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19/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15232

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 mars 2003, 15232


Tribunal administratif N° 15232 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 août 2002 Audience publique du 19 mars 2003 Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15232 du rôle, déposée le 13 août 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Martine KRAUS, avocat à la Cour, assistée de Maître Goll ARBAB-KHABIRPOUR, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, n

é le … à Vrbica/Bérane (Monténégro/ex-Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeur...

Tribunal administratif N° 15232 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 août 2002 Audience publique du 19 mars 2003 Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15232 du rôle, déposée le 13 août 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Martine KRAUS, avocat à la Cour, assistée de Maître Goll ARBAB-KHABIRPOUR, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Vrbica/Bérane (Monténégro/ex-Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 4 juin 2002, notifiée le 26 juin 2002, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux par ledit ministre en date du 26 juillet 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Goll ARBAB-KHABIRPOUR, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 19 mars 2002, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 18 avril 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa, par lettre du 4 juin 2002, notifiée en date du 26 juin 2002, que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire, bien que convoqué au début de l’année 2002. Vous dites que vous ne voulez pas faire votre service militaire tant que le Monténégro n’a pas obtenu son indépendance. Vous dites être recherché par la police et vous ajoutez que cette insoumission vous vaudrait une peine de prison. Vous n’invoquez aucun autre argument pour justifier votre départ du Monténégro.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

La crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. De même, l’insoumission ne constitue pas un motif valable, à elle seule, pour obtenir le statut de réfugié.

D’ailleurs, la situation politique au Monténégro n’implique plus pour les recrues la participation à des faits de guerre que des motifs de conscience valables justifient de refuser.

En effet, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. L’ancien Président MILOSEVIC a été extradé et traduit devant le Tribunal Pénal International de La Haye, ce qui montre l’esprit de collaboration dont la Yougoslavie fait preuve actuellement. D’autres représentants de l’ancien régime vont également se rendre au procès de La Haye incessamment. A cela s’ajoute que, le 15 mars 2002, un accord serbo-monténégrin a été signé par les Présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’autonomie au Monténégro. La République Fédérale de Yougoslavie cessera d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et Monténégro.

En conséquence, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 17 juillet 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 4 juin 2002.

Par décision du 26 juillet 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

A l’encontre des décisions ministérielles de rejet des 4 juin et 26 juillet 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation, par requête déposée le 13 août 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours subsidiaire en annulation est dès lors irrecevable.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la commune de Bérane au Monténégro et de religion musulmane, qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison de son insoumission, étant donné qu’il aurait refusé d’effectuer le service militaire à cause de ses convictions politiques et de son objection de conscience, qu’en sa qualité de membre de la « minorité bosniaque-musulmane », il craindrait des discriminations dans son pays d’origine et qu’en cas de retour au Monténégro, il craint d’y être attrait en justice en raison notamment de son insoumission et d’être traité de façon discriminatoire par les juridictions militaires de son pays.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, n°12179C du rôle, Pas.

adm. 2002, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n° 35 et autres références y citées).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 18 avril 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’insoumission de Monsieur …, il convient de rappeler que l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en ex-Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

En ce qui concerne la situation du demandeur en tant que membre de la minorité « bochniaque » du Monténégro, il est vrai que la situation générale des membres de cette minorité est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les craintes de persécutions invoquées par le demandeur, basées sur son appartenance à la minorité « bochniaque », sont vagues et non autrement circonstanciées, de sorte qu’elles sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en ex-Yougoslavie, et plus particulièrement au Monténégro, ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Monténégro ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des « bochniaques ».

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 19 mars 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15232
Date de la décision : 19/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-19;15232 ?

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