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17/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15421

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mars 2003, 15421


Tribunal administratif N° 15421 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 octobre 2002 Audience publique du 17 mars 2003

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Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15421 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2002 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Tuzla (Bosnie-Herzégovine) et de son épous...

Tribunal administratif N° 15421 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 octobre 2002 Audience publique du 17 mars 2003

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Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15421 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2002 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Tuzla (Bosnie-Herzégovine) et de son épouse Madame …, née le … à Ingolstadt (Allemagne), les deux de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 juillet 2002, notifiée le 23 juillet 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 28 août 2002 suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Pascal PETOUD, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En dates des 11 et 22 avril 2002, les époux … et … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus séparément aux dates préindiquées par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent encore entendus séparément en dates des 11, 25 et 30 avril 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 4 juillet 2002, notifiée le 23 juillet 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Madame, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre domicile avec votre mari et votre enfant en date du 2 avril 2002. Une voiture vous aurait emmenés à une frontière que vous auriez dû passer à pied. A ce moment vous auriez été séparée de votre mari. Vous auriez continué votre trajet seule avec votre fille et vous seriez arrivés au Luxembourg le 5 avril 2002, date à laquelle vous vous êtes présentés auprès de notre service pour « vous déclarer et pour demander la nationalité luxembourgeoise ». Le 11 avril 2002 vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié en présence de votre avocat.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays d’origine en date du 2 avril 2002. Vous auriez été séparé de votre femme en Slovénie. Vous vous seriez alors rendu à Sarajevo et vous y auriez fait une demande de visa, demande qui aurait été refusée le 11 avril 2002. Vous auriez alors pris place à bord d’une voiture qui vous aurait emmené à Cologne, où une autre personne vous aurait conduit jusqu’au Luxembourg. Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 22 avril 2002.

Madame, vous déclarez que votre mari serait membre du parti politique SDP. Il aurait été observateur lors des élections d’été en 2001. Après les résultats des votes, il aurait fêté la victoire du SDP et il aurait été battu. Depuis ce soir là, il ne serait plus allé aux réunions de ce parti. Par la suite, il aurait eu des difficultés de trouver un travail. Vous même, vous ne seriez pas membre d’un parti politique.

Vous ajoutez que votre mari aurait créé un commerce avec un partenaire turc et qu’il aurait signé un prêt en son nom pour le compte de ce dernier. Les choses auraient mal tourné, le turc aurait quitté le pays et vous vous seriez retrouvés avec des dettes et sans argent. Vous auriez alors décidé de quitter votre pays d’origine.

Vous auriez peur à cause de votre nationalité.

Monsieur, vous déclarez être membre du parti SDP et avoir été « président du comité communal du SDP » à Bare. Vous ajoutez également que votre femme serait membre du SDP.

Vous versez comme pièces deux cartes de membre et un certificat du SDP. Vous auriez été battu lors des élections d’été en 2001 et on vous aurait crevé les pneus de votre voiture. Vous admettez ne plus avoir eu de problèmes après ces élections.

Vous indiquez également avoir des problèmes financiers. En effet, vous auriez crée un commerce avec un turc dans le cadre duquel vous auriez fait un prêt. L’affaire n’aurait pas marché et vous vous seriez retrouvé avec des dettes envers le fisc, les fournisseurs et les assureurs. On aurait menacé d’entamer des poursuites judiciaires contre vous.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La simple qualité de membre [d’] un parti politique ne saurait suffire pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique particulièrement exposée. A cela s’ajoute qu’il existe des doutes quant à votre adhésion réelle au SDP. En effet, Madame, vous dites ne pas être membre d’un parti politique alors que vous, Monsieur, vous dites que votre femme serait membre du SDP et vous fournissez même une carte de membre selon laquelle elle serait membre déjà depuis 1997.

Vous apportez également comme preuve un prétendu certificat du SDP, daté du 25 mai 2002, donc de la même date que votre première audition auprès de nos services. Enfin, Monsieur, vous admettez ne plus avoir eu de problèmes depuis été 2001.

