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13/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15406

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 mars 2003, 15406


Tribunal administratif N° 15406 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2002 Audience publique du 13 mars 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15406 du rôle, déposée le 27 septembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité macédonienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la...

Tribunal administratif N° 15406 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2002 Audience publique du 13 mars 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15406 du rôle, déposée le 27 septembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité macédonienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 27 février 2002, lui notifiée le 15 mai 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 28 août 2002;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 8 octobre 2001, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu le 12 octobre 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 27 février 2002, notifiée le 15 mai 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 8 octobre 2001 que vous auriez quitté la Macédoine le 4 octobre 2001. Un passeur albanais vous aurait conduit jusqu’en Albanie d’où vous auriez pris place à bord d’une voiture qui vous aurait emmené au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 8 octobre 2001.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vers le 15 septembre 2001 vous auriez reçu une convocation pour faire votre service militaire. Comme vous auriez estimé que la situation politique en Macédoine ne serait pas stable, vous auriez préféré quitter votre pays d’origine pour éviter de faire votre service.

Vous ajoutez par ailleurs qu’il y aurait eu des troubles dans votre région et que les Albanais auraient déjà pris un village voisin.

Vous soulignez que vous habitez dans un village à majorité albanaise, mais que vous auriez dû faire votre service militaire dans les rangs de l’armée macédonienne. Vous dites vous trouver ainsi entre deux feux et que vous voudriez éviter de vous mettre d’un côté. Vous voudriez rester neutre et ne pas devoir choisir entre le camp des Macédoniens et celui des Albanais.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et de ne pas avoir subi des persécutions à votre égard.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission, à la supposer établie dans votre cas, car vous ne fournissez aucune preuve, est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution au sens de l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève de 1951. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention.

Votre appréhension de devoir choisir entre Macédoniens ou Albanais et la peur qui résulterait de ce choix ne constituent pas une crainte de persécution mais traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute que des groupements d’Albanais et de Macédoniens ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention.

Force est par ailleurs de constater qu’une situation de paix s’est établie dans la région suite au désarmement de l’UCK par les troupes de l’ONU. On assiste également au dénouement de la crise au niveau politique par l’amendement de la Constitution macédonienne.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 13 juin 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 27 février 2002.

Par décision du 28 août 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 27 septembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 27 février et 28 août 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient que le ministre de la Justice aurait commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Dans ce contexte, il fait exposer qu’il serait originaire de Macédoine, de confession musulmane et qu’il appartiendrait à la minorité « bochniaque », que la situation générale existant en Macédoine serait instable en raison de divers conflits inter-ethniques, qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison du fait qu’il aurait risqué de devoir faire son service militaire, ce qu’il refuserait de faire en raison de sa peur de devoir « combattre les Albanais » et qu’il risquerait maintenant d’être condamné en raison de son insoumission et que la condamnation risquerait d’être disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 5 avril 2001, n°12801C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 35).

En l’espèce, sur base des éléments du dossier, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition du 12 octobre 2001, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont le demandeur fait état à travers son recours contentieux, à savoir son insoumission, le tribunal constate que le refus ministériel est justifié par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur … risque encore de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et qu’il n’est pas non plus établi à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de son insoumission, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Macédoine et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement macédonien le 7 mars 2002 et visant les déserteurs et insoumis de l’armée macédonienne pendant la crise que le pays a connu au cours de l’année 2001.

Concernant les craintes du demandeur en raison des conflits inter-ethniques et son appartenance à la minorité « bochniaque », il convient de rappeler qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce les craintes exprimées par le demandeur en raison de son appartenance ethnique, ainsi que de la situation générale existant dans son pays d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Macédoine, étant entendu qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place. - Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière qu’il est indéniable que la situation politique en Macédoine s’est considérablement modifiée (cessez-le-feu, pacification de l’UCK, accords d’Ohrid, loi d’amnistie) et que le demandeur n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des autorités en place.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 13 mars 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15406
Date de la décision : 13/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-13;15406 ?

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