’il est né le 22 octobre 2000 à Nis, République de Serbie, de père … et de mère ….

Par lettre du 28 septembre 2001, le ministre de la Justice informa les époux … de ce qu’à la suite d’une demande introduite par eux en vue d’obtenir une autorisation de séjour en faveur de leur enfant … …, « le protocole concernant l’adoption complète ne saurait être reconnu pour la délivrance d’une autorisation de séjour que s’il a fait objet d’une décision d’exequatur par les juridictions luxembourgeoises », de sorte qu’ils avaient été invités par le courrier en question à adresser une demande en exequatur au tribunal de jeunesse à Luxembourg, avec la précision que leur dossier ne pourrait être réexaminé qu’après « introduction de cette décision ».

Par lettre du 8 novembre 2001, adressée par le mandataire des époux … au ministre de la Justice, ce dernier a été prié de « régulariser la situation du petit … … et de lui accorder une autorisation de séjour pour une période égale à celle accordée à ses parents adoptifs », en considération de ce que le protocole précité du 15 décembre 2000, par lequel a été prononcé l’adoption plénière de … …, ne devrait faire l’objet d’aucune décision d’exequatur, en ce que « les jugement et acte publics ayant statué sur l’état et la capacité des personnes sont reconnus au Luxembourg sans exequatur, dans la mesure où ils ne doivent pas donner lieu à des actes d’exécution matérielle sur les biens ou de coercition sur les personnes ».

Sur ce, le ministre de la Justice informa le mandataire des époux …, par courrier du 1er mars 2002, que « le protocole en langue yougoslave concernant l’adoption complète ne saurait être reconnu pour la délivrance d’une autorisation de séjour que s’il a fait objet d’une décision d’exequatur par les juridictions luxembourgeoises », en justifiant cette décision par la considération que « si en principe les jugements étrangers relatifs à l’état et à la capacité des personnes jouissent au Luxembourg de l’autorité de la chose jugée et y produisent leurs effets indépendamment de toute déclaration d’exequatur, il n’en est plus de même au cas où ces jugements doivent donner lieu à des actes d’exécution ».

Le mandataire des époux … prit position par rapport à la lettre précitée du 1er mars 2002, dans un courrier adressé le 2 mai 2002 au ministre de la Justice, dans lequel il fit valoir que la délivrance d’une autorisation de séjour à … … n’était pas à considérer comme un acte d’exécution au Grand-Duché de Luxembourg de l’adoption plénière dont il a fait l’objet en Serbie, en soulignant que dans la mesure où il était simplement demandé au ministre de la Justice de reconnaître que … … est l’enfant des époux …, et que cette question concerne l’état des personnes, il ne serait pas nécessaire de faire passer la décision d’adoption plénière par une procédure d’exequatur au Luxembourg. Il justifie encore son refus de soumettre le procès-

verbal d’adoption plénière à la procédure d’exequatur, en soulignant que dans la mesure où il n’existerait pas de traité entre le Luxembourg et la République de Serbie en matière d’exequatur, une telle procédure à introduire devant le tribunal d’arrondissement serait nécessairement longue et complexe, et ne serait pas dans l’intérêt de l’enfant, dans la mesure où tant qu’une autorisation de séjour ne lui est pas délivrée, il ne pourrait jouir d’aucune couverture sociale au Luxembourg, en ce que les organismes de sécurité sociale exigeraient l’introduction d’une autorisation de séjour avant de considérer l’enfant comme étant bénéficiaire notamment d’une caisse de maladie.

Par courrier du 14 mai 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision antérieure du 2 mai 2002, au motif qu’il n’y aurait pas d’éléments pertinents nouveaux.

Il ressort encore d’un passeport émis par l’ambassade de la République de Serbie située à Bruxelles en date du 5 décembre 2002, que … …, né le 22 octobre 2000 à Nis, en Serbie, bénéficie d’un passeport de la République fédérale yougoslave avec une durée de validité jusqu’au 5 décembre 2004.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2002, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de … …, ont introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 28 septembre 2001, 1er mars et 14 mai 2002.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation des décisions critiquées.

