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17/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15083

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mars 2003, 15083


Tribunal administratif N° 15083 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2002 Audience publique du 17 mars 2003

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Recours formé par Madame … contre une décision conjointe du ministre de la Justice et du ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 4 juillet 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour

, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationa...

Tribunal administratif N° 15083 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2002 Audience publique du 17 mars 2003

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Recours formé par Madame … contre une décision conjointe du ministre de la Justice et du ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 4 juillet 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité capverdienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision conjointe des ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi du 26 avril 2002, lui refusant la délivrance d’une autorisation de séjour ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Madame … déposa en date du 2 juillet 2001 une demande en obtention d’une autorisation de séjour auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, ci-après dénommé le « service commun ».

Dans le cadre de ladite demande elle déclara appartenir à la « catégorie F », telle que décrite dans la brochure intitulée « régularisation du 15.3 au 13.7.2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », éditée par le service commun, dénommée ci-après la « brochure », en ce qu’elle résiderait au Grand-

Duché de Luxembourg depuis le 1er janvier 2000 au moins et qu’elle serait l’enfant majeur d’une personne détentrice d’une carte d’identité d’étranger.

Par lettre du 26 avril 2002, le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi informèrent Madame … de ce qui suit :

« Suite à l’examen de la demande en obtention d’une autorisation de séjour que vous avez déposée en date du 2 juillet 2001 auprès du Service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, nous sommes au regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de faire droit à votre demande.

En effet, selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour peut être refusée à l’étranger qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics.

Comme il a été constaté sur base de votre dossier administratif que cette disposition est applicable dans votre cas, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.

Par ailleurs, le dossier tel qu’il a été soumis au Service commun ne permet pas au Gouvernement de vous accorder la faveur d’une autorisation de séjour provisoire.

En conséquence, vous êtes invitée à quitter le Luxembourg endéans un délai d’un mois. A défaut de départ volontaire, la police sera chargée de vous éloigner du territoire luxembourgeois ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 juillet 2002, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 26 avril 2002.

Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse estime en premier lieu que la décision ministérielle précitée du 26 avril 2002 aurait été prise par un organe incompétent, en ce que la demande afférente aurait été déposée auprès d’un service commun regroupant trois ministères différents, à savoir les ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, mais qu’elle n’aurait été signée que par deux ministres, à savoir le ministre de la Justice, ainsi que le ministre du Travail et de l’Emploi, et qu’il manquerait partant la signature du ministre de la Famille.

Il échet de relever qu’en l’état actuel de la législation, une décision relative à l’entrée et au séjour d’un étranger au Grand-Duché de Luxembourg au sens de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, relève de la seule compétence du ministre de la Justice, ceci conformément aux dispositions de l’article 11 de ladite loi et sous les restrictions y énoncées tenant notamment au fait que les décisions afférentes sont prises sur proposition du ministre de la Santé lorsqu’elles sont motivées par des raisons de santé publique.

Force est dès lors de constater que ni l’apposition de la signature du ministre du Travail et de l’Emploi à côté de celle du ministre de la Justice n’est de nature à mettre en échec cette dernière, voire de relativiser la compétence en la matière du ministre de la Justice qui, à travers sa signature, a pleinement exercé son pouvoir de décision en la matière, ni encore l’absence de la signature du troisième ministre composant le service commun, non compétent en cette matière, ne sauraient énerver la régularité de la décision déférée. Partant, le moyen basé sur le défaut de qualité dans le chef de l’auteur de la décision laisse d’être fondé.

La demanderesse critique par ailleurs le prétendu motif de refus de délivrance d’une autorisation de séjour en sa faveur, basé sur l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, en ce que ce motif serait illégal, étant donné, d’une part, qu’à l’époque où elle a formulé une demande en vue de se faire accorder une autorisation de séjour dans le cadre de la « procédure de régularisation », telle qu’initiée par le gouvernement, il lui aurait été strictement interdit , notamment en sa qualité de demanderesse d’asile politique, de s’adonner à une quelconque activité salariale, dans la mesure où, par le biais de cette « procédure », le gouvernement avait expressément souhaité voir régulariser au Luxembourg les étrangers n’y disposant ni d’un titre de séjour ni d’un permis de travail valablement délivré par le ministère du Travail et, d’autre part, que certaines catégories d’étrangers visées par la prédite « procédure de régularisation » englobaient justement des étrangers démunis de revenus, en leur conférant le droit d’obtenir un titre de séjour valable au Luxembourg, de sorte qu’il serait « illégal » d’exiger d’un étranger tombant sous les conditions de l’une de ces catégories, de disposer au préalable de revenus personnels.

Il échet de relever que contrairement aux développements tant du mandataire de la demanderesse dans la requête introductive d’instance que du délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, l’autorisation de séjour n’a pas été refusée à la demanderesse en raison d’un défaut de moyens d’existence personnels dans son chef, mais en raison du fait qu’elle serait susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la sécurité publics, de sorte que l’analyse de ce moyen dirigé contre un motif de refus de délivrance d’un titre de séjour en faveur de la demanderesse, qui n’a pas été invoqué à la base de la décision attaquée, est superflue.

La demanderesse reproche en outre au ministre de la Justice d’avoir refusé de lui délivrer une autorisation de séjour, en soutenant qu’elle remplirait « cumulativement » toutes les conditions exigées par la brochure.

