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19/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15239

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 mars 2003, 15239


Tribunal administratif N° 15239 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 août 2002 Audience publique du 19 mars 2003 Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15239 du rôle, déposée le 14 août 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Christiane HOFFMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Podgorica (Monténégro/ex-Yougoslavie), de nationa

lité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du...

Tribunal administratif N° 15239 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 août 2002 Audience publique du 19 mars 2003 Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15239 du rôle, déposée le 14 août 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Christiane HOFFMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Podgorica (Monténégro/ex-Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 27 mai 2002, notifiée le 17 juin 2002, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux par ledit ministre en date du 18 juillet 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2002 ;

Vu la lettre de Maître Claudie HENCKES-PISANA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, du 19 novembre 2002, informant le tribunal de ce qu’elle reprenait le mandat de Maître Christiane HOFFMANN ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Claudie HENCKES-PISANA, au nom du demandeur, déposé au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Claudie HENCKES-PISANA, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 20 novembre 2001, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 20 février 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par lettre du 27 mai 2002, notifiée en date du 17 juin 2002, que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays d’origine parce que vous auriez eu des menaces par téléphone et par « messages sms ». En effet, vous précisez que votre entraîneur de kick-boxing, Samir USENAGIC, aurait été tué le 8 mars 2001. Vous croyez qu’il a été tué parce qu’il serait un grand sportif musulman, vous ajoutez qu’il n’aurait pas eu d’activités politiques. Après cet assassinat, vous auriez eu des menaces disant que vous seriez le prochain. Vous auriez maintenant peur de vous faire tuer.

Vous ajoutez également que ces menaces seraient liées au fait que vous seriez membre du parti politique DPS. Vous précisez pourtant ne pas avoir de fonction particulière au sein de ce parti. Vous auriez également eu des provocations. Vous croyez que ces menaces proviennent des membres du parti politique adverse, le SNP.

Vous supposez également que ces menaces soient liées au fait que vous seriez de confession musulmane.

Concernant la situation particulière des ressortissants de confession musulmane au Monténégro, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

Ainsi, les menaces et les provocations dont vous faites état ainsi que votre peur, ne sont pas de nature à constituer à elles seules une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. A cela s’ajoute, que ces faits ne sont pas d’une gravité telle qu’ils justifient une crainte de persécution au sens de la prédite Convention.

En outre, force est de constater que vous n’avez pas demandé la protection des autorités du Monténégro. Il ne ressort pas du dossier que ces autorités auraient refusé de vous protéger ou seraient dans l’incapacité de ce faire.

La simple appartenance à un parti politique n’est pas suffisante pour bénéficier du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique particulière.

Les membres du SNP, même à les supposer auteurs des menaces, ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention.

Enfin et surtout, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et à l’OSCE. De plus, l’ancien Président Milosevic a été extradé et traduit devant le Tribunal Pénal International de La Haye, ce qui montre l’esprit de collaboration dont la Yougoslavie fait preuve actuellement.

A cela s’ajoute que, le 15 mars 2002, un accord serbo-monténégrin a été signé par les Présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro. La République fédérale de Yougoslavie cessera d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur … en date du 12 juillet 2002 à l’encontre de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 18 juillet 2002.

Par requête déposée en date du 14 août 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 27 mai et 18 juillet 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Ledit recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine.

Il fait exposer plus particulièrement qu’il serait originaire de Podgorica au Monténégro et de confession musulmane, que son départ de son pays d’origine serait motivé par le fait qu’il aurait eu des problèmes en raison de sa qualité de membre du parti politique « DPS », qu’il aurait reçu des menaces de la part du parti politique adverse « SNP » et qu’en sa qualité d’adepte du « kick-boxing », il risquerait de subir le même sort que son entraîneur qui aurait été tué « sans raison ». D’une manière générale, il fait état de sa crainte de persécution en raison de son appartenance à la communauté religieuse des musulmans et du climat d’insécurité régnant dans son pays d’origine.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Au cours de l’audience à laquelle l’affaire a été plaidée, le litismandataire du demandeur, sur question afférente du tribunal, a déclaré que contrairement à l’information figurant dans son mémoire en réplique, elle renoncerait à verser d’autres pièces, et plus particulièrement une cassette vidéo, que celles déjà déposées au greffe du tribunal en date du 2 janvier 2003.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9, p. 519 et autres références y citées).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, n° 12179C du rôle, Pas.

adm. 2002, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 35).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition du 20 février 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant les craintes de persécutions en raison de l’appartenance du demandeur au parti politique « DPS », il convient de relever que la simple appartenance à un mouvement ou parti politique d’opposition ne saurait justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur n’a fait état ni d’un rôle actif au sein dudit parti, ni encore d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine en raison de ladite appartenance politique.

Il y a encore lieu de constater que le demandeur fait état de persécutions de la part d’un groupe de la population, à savoir des membres du parti politique « SNP », se traduisant par des menaces effectuées par téléphone ou par des messages « SMS », suivant lesquels il serait « bientôt tué ».

Or, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres de la minorité musulmane au Monténégro, il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les simples allégations du demandeur relatives à des prétendues menaces n’établissent pas un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir au Monténégro ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de son pays d’origine ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans. Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière, qu’il est indéniable que depuis le départ du demandeur, la situation politique en ex-Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que le demandeur n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Enfin, quant à la crainte exprimée par le demandeur d’être tué à la suite du meurtre de son entraîneur de son groupe de sport, il échet de relever que le demandeur n’a apporté aucun élément concret de nature à établir un lien entre le meurtre de son entraîneur et sa crainte de subir le même sort et que le tribunal ne s’est vu remettre une quelconque précision quant au motif ayant justifié le meurtre de son entraîneur, de sorte que ces considérations ne permettent pas au tribunal de retenir la réalité d’une crainte de persécution que le demandeur pourrait à juste titre tirer de ces faits.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié, partant en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 19 mars 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15239
Date de la décision : 19/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-19;15239 ?

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