Quant au recours en annulation, le délégué du gouvernement conclut à son irrecevabilité, en soutenant que le délai du recours contentieux ne pourrait être interrompu qu’une seule fois par le biais d’un recours gracieux et qu’en l’espèce, la décision ministérielle précitée du 1er mars 2002, rendue à la suite du recours gracieux également précité du 8 novembre 2001, constituerait en réalité la décision ayant fait courir les délais de recours, de sorte que le recours déposé au greffe du tribunal le 23 août 2002, soit plus de trois mois après la décision confirmative du 1er mars 2002, aurait été introduit en dehors du délai de trois mois légalement prévu.

S’il est vrai que la réclamation faite dans les trois mois contre une décision administrative a pour effet de reporter le point de départ du délai du recours contentieux à la date de la notification de la nouvelle décision statuant sur cette réclamation et que le délai du recours contentieux ne peut en principe être interrompu qu’une seule fois à la suite de l’introduction, dans le délai légal, d’un recours gracieux, il n’en reste pas moins que pour qu’une décision confirmative, intervenue suite à une réclamation formulée dans le délai contentieux, ouvre un nouveau délai contentieux de trois mois, encore faut-il qu’une décision administrative refusant de faire droit à la demande de l’administré indique correctement les voies de recours ouvertes contre elle, le délai dans lequel le recours doit être introduit, l’autorité à laquelle il doit être adressé, ainsi que la manière de laquelle il doit être présenté, sous peine de ne pas faire courir valablement le délai légal pour introduire le recours contentieux (cf. trib. adm. 3 avril 1997, n° 9753 du rôle et 19 février 1997, n° 9523 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Procédure contentieuse, III. Délai pour agir, n°s 68 et 66, p. 457 et autres références y citées).

En l’espèce, aucune des trois décisions actuellement sous analyse ne contient une quelconque indication quant aux voies de recours, de sorte que le délai du recours contentieux n’a jamais commencé à courir, et que le recours contentieux est recevable sous ce rapport.

Pour le surplus, le recours en annulation a été introduit dans les formes de la loi, de sorte qu’il est à déclarer recevable.

Quant au fond, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’exiger, dans le cadre de la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de … …, l’exequatur de l’acte portant adoption plénière de cet enfant, en soutenant que contrairement à l’opinion défendue par le ministre, ledit titre de séjour ne serait pas à considérer comme un acte d’exécution de la décision d’adoption prise par une autorité étrangère et que dans la mesure où il s’agirait d’une question d’état des personnes, le ministre n’aurait qu’à constater le fait que … … est bien leur fils, sur base des pièces qui lui ont été versées, notamment le procès-verbal d’adoption traduit en langue française.

Le représentant étatique constate tout d’abord que la décision d’adoption serbe versée à l’appui de la demande tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour ne constituerait pas une décision judiciaire, alors qu’elle émanerait d’un centre de service social de Vranje de la République de Serbie. Pour le surplus, il soutient que l’enfant … … ne pourrait bénéficier d’une autorisation de séjour au titre du regroupement familial que sur base d’une décision d’adoption reconnue en vertu du droit luxembourgeois, ce qui ne serait pas le cas tant que ladite décision n’a pas fait l’objet d’une décision d’exequatur. Ainsi, la délivrance d’un tel titre de séjour serait à considérer comme une mesure d’exécution de la décision d’adoption en question, qui devrait en outre être transcrite sur les registres de l’état civil des parents.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs entendent préciser que contrairement à l’opinion défendue par le représentant étatique, la délivrance d’une autorisation de séjour porterait simplement sur la reconnaissance de l’état de l’enfant … …, mais ne pourrait en aucun cas être considérée comme une mesure d’exécution de la décision d’adoption.