A travers la brochure, le gouvernement a fixé d’une manière générale et abstraite des critères particuliers afin de permettre à certaines catégories d’étrangers d’obtenir « une autorisation de séjour et/ou un permis de travail » et la brochure, loin de tracer à l'administration un cadre pour guider ses décisions discrétionnaires en matière d'autorisation de séjour et de permis de travail à délivrer à des étrangers séjournant sur le territoire luxembourgeois, crée des règles nouvelles qui dérogent partiellement aux règles légales existantes, étant donné que, notamment, la brochure permet de considérer qu'un étranger dispose de moyens personnels suffisants au sens de l'article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dans des cas qui ne sont pas visés par cette disposition, qu'elle permet de régulariser par le travail des étrangers qui sont en infraction manifeste avec la législation sur le permis de travail et mettant ainsi à néant les conditions posées par la loi pour l'octroi d'un tel permis, qu’elle limite le pouvoir d’appréciation du ministre de la Justice, en exigeant qu’un risque d’atteinte grave à la sécurité publique soit établi, et, ainsi la brochure contrevient à l’article 36 de la Constitution. En d’autres termes, la brochure n’a pas pu créer des règles nouvelles ou dérogatoires à des règles existantes et elle n’a pas pu faire abstraction des conditions posées par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, de sorte que c’est partant à bon droit que le ministre de la Justice a pu examiner si, de par son comportement, la demanderesse n’est pas susceptible de constituer une menace pour la sécurité et l’ordre publics, conformément à l’article 2 précité.

Ceci étant, pour le surplus, il se dégage des éléments d’appréciation soumis au tribunal que la demanderesse par son comportement a d’ores et déjà gravement contrevenu à l’ordre public en ayant acquis et fait usage d’une carte d’identité portugaise falsifiée, par le biais de laquelle elle a pu obtenir la délivrance d’un passeport portugais, dont elle a fait usage, tel que cela ressort d’un procès-verbal du service de police judiciaire de la police grand-ducale du 28 mars 2002 et il se dégage de son comportement passé qu’elle est susceptible de constituer une menace pour la sécurité, la santé et l’ordre publics.

En effet, les faits d’avoir caché son identité réelle pendant une période d’environ 7 ans, d’avoir usé d’une fausse nationalité et de faux documents d’identité, le tout dans le but de s’établir irrégulièrement au Grand-Duché de Luxembourg, caractérisent à eux seuls le comportement d’un étranger susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics, et ce comportement peut laisser craindre que l’intéressée porte à nouveau à l’avenir atteinte à la sécurité et à l’ordre publics.

Si c’est certes à juste titre que le mandataire de la demanderesse a soutenu au cours des plaidoiries qu’un étranger qui a fait l’objet d’un procès-verbal lui imputant des faits constitutifs d’une infraction pénale, insiste sur son droit de bénéficier à ce stade de la procédure pénale de la présomption d’innocence, il n’en demeure cependant pas moins que le ministre de la Justice, appelé à apprécier dans le cadre de sa propre sphère de compétence le comportement global dans le chef de l’étranger, peut valablement se référer à des faits à la base d’une instruction pénale, ceci au titre d’éléments permettant d’apprécier son comportement global, étant donné qu’une telle décision ne porte pas sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale, même si elle se fonde sur des faits qui sont susceptibles d’être poursuivis pénalement.

Ainsi, lorsqu’un étranger est en séjour irrégulier au Luxembourg et si des faits suffisamment graves sont établis à suffisance de droit, le ministre de la Justice peut valablement considérer, dans le cadre et conformément aux conditions posées par la loi précitée du 28 mars 1972, que l’étranger en question est susceptible de constituer un risque pour la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, que le ministre de la Justice a refusé la délivrance d’un permis de séjour au Grand-Duché de Luxembourg à Madame ….

Quant au moyen soulevé par le mandataire de la demanderesse oralement au cours de l’audience à laquelle l’affaire a été plaidée, suivant lequel la décision attaquée devrait être annulée, au motif que la commission instituée par l’article 7bis du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi de travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg n’aurait pas été entendue en son avis, force est de constater que ce moyen nouveau, présenté après la lecture du rapport à l’audience, est à écarter, pour ne pas constituer un moyen d’ordre public dans le cadre de la présente instance, étant donné que la décision litigieuse ne se prononce pas sur un refus d’un permis de travail, alors qu’elle a exclusivement trait à un refus d’un permis de séjour et que la légalité de pareille décision n’est pas conditionnée par une saisine préalable de ladite commission.

Le bien-fondé de la décision sous examen n’est pas non plus ébranlé par le moyen tiré du droit au regroupement familial, tel qu’il se dégage de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, invoqué par la demanderesse afin de justifier son droit d’obtenir un titre de séjour au Grand-Duché de Luxembourg, en invoquant qu’elle vivrait « maritalement » avec Monsieur …, étant donné que le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, comme c’est le cas en l’espèce, n’a le pouvoir d’apprécier la légalité d’une décision administrative qu’en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, et que celle-ci a été prise le 26 avril 2002, de sorte qu’aucun reproche ne saurait être fait au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération, au jour de la prise de sa décision, d’un mariage ayant eu lieu en date du 27 mai 2002 entre Madame … et Monsieur … devant l’officier de l’état civil de la Ville de Luxembourg.

Pour le surplus, dans la mesure où la demanderesse n’a ni rapporté la preuve ni même allégué l’existence d’une vie familiale effective suffisante au Luxembourg au jour de la prise de décision, elle n’a pas établi son droit au regroupement familial à la date du 26 avril 2002.

Enfin, la susdite conclusion n’est pas non plus affectée par le moyen tiré d’une prétendue violation du principe de l’égalité des citoyens devant la loi, étant donné qu’en l’absence d’un quelconque élément apporté par la demanderesse suivant lequel ledit principe aurait été violé en l’espèce, le tribunal administratif est dans l’impossibilité d’y prendre position.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, que le recours est à rejeter pour n’être pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, et lu à l’audience publique du 17 mars 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15083
Date de la décision : 17/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-17;15083 ?

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