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13/03/2003 | LUXEMBOURG | N°14877

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 mars 2003, 14877


Tribunal administratif N° 14877 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2002 Audience publique du 13 mars 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision conjointe du ministre du Travail et de l’Emploi et du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2002 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Monsieur …, né le … au Brésil, ayant demeuré en dernier lieu au Luxembourg à L-…, demeurant actuellem...

Tribunal administratif N° 14877 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2002 Audience publique du 13 mars 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision conjointe du ministre du Travail et de l’Emploi et du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2002 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … au Brésil, ayant demeuré en dernier lieu au Luxembourg à L-…, demeurant actuellement au Brésil, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice et du ministre du Travail et de l’Emploi du 25 janvier 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour.

Vu la lettre du délégué du bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg du 18 avril 2002, par laquelle Maître Guy THOMAS a été chargé de la défense des intérêts de Monsieur … dans le cadre de l’assistance judiciaire ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 11 juin 2002, par laquelle la demande tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde sollicitée par Monsieur … afin de lui permettre de rester au pays en attendant que le tribunal administratif ait statué au fond sur le mérite du recours introduit sous le numéro 14877, a été déclarée non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Guy THOMAS ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

Par arrêté du ministre de la Justice du 14 juin 2001, Monsieur … s’est vu refuser l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg au motif qu’il aurait fait usage d’une carte d’identité portugaise falsifiée, qu’il serait en défaut de posséder des moyens d’existence personnels et qu’il constituerait par son comportement personnel un danger pour l’ordre public.

En date du 27 juin 2001, Monsieur … introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, dénommé ci-après le « service commun », en se référant aux possibilités de régularisation décrites dans la brochure intitulée « régularisation du 15.3 au 13.7. 2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », éditée par le service commun, dénommée ci-après la « brochure ».

Par lettre du 25 janvier 2002, le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi informèrent Monsieur … de ce qui suit :

« Suite à l’examen de la demande en obtention d’une autorisation de séjour que vous avez déposée en date du 27.06.2001 auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, nous sommes au regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de faire droit à votre demande.

En effet, selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-

d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour peut être refusée à l’étranger qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics.

Comme il a été constaté sur base de votre dossier administratif que cette disposition est applicable dans votre cas, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.

En conséquence, vous êtes invité à quitter le Luxembourg endéans un délai d’un mois.

A défaut de départ volontaire, la police sera chargée de vous éloigner du territoire luxembourgeois ».

Il ressort d’un procès-verbal du service de police judiciaire du 13 juin 2002, qu’à la date du 12 juin 2002, le prédit arrêté ministériel du 14 juin 2001 a été notifié à Monsieur … et qu’au vu de l’accord marqué par Monsieur … de retourner volontairement dans son pays d’origine, il a quitté le pays en date du 12 juin 2002 pour se rendre à Sao Paulo au Brésil via Paris.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 25 janvier 2002.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit en ordre principal, au motif qu’un tel recours ne serait pas prévu en la matière.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 4, p. 518 et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée.

Le recours en annulation, introduit en ordre subsidiaire, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Il convient en premier lieu de relever que le recours manque d’objet dans la mesure où il vise, en l’espèce, une prétendue décision émanant du ministre du Travail et de l’Emploi. En effet, force est de constater que la décision attaquée du 25 janvier 2002, bien que signée par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi, n’a trait qu’au seul volet d’un refus d’octroi d’un permis de séjour et ne se prononce pas relativement à une prétendue demande d’octroi d’un permis de travail.

Il convient ensuite d’examiner le moyen exposé par le demandeur suivant lequel la décision critiquée ne contiendrait pas une indication suffisante des motifs se trouvant à sa base, en faisant simplement référence au risque qu’il présenterait pour la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, sans préciser en quoi il serait susceptible de présenter un tel risque. Une telle motivation stéréotype devrait partant entraîner l’annulation de la décision critiquée.