Il échet tout d’abord de préciser que la demande présentée par les demandeurs en vue d’obtenir la délivrance d’un titre de séjour en faveur de leur enfant … s’inscrit nécessairement dans le cadre d’un regroupement familial au Luxembourg en application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En l’espèce, il ressort implicitement mais nécessairement des pièces et éléments du dossier, tel que soumis au tribunal administratif, que le droit au regroupement familial des époux … avec leur enfant n’est pas contesté par le ministre de la Justice qui, en exigeant l’exequatur d’une décision d’adoption plénière étrangère, semble plutôt mettre en doute la réalité des faits, c’est-à-dire le fait que … soit l’enfant adoptif des époux ….

L’état des personnes constitue une question de fait dont la preuve incombe à celui qui s’en prévaut. Ainsi, la question de savoir si une personne déterminée constitue l’enfant d’un couple, est une question de fait dont la preuve devra être rapportée par ses parents qui ont introduit une demande tendant à obtenir un titre de séjour en faveur de leur enfant commun.

En l’espèce, il ressort d’un extrait de l’acte de naissance n° 3115/2000 établi par la République fédérale de Yougoslavie en date du 19 décembre 2000, que l’enfant … …, né le 22 octobre 2000 à Nis est un enfant de sexe masculin des époux … et …. Comme l’authenticité dudit extrait de l’acte de naissance n’a pas fait l’objet d’une quelconque contestation, le fait que cette attestation entend certifier est établi à suffisance de droit.

Le fait que ledit acte de naissance a été établi sur base d’une décision d’adoption plénière prise suivant la réglementation applicable dans l’ex-République fédérale de Yougoslavie est indifférent en l’espèce, étant donné que dans le cadre de la procédure tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur d’une personne déterminée, le ministre de la Justice n’est pas amené à exécuter la décision d’adoption étrangère, mais uniquement à reconnaître un fait documenté par l’acte de naissance – le fait n’ayant pas été contesté et l’inefficacité de la décision d’adoption n’ayant pas été établie ou même alléguée - à savoir le lien de filiation existant entre ledit enfant et ses parents légalement établis au Luxembourg, en vue de lui accorder le cas échéant l’autorisation de séjour dans le cadre du regroupement familial.

Comme il est constant en cause que … … a pour parents … et …, et comme il n’est pas contesté que ses parents sont légalement établis au Luxembourg, le ministre de la Justice a violé la loi en exigeant la production d’une décision d’exequatur de la décision d’adoption plénière de … …, non légalement prévue par les dispositions légales et réglementaires applicables au Luxembourg.

Il s’ensuit que les décisions incriminées des 28 septembre 2001, 1er mars et 14 mai 2002 encourent l’annulation, en ce que le seul motif de refus de délivrance de l’autorisation de séjour, à savoir l’exigence de la production d’une décision d’exequatur de la décision d’adoption étrangère, est illégal.

Au vu du fait que les demandeurs ont dû recourir au ministère d’un avocat à la Cour en vue de l’introduction du présent recours qui aboutit à l’annulation des décisions par eux critiquées, à la suite du constat que le ministre de la Justice leur a imposé une condition illégale pour la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de leur enfant commun, ayant eu pour conséquence que celui-ci s’est trouvé en séjour irrégulier pendant une période prolongée au Grand-Duché de Luxembourg, il y a lieu de faire droit à la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 1000 € qui, même si elle a été erronément basée sur l’article 240 du nouveau code de procédure civile, se trouve en réalité basée sur l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule les décisions du ministre de la Justice des 28 septembre 2001, 1er mars et 14 mai 2002 par lesquelles la délivrance d’une autorisation de séjour a été refusée à … … ;

condamne l’Etat au paiement d’une indemnité de procédure de 1000 € au profit des demandeurs ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge et lu à l’audience publique du 19 mars 2003 par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15288
Date de la décision : 19/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-19;15288 ?

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