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13/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15328

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 mars 2003, 15328


Tribunal administratif N° 15328 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 septembre 2002 Audience publique du 13 mars 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15328 du rôle, déposée le 5 septembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Monsieur …, né le …, de nationalité iranienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réfo...

Tribunal administratif N° 15328 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 septembre 2002 Audience publique du 13 mars 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15328 du rôle, déposée le 5 septembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité iranienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 juin 2002, lui notifiée en date du 27 juin 2002, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 31 juillet 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 13 octobre 2000, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur les raisons qui l’ont amené à venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date des 30 mai et 23 novembre 2001, ainsi que le 22 février 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 14 juin 2002, notifiée le 27 juin 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Téhéran début octobre 2000 pour aller en Turquie. En changeant plusieurs fois de camion, vous êtes finalement arrivé à Paris et, de là, vous avez pris le train pour Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 13 octobre 2000.

Vous exposez que vous n'avez pas fait votre service militaire parce que vous avez payé pour en être dispensé.

Vous auriez entamé des études universitaires, mais vous auriez été expulsé de la Faculté pour avoir fréquenté un membre du mouvement des Feddahins, qui est un mouvement d'opposition au régime en place.

Par la suite, vous auriez créé clandestinement, avec neuf autres personnes, une société de reproduction de cassettes vidéo, c'est-à-dire que vous auriez copié sur support vidéo des films captés par satellites. Vous expliquez d'abord qu'il est interdit en Iran d'avoir une antenne parabolique. De plus, vous auriez copié des émissions en iranien diffusées par satellite en Amérique ainsi que des films américains. Finalement, vous auriez aussi copié des films érotiques. Toutes ces cassettes auraient été vendues illégalement en magasin.

En août 2000, la police se serait intéressée à vos activités illégales et vous auriez été arrêté. Vos biens auraient été alors confisqués. A l’occasion de votre arrestation, vous auriez été torturé à plusieurs reprises. Finalement, on vous aurait envoyé à l'hôpital et vous auriez profité de ce transfert pour vous échapper.

Vous faites encore état d'une arrestation plus ancienne, en 1995, à l'occasion de laquelle vous auriez été emprisonné pendant quelques jours, ainsi que de fréquents contrôles de la part du Comité de Surveillance des Lois Islamiques.

Vous dites ignorer ce qu’il est advenu de vos associés après votre arrestation d'août 2000.

Je constate d'abord, Monsieur, qu'il est curieux que les versions de vos problèmes en Iran diffèrent complètement suivant que vous les faites aux agents de la Police Judiciaire ou à l'agent du Ministère de la Justice.

En effet, vous avez dit, lors de votre audition par la Police Judiciaire le 17 octobre 2000 que vous avez été emprisonné pour dettes pendant 18 jours et que ceci était la cause de votre départ d'Iran. Vous avez également précisé que vous n'aviez aucun problème avec le gouvernement iranien. Vous n'avez fait à aucun moment état de vos activités clandestines de reproduction vidéo et ceci même quand on vous a demandé d’expliquer brièvement vos problèmes dans votre pays d'origine. Interrogé spécialement quant à ces divergences lors d'une audition au Ministère de la Justice, le 22 février 2002, vos explications se sont avérées peu convaincantes.

Or, l'article 6 b) du Règlement Grand Ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d'une procédure relative à l'examen d’une demande d'asile dispose que : « Une demande d'asile petit être considérée comme manifestement infondée lorsqu'elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d'asile. Tel est le cas notamment lorsque le demandeur a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l'asile ».

De plus, les divergences entre vos différentes déclarations sont trop flagrantes et vos explications trop peu satisfaisantes pour que vous puissiez bénéficier de l'article 6 3) du même Règlement qui dispose que : « Si le demandeur peut donner une explication satisfaisante relative à la fraude ou un recours abusif aux procédures en matière d'asile, sa demande ne sera pas automatiquement rejetée. » Je vous informe qu'une demande d'asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Pour le surplus, je relève que les infractions que vous avez commises en Iran relèvent du droit commun. En aucun cas, ces délits ne sauraient fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

Eu égard à ces circonstances, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 27 août 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 14 juin 2002.