Ledit moyen d’annulation est cependant à écarter, étant donné que, même en admettant que le reproche soit justifié, le défaut d’indication des motifs ne constitue pas une cause d’annulation de la décision ministérielle prise, pareille omission d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir. En effet, au vœu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, la motivation expresse d’une décision administrative peut se limiter à un énoncé sommaire de son contenu et il suffit, pour qu’un acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment de la prise des décisions, quit à ce que l’administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours de la procédure contentieuse, ce qui a été le cas en l’espèce, étant donné que les motifs énoncés dans la décision ministérielle, ensemble les compléments apportés par le représentant étatique au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, ont permis au demandeur d’assurer la défense de ses intérêts en connaissance de cause, c’est-

à-dire sans qu’il ait pu se méprendre sur la portée du refus ministériel.

Ensuite, le demandeur soutient que le ministre de la Justice n’aurait pas l’obligation de refuser un permis de séjour dans les différents cas de figure énumérés par l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, mais qu’il s’agirait d’une faculté, que par ailleurs, dans le cadre des directives que le gouvernement se serait donné par l’édition de la brochure, une simple susceptibilité de compromettre la sécurité et l’ordre publics ne serait pas suffisante, mais le seul critère d’exclusion maintenu par ladite brochure serait la preuve d’une atteinte grave à l’ordre public, que le ministre n’aurait pas rapporté cette preuve en l’espèce, le simple fait qu’il a fait usage d’une carte d’identité falsifiée ne pouvant être considéré comme constituant un comportement témoignant d’une atteinte grave à l’ordre public, de sorte que la motivation énoncée serait inexacte. Il soutient dans ce contexte qu’il aurait fait usage de cette fausse carte d’identité dans un but très spécifique, en vue de se faire délivrer un permis de travail au Luxembourg et d’y travailler pour subvenir aux besoins de sa famille, dont la majeure partie serait restée dans son pays d’origine. Il fait en plus valoir qu’il remplirait par ailleurs les autres conditions prévues par la brochure en vue de bénéficier de la délivrance d’une autorisation de séjour dans le cadre de la procédure de régularisation des « sans papiers ».

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics ».

C’est à tort que le demandeur fait soutenir que l’application de l’article 2 de la loi de 1972 en question et notamment le motif de refus basé sur un risque d’atteinte à la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, serait tenu en échec par les dispositions spéciales prévues en matière de régularisation.

En effet, l’argumentation du demandeur basée sur la théorie des directives, telle que précisée au cours des plaidoiries, est erronée, étant donné qu’à travers la brochure, le gouvernement a fixé d’une manière générale et abstraite des critères particuliers afin de permettre à certaines catégories d’étrangers d’obtenir « une autorisation de séjour et/ou un permis de travail » et que la brochure, loin de tracer à l’administration un cadre pour guider ses décisions discrétionnaires en matière d’autorisation de séjour et de permis de travail à délivrer à des étrangers séjournant sur le territoire luxembourgeois, crée des règles nouvelles qui dérogent partiellement aux règles légales existantes, étant donné que, notamment, la brochure permet de considérer qu’un étranger dispose de moyens personnels suffisants au sens de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dans des cas qui ne sont pas visés par cette disposition, qu’elle permet de régulariser par le travail des étrangers qui sont en infraction manifeste avec la législation sur le permis de travail et mettant ainsi à néant les conditions posées par la loi pour l’octroi d’un tel permis, qu’elle limite le pouvoir d’appréciation du ministre de la Justice, en exigeant qu’un risque d’atteinte grave à la sécurité publique soit établie, et, ainsi la brochure contrevient à l’article 36 de la Constitution. En d’autres termes, la brochure n’a pas pu créer des règles nouvelles ou dérogatoires à des règles existantes et elle n’a pas pu faire abstraction des conditions posées par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, de sorte que c’est partant à bon droit que le ministre de la Justice a pu examiner si, de par son comportement personnel, le demandeur n’est pas susceptible de constituer une menace pour la sécurité et l’ordre publics, conformément à l’article 2 précité.

