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13/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15643

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 mars 2003, 15643


Tribunal administratif N° 15643 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2002 Audience publique du 13 mars 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15643 du rôle, déposée le 25 novembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Monsieur …, né le …, de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annul...

Tribunal administratif N° 15643 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2002 Audience publique du 13 mars 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15643 du rôle, déposée le 25 novembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 mai 2002, lui notifiée le 24 juin 2002, par laquelle ledit ministre aurait déclaré « manifestement infondée » sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, étant précisé qu’il s’agit, en réalité, d’une décision portant rejet - au sens non pas de l’article 9, mais de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire - de sa demande en reconnaissance dudit statut, ainsi que d’une décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le susdit ministre pendant plus de trois mois suite à un recours gracieux formulé par le demandeur le 24 juillet 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 5 septembre 2001, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu le 18 décembre 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 22 mai 2002, notifiée le 24 juin 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 5 septembre 2001 que vous auriez quitté la Bosnie pendant la nuit du 4 septembre 2001. Une camionnette conduite par deux chauffeurs croates vous aurait directement emmené au Luxembourg, où vous dites être arrivé le 5 septembre 2001. Vous ne pouvez pas donner d’indications en ce qui concerne le chemin emprunté.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 5 septembre 2001.

Vous déclarez être membre du parti politique SDA à Gradacac depuis 1997 sans pour autant avoir occupé une fonction spéciale au sein de ce parti politique. Après votre service militaire en 2000, vous auriez également travaillé contre rémunération auprès du SDA. Vous auriez ainsi préparé la campagne électorale d’août-septembre 2000, collé des affiches et organisé des réunions.

Vous indiquez avoir reçu en août 2001 des menaces de mort aussi bien par téléphone que par écrit. Vous croyez que ces menaces soient liées à votre engagement auprès du SDA, parce qu’on vous aurait dit que vous « dérangiez et que vous seriez contre leur intérêt ». Vous croyez que ces menaces viennent des membres du parti politique au pouvoir à savoir le SDP.

Vous auriez alors eu peur pour votre vie et vous auriez décidé de quitter votre pays d’origine appuyé par le fait que d’autres membres du SDA auraient déjà été persécutés.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La simple qualité de membre à un parti politique et le fait d’y avoir travaillé au niveau organisationnel ne sauraient suffire pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique. En effet, vous précisez vous même ne pas avoir eu un rôle politique prépondérant au sein du SDA. A cela s’ajoute que vous ne connaissez même pas les noms des principaux leaders de ce parti alors que vous prétendez avoir organisé la campagne électorale de ce dernier.

Les menaces que vous invoquez et qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, constituent des pratiques certes condamnables, mais ne sont pas d’une gravité telle qu’elles justifient à elles seules un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié. A cela s’ajoute que les membres du parti SDP, que vous croyez être auteurs des menaces, ne sauraient être considérés comme agent de persécution au sens de la prédite Convention.

Force est de constater que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 24 juillet 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 22 mai 2002.

Restant sans réponse de la part du ministre de la Justice suite audit recours gracieux, Monsieur … a déposé le 25 novembre 2002 un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 22 mai 2002, ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours, la loi prévoyant en recours de pleine juridiction en la matière.

Il est vrai que l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaure un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées.

Il est cependant vrai encore que si un demandeur a expressément qualifié son recours dans la requête introductive d’instance de recours en annulation et qu’il conclut à la seule annulation de la décision attaquée, comme c’est le cas en l’espèce, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où, même en présence de la possibilité d’introduire un recours en réformation, le demandeur peut se borner à conclure à l’annulation, en n’invoquant que les seuls moyens de légalité, à condition d’observer les règles de procédure spéciales pouvant être prévues et les délais dans lesquels le recours doit être introduit.

En l’espèce, le recours a été introduit dans les formes et délai de la loi, de sorte que le mérite du recours est à examiner sous l’angle et dans la limite des moyens d’annulation soulevés, en l’occurrence un seul moyen consistant à reprocher au ministre de la Justice une erreur d’appréciation manifeste en ce qu’il aurait, à tort, retenu que les faits invoqués par le demandeur ne constitueraient pas une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans ce contexte, le demandeur fait exposer être originaire de la République de Bosnie et Herzégovine, qu’il aurait été membre et salarié du parti politique « SDA », qu’en raison de son adhérence et de ses activités professionnelles, il aurait été menacé par des opposants politiques dudit parti et qu’en raison de sa crainte qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique voire même à sa vie, il aurait décidé de quitter son pays d’origine.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 5 avril 2001, n°12801C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 35).

En l’espèce, sur base des éléments du dossier, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition du 18 décembre 2001, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le seul motif de persécution dont le demandeur fait état, à savoir son appartenance au « SDA » et ses activités professionnelles au sein dudit parti, lesquelles l’auraient exposé et l’exposeraient à des risques de persécutions de la part des opposants politiques dudit parti, si des activités dans un parti d’opposition peuvent justifier une crainte de persécution, la simple qualité de membre d’un tel parti ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié.

En ce qui concerne les menaces proférées à l’égard du demandeur, même à les supposer établies, elles ne sauraient être qualifiées d’actes de persécution à connotation politique au sens de la Convention de Genève. Il ne se dégage en effet pas à suffisance du récit fourni par le demandeur que ces menaces soient des actes d’intimidation politique plutôt que des infractions de droit commun et il n’en ressort pas non plus qu’elles aient émané du pouvoir en place, voire que ce dernier les aurait cautionnées.

Le tribunal constate au contraire que le demandeur base sa crainte de persécution en substance sur la situation d’insécurité générale existant toujours dans son pays d’origine, sans apporter davantage de précisions quant aux persécutions qu’il risquerait personnellement de subir du fait de cette situation et sans expliquer ni surtout d’établir à suffisance les raisons pour lesquelles il ne pourrait pas rechercher la protection des autorités en place dans son pays d’origine, ni encore des éléments de fait permettant d’établir que ces autorités ne seraient pas en mesure ou n’auraient pas la volonté de poursuivre de tels actes.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 13 mars 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15643
Date de la décision : 13/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-13;15643 ?

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