Par décision du 31 juillet 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 5 septembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 14 juin et 31 juillet 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur soulève d’abord un moyen d’annulation tiré de ce que les décisions du ministre de la Justice, et, plus particulièrement, la décision confirmative du 31 juillet 2002, devraient encourir l’annulation pour défaut de motivation, dans la mesure où ces décisions auraient fait l’objet d’une instruction insuffisante. Il soutient à ce titre que le ministre n’aurait pas pris en considération des éléments nouveaux, à savoir ses activités clandestines de reproduction illégale de films et les risques de persécutions susceptibles d’en découler pour lui en cas de retour en Iran. Il fait encore valoir qu’à l’appui de son recours gracieux, il aurait sollicité une mesure d’instruction supplémentaire dont l’objet aurait été de « clarifier notamment cet aspect du dossier », mais que le ministre de la Justice, en confirmant tout simplement la décision initiale, aurait omis de la prendre en considération. Il estime qu’il découlerait de ces considérations que la décision serait insuffisamment motivée et que le tribunal serait dans l’impossibilité d’évaluer le bien-fondé de sa demande d’asile. - Il sollicite en outre que le tribunal ordonne une mesure d’instruction supplémentaire « portant sur la portée des sanctions pénales visant le requérant, et son influence sur le degré de persécution dont il aurait à souffrir en cas de retour en Iran ».

Ensuite, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Il fait exposer qu’il serait originaire d’Iran, qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison du fait que « juste après la révolution », sa famille aurait subi de nombreuses discriminations de la part des autorités étatiques et ceci uniquement en raison du fait que son père aurait revêtu une fonction « très importante », non autrement spécifiée, sous l’ancien régime.

Il ajoute qu’il aurait quitté l’Iran plus particulièrement en raison de ses activités clandestines de « reproduction des filmes américains et des filmes classés X », raison pour laquelle il aurait été arrêté et torturé, que ses biens auraient été confisqués et qu’il risquerait en outre d’être sanctionné de façon disproportionnée par rapport à la gravité des faits commis. Il ajoute en outre que les autorités au pouvoir lui reprocheraient d’être un membre du groupe d’opposition des « fédaien » et il soutient encore qu’en tant que « personne ne partageant pas l’idéologie islamique », il aurait été privé de l’accès à l’enseignement, du droit à un travail et à l’exercice d’une profession étatique.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Concernant le moyen d’annulation soulevé par le demandeur, il y a lieu de constater qu’au moment de la prise de la décision initiale, le ministre de la Justice avait connaissance du motif basé sur les activités clandestines de Monsieur …, étant relevé que ce motif a été invoqué par le demandeur lors de son audition du 30 mai 2001 et celles postérieures et que le ministre l’a pris en considération dans sa décision du 14 juin 2002, tel qu’il se dégage du libellé ci-avant repris de celle-ci. Or, en l’absence d’un élément supplémentaire et nouveau soumis par le demandeur au ministre dans le cadre de son recours gracieux, une instruction supplémentaire de sa demande d’asile n’était dès lors pas obligatoirement requise, le ministre pouvant s’estimer utilement informé quant à la situation de fait du demandeur et, dans sa décision confirmative, se référer à la motivation - exhaustive en fait et en droit - contenue dans la décision initiale.

Il s’ensuit que le moyen afférent n’est pas fondé et doit être écarté.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 5 avril 2001, n°12801C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 35).

En l’espèce, sur base des éléments du dossier et sans qu’il soit nécessaire de recourir à des vérifications ou mesures d’instructions supplémentaires - telle que celle sollicitée par le demandeur -, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de ses différentes auditions, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que c’est à juste titre et de façon exhaustive que le ministre de la Justice a relevé dans sa décision initiale un certain nombre de contradictions dans les déclarations faites devant la police grand-ducale au moment de l’introduction de sa demande d’asile par rapport à celles postérieures, contradictions qui ébranlent fondamentalement la crédibilité de ses déclarations et récits. Dans ce contexte, il convient de relever que le 13 octobre 2000, le demandeur a formellement déclaré « I have no passport and no Id card, because I don’t made an application to get it, and because I had little problems with a person, who worked at the passport office in Teheran. I come to Luxembourg, because I want to live here and to get a quiet life. In Iran I have no problems with the actual government, but with a judge in Teheran. I had some money problems, and so the judge made me for 18 days in the jail. That is the reason why I left finally my country [sic]» et de constater un changement fondamental dans les déclarations qu’il a faites par la suite. Or, faute d’explications cohérentes fournies par le demandeur relativement à pareilles divergences fondamentales, le ministre de la Justice n’est pas critiquable en ce qu’il en a tenu compte dans le cadre de l’appréciation du bien-fondé de la demande d’asile et le tribunal le rejoint pour conclure, sur base des récits contradictoires du demandeur, à un recours abusif à la procédure d’asile dans son chef.

Pour le surplus, mais en ordre subsidiaire, même si l’on devait faire abstraction desdites contradictions relevées par le ministre de la Justice, il échet de retenir qu’en dernière analyse, il ne se dégage pas des faits exposés par le demandeur un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités qui sont au pouvoir en Iran ne soient pas disposées ou capables d’assurer un niveau de protection suffisant au demandeur.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 13 mars 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15328
Date de la décision : 13/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-13;15328 ?

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