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17/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15466

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mars 2003, 15466


Tribunal administratif N° 15466 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 octobre 2002 Audience publique du 17 mars 2003

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Recours formé par les époux … et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15466 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l

’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Petnica-Bérane (Monténégro/ex-Yougosl...

Tribunal administratif N° 15466 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 octobre 2002 Audience publique du 17 mars 2003

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Recours formé par les époux … et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15466 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Petnica-Bérane (Monténégro/ex-Yougoslavie) et de Madame …, née le … à Vrbica-Bérane (Monténégro/ex-Yougoslavie), les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 27 février 2002, notifiée en date du 16 mai 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision implicite de refus dudit, résultant du silence de plus de 3 mois suite à un recours gracieux introduit le 17 juin 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 17 avril 2001, les époux …-… introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent ensuite entendus séparément en dates des 9 et 10 mai 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 27 février 2002, notifiée le 16 mai 2002, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivés au Luxembourg le 17 avril 2001 vers 7.00 heures du matin.

Monsieur, vous exposez avoir été membre du SDA depuis 1990. Vous auriez été vice-

secrétaire du comité général du parti pour la Serbie et le Monténégro. Vous auriez également exercé la fonction de président de l’organisation humanitaire « Merhamet » de 1990 à 1993.

Vous expliquez que la police vous aurait recherché en raison de vos activités politiques. En 1994 vous auriez été condamné par défaut à une peine d’emprisonnement d’une durée de 10 ans. Vous auriez été incarcéré malgré que vous auriez bénéficié d’une amnistie. La police vous aurait injurié et maltraité.

Vous indiquez que votre épouse aurait été licenciée et votre frère aurait été interrogé et maltraité par la police à cause de vous en 1993.

Vous faites état de votre peur de retourner au Monténégro. Vous risqueriez d’être emprisonné à nouveau ou d’être tué.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari. Vous déclarez ignorer de qui vous avez peur. Par contre, vous contredisez votre mari de façon flagrante en ce que vous affirmez qu’il se serait évadé de prison alors que lui nous a déclaré voir été relâché sur intervention de son père.

Monsieur, vous n’êtes pas en mesure de nous préciser la durée exacte de votre emprisonnement. Le 17 avril 2001 vous avez déclaré auprès du Service de Police Judiciaire que vous auriez été relâché le 14 avril 2001 de la prison de Bijelo Polje après y avoir été emprisonné pendant 6 mois. Lors de votre audition du 9 mai 2001 vous indiquez cependant avoir été emprisonné du 11 novembre 1999 jusqu’au 14 mars 2000, ce qui équivaut à une durée de 4 mois d’emprisonnement. Lors de l’audition complémentaire du 10 mai 2001 vous relatez avoir été emprisonné de novembre 1999 jusqu’en mars 2001, donc pour une durée de 16 mois. Je constate que vous avez donc présenté trois versions différentes en ce qui concerne votre durée d’emprisonnement.

Ces contradictions rendent votre récit peu crédible.

Force est également de constater que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Aujourd’hui la Caritas travaille librement au Monténégro tout comme d’autres organisations humanitaires et dans ce contexte il est peu probable qu’on vous reprocherait encore d’avoir travaillé avec cette organisation.

Vous ne risquerez donc pas d’être persécuté à l’heure actuelle en raison de vos activités politiques ou en raison de vos convictions religieuses.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Le recours gracieux formé par le mandataire des époux …-… à l’encontre de la décision ministérielle précitée à travers un courrier du 17 juin 2002 étant resté sans réponse, ils ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 27 février 2002 ainsi qu’à l’encontre de la décision implicite de rejet du ministre résultant du silence pendant plus de 3 mois suite à l’introduction du recours gracieux, par requête déposée le 17 octobre 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, originaires de la région du Sandzak au Monténégro et de confession musulmane, font valoir qu’ils auraient fait l’objet de discriminations par les autorités en place en raison de leur appartenance à la minorité des « bochniaques » et du combat actif de Monsieur … au sein du parti politique SDA à partir de 1990, où il aurait occupé la fonction de vice-secrétaire du comité général du parti de la Serbie et du Monténégro, de même qu’en raison de son engagement au sein de l’organisation humanitaire « Merhamet », où il aurait exercé la présidence. Dans leur recours contentieux, les demandeurs exposent plus particulièrement qu’en raison de leur engagement politique Madame … aurait été licenciée au courant de l’année 1993, que Monsieur … aurait dû fuir le Monténégro entre 1993 et 1999, qu’il aurait été condamné par défaut en 1994 à dix ans de prison en raison de ses activités politiques, qu’au moment de son retour au Monténégro, il aurait été emprisonné de novembre 1999 à mars 2001 et qu’à l’heure actuelle, en cas de retour dans leur pays d’origine, Monsieur … risquerait à nouveau d’être emprisonné, respectivement d’être condamné à une nouvelle peine d’une sévérité disproportionnée.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives du 9 et 10 mai 2001, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant les craintes de persécutions en raison de l’appartenance de Monsieur … au parti politique SDA, il échet de relever que s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, Monsieur … reste en défaut de soumettre un récit cohérent renfermant des faits suffisamment concrets d’une gravité suffisante pour dénoter l’existence d’une persécution au sens de la Convention de Genève en raison de son engagement politique. Dans ce contexte, c’est à juste titre que le ministre a soulevé des contradictions quant à la durée de l’emprisonnement de Monsieur … et aux conditions dans lesquelles il aurait quitté la prison, et la seule pièce remise au tribunal dans ce contexte, à savoir une décision de la Cour suprême à Bijelo Polje du 8 juillet 1994, renseigne uniquement que Monsieur … aurait été condamné par défaut à une détention provisoire d’une durée d’un mois. A cela s’ajoute que Monsieur … a déclaré lui-même lors de son audition devant l’agent du ministère de la Justice avoir été « amnistié par après ».

Pour le surplus, la crainte de Monsieur … d’être arrêté à l’heure actuelle en raison de ses activités au sein du parti politique SDA et de son engagement dans l’organisation « Merhamet » revêt, au vu de l’évolution de la situation actuelle au Minténégro, un caractère purement hypothétique.

Concernant ensuite la situation des demandeurs en tant que membres de la minorité « boshniaque » et la mauvaise situation générale de cette minorité au Monténégro, et plus particulièrement dans la région du Sandzak, il convient de relever que s’il est vrai que la situation des membres de minorités en Yougoslavie est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par les demandeurs constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnel vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités en Yougoslavie ne seraient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent, voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 17 mars 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15466
Date de la décision : 17/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-17;15466 ?

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