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12/03/2003 | LUXEMBOURG | N°16000

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mars 2003, 16000


Tribunal administratif N° 16000 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2003 Audience publique du 12 mars 2003

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Recours formé par les époux …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16000 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 février 2003 par Maître Ardavan FATHOLAZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Monsieur …, né le … à Prizren (Kosovo/ex-Yougoslavie), et de son épouse, Madame…, née le … à Klin...

Tribunal administratif N° 16000 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2003 Audience publique du 12 mars 2003

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Recours formé par les époux …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16000 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 février 2003 par Maître Ardavan FATHOLAZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Prizren (Kosovo/ex-Yougoslavie), et de son épouse, Madame…, née le … à Klina (Kosovo), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants … et …a, tous les quatre de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 6 décembre 2002, notifiée le 10 décembre 2002, par laquelle ledit ministre a déclaré manifestement infondée une demande en obtention du statut de réfugié introduite par les demandeurs, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 13 janvier 2003, suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 14 octobre 2002, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants et …a, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément le 4 décembre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 6 décembre 2002, notifiée le 9 décembre 2002, le ministre de la Justice les informa que cette demande était rejetée. La motivation de ladite décision ministérielle se lit comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 14 octobre 2002 que vous auriez quitté votre pays d’origine en date du 4 octobre 2002 pour vous rendre en Hongrie où vous auriez changé de voiture. Le voyage aurait ensuite continué vers le Luxembourg, où vous seriez arrivés le 14 octobre 2002.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le même jour.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez Serbe du Kosovo. Le 13 juin 1999 on aurait tiré sur votre maison de sorte que vous auriez dû passer la nuite dans la cave. Le lendemain des personnes vêtues de l’uniforme de l’UCK seraient venues à votre lieu de travail et vous auraient battu et obligé de quitter votre travail. En rentrant chez vous vous auriez vu qu’une voisine serbe aurait été frappée et que des gens commençaient à occuper les maisons serbes. Le même jour encore vous auriez décidé de quitter votre maison de Prizren pour aller vous installer à Brezovica où vous seriez restés jusqu’au 28 août 2002.

Vous y auriez vécu en sécurité, mais comme il s’agirait d’une enclave serbe vous n’auriez pas pu vous déplacer seul sans protection de la KFOR à l’extérieur de l’enclave. Vous ne faites pas état de problèmes à Brezovica.

En août 2002 vous auriez décidé de quitter Brezovica pour aller à Kraljevo en Serbie chez des cousins. Vous auriez décidé de partir de là le 4 octobre 2002 parce que le gouvernement n’aurait pas voulu que vous vous installeriez à Kraljevo. On vous aurait dit d’aller à Bujanovic, la zone tampon entre le Kosovo et la Serbie où par ailleurs la famille de votre épouse résiderait.

Madame, vous confirmez les dires de votre mari.

Enfin, vous admettez tous les deux ne pas être membres d’un parti politique.

Selon l’article 4 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996, (…) « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible ».

En effet, force est de constater que vous avez profité d’une fuite interne à Brezovica et vous n’y alléguez aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons invoquées par la Convention de Genève. Vous dites vous même y avoir été sûrs et que personne ne vous aurait chassé de là-bas. En plus, en tant que Serbes, vos craintes sont manifestement dénuées de fondement en ce qui concerne votre situation en Serbie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.» Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 8 janvier 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 13 janvier 2003.

Les époux … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 6 décembre 2002 et 13 janvier 2003 par requête déposée le 17 février 2003.

L’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoyant expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit par ailleurs dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs soutiennent en substance que les décisions ministérielles attaquées seraient basées sur une erreur manifeste d’appréciation des circonstances de droit et de fait.