En l’espèce, il ressort du dossier administratif, et plus particulièrement des procès-

verbaux du service de police judiciaire de la police grand-ducale des 8 juin 2000 et 13 juin 2002, que le demandeur a fait usage d’une carte d’identité portugaise falsifiée, alors qu’en réalité, comme le demandeur l’admet d’ailleurs lui-même dans sa requête introductive d’instance, il est de nationalité brésilienne. Ainsi, eu égard à la gravité incontestable des faits, peu importe les raisons et les circonstances dans lesquelles le demandeur s’est procuré la carte d’identité portugaise falsifiée et peu importe également les raisons ayant justifié l’usage d’un tel document, on ne saurait reprocher au ministre de la Justice d’avoir commis un excès de pouvoir en ce qu’il a estimé que ledit fait dénote à suffisance de droit un comportement, sinon un risque de comportement dans le chef du demandeur compromettant l’ordre et la sécurité publics et qu’il constitue un indice suffisant sur base duquel il convient de conclure à l’existence d’un risque sérieux qu’il continuera à constituer un danger pour l’ordre et la sécurité publics à l’avenir (v. trib. adm. 30 janvier 2002, n° 13750, trib. adm. 30 janvier 2002, n° 13751, trib. adm. 20 février 2002, n° 14019, trib. adm. 11 juillet 2002, n° 14666 et trib.

adm. 16 décembre 2002, n° 14917, non encore publiés).

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, que le ministre a refusé la délivrance d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg à Monsieur ….

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le moyen tiré du droit au regroupement familial, tel qu’il se dégage de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, suivant lequel Monsieur … souhaite obtenir son regroupement familial avec sa concubine … et leur enfant commun …, né à Luxembourg le …, étant donné que non seulement Madame … a fait l’objet d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour au Luxembourg daté du 14 juin 2001, et qu’elle a quitté volontairement le Luxembourg, ensemble avec sa fille, en date du 25 mars 2002 à destination de Sao Paulo au Brésil, mais qu’en outre le droit au regroupement familial tendant à maintenir, comme en l’espèce, une unité familiale préexistante, ne saurait être valablement invoqué que par rapport à un autre membre de la famille, conjoint ou concubin, légalement établi au Luxembourg, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, et qu’enfin le demandeur déclare lui-même posséder encore trois autres enfants au Brésil provenant d’un mariage antérieur. Dans ce contexte, il échet d’ailleurs de relever que le demandeur a épousé sa concubine au Brésil le 30 juillet 2002, tel que cela ressort d’une attestation de mariage versée au dossier.

Au vu des faits et circonstances de l’espèce, la vie familiale que le demandeur souhaite voir protéger par le biais de la délivrance d’une autorisation de séjour en sa faveur au Luxembourg, existe en réalité dans son pays d’origine, au Brésil, le simple fait que certains membres de sa famille avec lesquels il entend vivre en communauté aient vécu pendant une certaine période de leur vie au Luxembourg, d’une manière illégale, sur base d’une carte d’identité portugaise falsifiée et en violation d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour ne saurait lui donner le droit de faire revenir l’intégralité de sa famille au Luxembourg pour s’y établir définitivement. Pour le surplus, compte tenu des circonstances de l’espèce, la mesure litigieuse constitue en tout état de cause une intervention légalement prévue ainsi qu’une mesure justifiée et proportionnée.

Enfin, la susdite conclusion n’est pas non plus affectée par le moyen tiré d’une prétendue violation du principe de l’égalité des citoyens devant la loi ou d’un prétendu principe de non discrimination, libellé d’une manière vague et non autrement circonstanciée, de sorte que le tribunal est dans l’impossibilité d’y prendre position.

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 500 €.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme;

le dit cependant sans objet en ce qu’il vise une prétendue décision du ministre du Travail et de l’Emploi ;

pour le surplus, le déclare non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 13 mars 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14877
Date de la décision : 13/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-13;14877 ?

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