En ce qui concerne vos problèmes financiers, ceux-ci ne constituent pas un acte de persécution, car ils ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951.

Madame, les motifs que vous invoquez traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Madame, Monsieur, force est de constater que vous subissez en l’état actuel des choses pas de persécutions pour une des raisons invoquées par la Convention de Genève.

A cela s’ajoute que la situation en Bosnie-Herzégovine s’est nettement améliorée depuis l’accord de paix signé en novembre 1995, et ceci de telle façon que les forces internationales SFOR prévoient une importante réduction de leurs effectifs en Bosnie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 19 août 2002, les époux … introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 4 juillet 2002.

Par décision du 28 août 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 3 octobre 2002, les époux … ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 4 juillet et 28 août 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils seraient originaires de la ville de Srebrenik en Bosnie et qu’ils seraient membres du parti politique SDP. Le soir des élections d’été 2001, desquels le parti SDP est sorti vainqueur, Monsieur … aurait été frappé par des inconnus. Par la suite, ils auraient décidé de quitter le parti SDP, ce qui aurait eu pour conséquence que Monsieur … n’aurait plus pu trouver de travail. Afin d’assurer la subsistance de sa famille, Monsieur … aurait alors créé une entreprise ensemble avec une personne de nationalité turque, mais les affaires auraient mal tournées, de sorte qu’ils auraient dû faire face à une dette de 8.000 DM envers l’Etat et les fournisseurs. En vue de la récupération de leur argent, lesdits fournisseurs les auraient alors menacés, ce qui les aurait finalement incité à quitter leur pays. Pour le surplus, les consorts … insistent encore sur le fait que la vie quotidienne leur serait pénible, étant donné qu’au moment de la guerre de Bosnie, ils auraient été déplacé de la ville de Brcko vers la ville de Srebrenik dans laquelle ils ne seraient cependant pas acceptés.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux … et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux … lors de leur auditions respectives en dates des 11, 15 et 30 avril 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant le motif de persécution ayant trait à leur qualité de membres du parti politique SDP, il y a lieu de retenir que si les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier le cas échéant des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, la simple qualité de membre d’un tel parti ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 13 décembre 2000, n° 12245 du rôle, confirmé par Cour adm. 27 mars 2001, n° 12672C, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 56). Pour le surplus, il y a lieu de relever à cet égard que les époux … n’ont pas eu des problèmes particuliers avec les autorités en place en raison de leur adhésion au parti politique SDP, mis à part l’agression dont Monsieur … fut victime le soir des élections d’été 2001, mais ils ont déclaré avoir quitté ce parti en raison de son organisation interne.

Il y a partant lieu de retenir que les considérations avancées par les demandeurs se rapportent en substance à l’existence d’un climat général d’insécurité, situation qui n’établit pas un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que leur vie serait actuellement, à raison, intolérable dans leur pays d’origine. A cela s’ajoute que les demandeurs ont encore précisé avoir quitté leur pays d’origine surtout en raison des difficultés économiques, suite à la faillite de leur entreprise personnelle et les dettes privées accumulées.

Or, des considérations d’ordre matériel et économique ne sont pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et ne constituent partant pas à elles seules un motif d’obtention du statut de réfugié.

Le tribunal se doit encore de relever spécialement qu’aucun fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place dans le pays d’origine des demandeurs ne se dégage des éléments d’appréciation produits en cause, les demandeurs n’alléguant même pas s’être adressés aux autorités chargées du maintien de l’ordre et de la sécurité publics.

Finalement, force est de constater que les menaces dont les demandeurs se prétendent victimes se limitent essentiellement à la ville de Srebrenik et les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Bosnie-Herzégovine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité des demandeurs d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquels un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib.

adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 40 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 17 mars 2002 par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15421
Date de la décision : 17/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-17;15421 ?

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