Dans cet ordre d’idées, ils exposent être originaires du Kosovo et qu’en raison de leur appartenance à la minorité serbe, ils auraient dû fuir les exactions commises par les Albanais du Kosovo, qu’on ne saurait pas dire qu’ils auraient pu bénéficier d’une possibilité de fuite interne dans leur pays d’origine, au motif qu’ils n’auraient pas pu quitter Brezovica -

l’enclave serbe au Kosovo protégée par la KFOR, où ils ont habité entre juin 1999 et août 2002 - sans avoir une protection des forces de l’ordre, c’est-à-dire que leur liberté de circulation y aurait été génée et qu’en août 2002, où ils auraient voulu s’installer à Kraljevo en Serbie, les autorités serbes auraient refusé qu’ils s’installent librement en Serbie et exigé qu’ils s’installent à Bujanovac, c’est-à-dire dans la zone tampon entre le Kosovo et la Serbie.

Sur ce, ils soutiennent que le ministre de la Justice n’aurait pas rapporté la preuve de ce qu’ils puissent bénéficier d’une protection efficace de la part des autorités chargées du maintien de l’ordre et de la sécurité publique à l’intérieur de leur pays d’origine.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs qui auraient expressément reconnu que leur sécurité a été garantie à Brezovica au Kosovo, sauf le besoin d’une protection spécifique pour ce qui concerne des déplacements à l’extérieur de ladite enclave. Il ajoute qu’ils auraient en outre pu bénéficier d’une possibilité de fuite interne en Serbie, même s’ils n’ont pas pu s’installer dans la ville de leur choix.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile».

En vertu de l’article 4 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible ».

En l’espèce, les demandeurs contestent que les conditions justifiant une décision de rejet de leur demande d’asile dans le cadre de l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996 soient remplies et, dans ce contexte, ils font essentiellement état de persécutions ou de risques de persécutions émanant des Albanais du Kosovo en raison de leur appartenance à la minorité serbe y résidant et de ce que ni Brezovica, ni la région de Bujanovac, où la mère et les frères et sœurs de Madame … résident actuellement, ne constitueraient une possibilité de fuite interne acceptable.

Ceci étant, il convient de relever que la possibilité de rejet d’une demande d’asile comme étant manifestement infondée, telle que prévue par l’article 4 du règlement grand-

ducal précité du 22 avril 1996, lorsque le demandeur d’asile peut trouver refuge à l’intérieur de son pays de provenance, est subordonnée au double constat qu’il existe un endroit sur le territoire du même Etat d’origine qui est raisonnablement accessible au demandeur d’asile et que celui-ci pourrait y séjourner tout en bénéficiant d’une protection efficace, de sorte que le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en annulation l’appelant à examiner l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée et la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée (Cour adm. 17 juin 1997, n° 9481C, Pas. adm. 2002, v° Recours en annulation, n° 8, p. 511 et autres références y citées), doit vérifier dans le cas sous examen s’il y a lieu d’admettre à partir des éléments du dossier lui soumis que les demandeurs disposaient effectivement d’un accès raisonnable à une autre partie du territoire yougoslave au moment de la prise de la décision déférée et qu’ils y pouvaient bénéficier d’une protection efficace.

Or, en l’espèce, force est de constater qu’il se dégage des éléments d’appréciation soumis au tribunal que les demandeurs pouvaient concrètement et raisonnablement bénéficier d’une telle possibilité de fuite interne, que ce soit à Brezovica, où ils ont habité entre juin 1999 et août 2002, sans qu’ils aient fait état d’un défaut de protection adéquat des autorités chargées de l’ordre et de la sécurité publique, les restrictions relatives à leur liberté de circulation, certes regrettables, étant cependant insuffisantes à elles seules pour justifier qu’ils aient raisonnablement pu refuser d’y rester ou d’y retourner. Par ailleurs, les demandeurs n’ont pas fait état d’une impossibilité de trouver refuge, ensemble avec un nombre certain de membres de leur famille, à Bujanovac en Serbie.

Il s’ensuit que le ministre de la Justice a valablement pu se fonder sur l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996 pour rejeter la demande d’asile des demandeurs comme étant manifestement infondée, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 12 mars 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16000
Date de la décision : 12/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-12;16000 ?

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