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17/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15415

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mars 2003, 15415


Tribunal administratif N° 15415 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 septembre 2002 Audience publique du 17 mars 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15415 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2002 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des av

ocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/ex-Yougoslavie), demeura...

Tribunal administratif N° 15415 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 septembre 2002 Audience publique du 17 mars 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15415 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2002 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/ex-Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 juin 2002, notifiée le 25 juillet 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 27 août 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 24 octobre 2001, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 6 mai 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 14 juin 2002, notifiée le 25 juillet 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 25 octobre 2001 que vous auriez quitté Bijelo Polje le 22 octobre 2001 pour vous rendre à Bar. Vous auriez ensuite pris un bateau jusqu’à Bari en Italie où un certain Alvir vous aurait emmené jusqu’au Luxembourg au bord d’une voiture immatriculée en Italie. Vous auriez voyagé seul avec votre chauffeur et vous n’auriez pas été contrôlé en chemin. Vous auriez traversé la France pour arriver le matin du 24 octobre 2001 au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 24 octobre 2001.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays d’origine en raison des problèmes liés à votre confession musulmane. En effet, vous indiquez avoir été arrêté et battu à plusieurs reprises à cause de votre appartenance religieuse. Vous ajoutez que vous auriez passé 6 jours en prison suspecté de détenir des armes chez vous à la maison.

Enfin, vous dites ne pas être membre d’un parti politique.

Concernant la situation des ressortissants musulmans au Monténégro, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

Ainsi, la simple peur des autorités en raison de votre confession musulmane n’est pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

D’autre part les mauvais traitements et les arrestations dont vous faits état, même à les supposer établis, ne sauraient être considérés comme suffisamment graves pour justifier le bénéfice du statut au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et à l’OSCE. A cela s’ajoute que le 15 mars 2002 un accord serbo-monténégrin a été signé par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro. La République fédérale de Yougoslavie cessera d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 26 juillet 2002, Monsieur …, introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 14 juin 2002. Par décision du 27 août 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 30 septembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 14 juin et 27 août 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, le demandeur, originaire du Monténégro et de confession musulmane, conclut à la réformation des décisions entreprises au motif que le ministre aurait fait une appréciation erronée de faits, alors qu’il s’en dégagerait qu’il remplit les conditions légales pour être admis au statut de réfugié prévu par la Convention de Genève.

Dans cet ordre d’idées, il expose avoir quitté son pays d’origine en raison des graves difficultés de coexistence entre les communautés musulmane et orthodoxe et en raison du fait qu’il aurait été appelé par l’armée fédérale yougoslave pour la réserve militaire en 1996, mais qu’il aurait réussi à reporter cette convocation contre paiement d’une somme annuelle à une de ses connaissances travaillant auprès de la police militaire. Dans ce contexte, le demandeur estime qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait à l’heure actuelle de faire l’objet d’une procédure judiciaire de nature à entraîner sa condamnation du chef d’insoumission. Finalement, le demandeur expose encore avoir été arrêté au courant de l’année 1996 par la police civile et avoir été mis en prison pendant 6 jours pendant lesquels il aurait été interrogé et battu, étant donné que la police l’aurait suspecté de posséder des armes Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Selon l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 6 mai 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution que le demandeur fait valoir, à savoir celui fondé sur son état d’insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle au Monténégro et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que la loi d’amnistie ne s’appliquerait pas aux insoumis qui ont quitté leur pays d’origine, étant donné que pareille interprétation n’est pas établie à suffisance de droit, qu’elle reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait d’une grande partie de sa substance et qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 50).

Cette conclusion n’est pas non plus énervée par le contenu de la décision du tribunal militaire à Podgorica du 7 novembre 2001, auquel se réfère le demandeur, tendant à mettre en doute l’application effective de la loi d’amnistie, étant donné que le document produit, même à admettre son authenticité, ne permet en tout état de cause pas de situer avec toute la certitude requise les infractions pénales y visées dans le temps.

Les autres craintes vagues exprimées par le demandeur en raison de sa confession musulmane et des problèmes de coexistence entre les communautés religieuses au Monténégro constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités dans son pays d’origine ne seraient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Monténégro ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans.

Finalement le fait que le demandeur ait été emprisonné pendant 6 jours et maltraité par la police civile au courant de l’année 1996, à le supposer établi, ne saurait être retenu comme étant suffisant pour établir l’existence dans son chef d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur reste en défaut de faire état d’une persécution de la part des autorités s’étant déroulée dans un passé récent et revêtant un caractère de gravité suffisant lui rendant sa vie au Monténégro impossible.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 17 mars 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15415
Date de la décision : 17/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-17;15415 ?

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