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12/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15969

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mars 2003, 15969


Tribunal administratif N° 15969 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2003 Audience publique du 12 mars 2003

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Recours formé par Madame …, … contre une décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15969 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 février 2003 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de â

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Tribunal administratif N° 15969 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2003 Audience publique du 12 mars 2003

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Recours formé par Madame …, … contre une décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15969 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 février 2003 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro / ex-Yougoslavie), de nationalité yougoslave, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs …, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 1er août 2002 par laquelle ledit ministre a déclaré manifestement infondée leur demande en obtention du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en ses plaidoiries.

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Le 13 juin 2002, Mme Kimeta …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs …, introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Mme … fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue le 25 juillet 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de la demande d’asile.

Par décision du 1er août 2002, le ministre de la Justice l’informa que cette demande était rejetée comme étant manifestement infondée. La motivation de ladite décision ministérielle se lit comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 13 juin 2002 que vous auriez quitté votre résidence à Sjenica/Serbie en date du 11 juin 2002 pour vous rendre à bord d’une voiture jusqu’au Luxembourg, où vous seriez arrivés le 13 juin 2002.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le même jour.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre domicile antérieur à Dobrusa pendant la guerre du Kosovo. En décembre 2000, vous vous seriez définitivement déclarés à Sjenica/Serbie comme réfugiés. Vous seriez retournés quelques fois à Dobrusa pour vérifier la situation, mais vous ne pourriez pas y rester parce que vous y seriez menacés par des Albanais. Vous vous seriez définitivement installés à Sjenica en décembre 2001.

Vous auriez maintenant quitté Sjenica parce qu’il [n’] y aurait plus assez de place pour vous et parce que votre famille ne voudrait plus vous garder. Vous n’y faites pas état de persécutions.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention et de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Par ailleurs, l’article 4 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible ».

En effet, force est de constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons invoquées par la Convention de Genève. Ainsi, vous vous êtes installés depuis décembre 2000 à Sjenica profitant ainsi de la possibilité de fuite interne. Le fait que votre famille ne voudrait plus vous garder et qu’il n’y aurait plus de place ne constitue pas un acte de persécution car il ne rentre pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951. Votre demande est donc à considérer comme abusive.

A cela s’ajoute, qu’il ne ressort pas du dossier, que vous n’auriez pas été en mesure de vous installer au Monténégro, dont vous êtes originaire.

En ce qui concerne les menaces des Albanais à Dobrusa, ces derniers ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation de ladite décision ministérielle du 1er août 2002 par requête déposée le 12 février 2003.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours au motif que la loi prévoirait expressément et exclusivement un recours en annulation en matière de demandes d’asile refusées comme étant manifestement infondées.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 4, et autres références y citées).

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit expressément qu’en matière de demande d’asile déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.

Il s’ensuit que le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision entreprise du 1er août 2002.

S’il est vrai que Mme … s’est bornée à former un recours en réformation en l’espèce, il n’en reste pas moins que dans une matière dans laquelle seul un recours en annulation est prévu, le recours introduit sous forme de recours en réformation est néanmoins recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués, à condition d’observer les règles de procédure et les délais sous lesquels le recours en annulation doit être introduit.

Etant donné que le recours sous discussion a été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est partant recevable comme recours en annulation dans la mesure des moyens de légalité y contenus.

A l’appui de leur recours, les consorts … soulèvent un seul moyen d’annulation basé sur ce que la décision ministérielle querellée serait basée sur une erreur manifeste d’appréciation des circonstances de droit et de fait.

Dans cet ordre d’idées, ils exposent être originaires du Kosovo et qu’en raison de leur appartenance à la minorité bochniaque, ils auraient dû fuir les exactions commises à leur encontre au Kosovo. Ils font ajouter qu’il leur serait impossible de retourner au Kosovo sous peine de subir des discriminations et des persécutions en raison de leur appartenance ethnique.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs qui auraient uniquement fait état d’un risque de persécution pour la région du Kosovo, mais non pas pour les autres régions de leur pays d’origine, c’est-à-dire la Serbie et le Monténégro. Dans ce contexte, le délégué relève spécialement que les demandeurs auraient pu trouver refuge auprès de leur famille en Serbie et que le seul fait que la famille ne voudrait actuellement plus les prendre en charge, à défaut d’un risque de persécution quelconque, ne saurait constituer une impossibilité de pouvoir bénéficier d’une fuite interne dans leur pays d’origine.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile».

En vertu de l’article 4 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible ».

Il convient de relever que la possibilité de rejet d’une demande d’asile comme étant manifestement infondée, telle que prévue par l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996, lorsque le demandeur d’asile peut trouver refuge à l’intérieur de son pays de provenance est subordonnée au double constat qu’il existe un endroit sur le territoire du même Etat d’origine qui est raisonnablement accessible au demandeur d’asile et que celui-ci pourrait y séjourner tout en bénéficiant d’une protection efficace, de sorte que le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en annulation, l’appelant à examiner l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée et la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée (Cour adm. 17 juin 1997, n° 9481C, Pas. adm. 2002, v° Recours en annulation, n° 8, p. 511 et autres références y citées), doit vérifier dans le cas sous examen s’il y a lieu d’admettre à partir des éléments du dossier lui soumis que les demandeurs disposaient effectivement d’un accès raisonnable à une autre partie du territoire yougoslave au moment de la prise de la décision déférée et qu’ils y pouvaient bénéficier d’une protection efficace.

En l’espèce, force est de constater qu’il se dégage des éléments d’appréciation soumis au tribunal, que les demandeurs pouvaient concrètement et raisonnablement bénéficier d’une possibilité de fuite interne dans leur pays d’origine et ceci plus particulièrement en Serbie, où ils ont pu habiter pendant plusieurs années sans avoir fait l’objet de persécutions. Le seul fait que les membres de leur famille auprès desquels ils avaient logé ne veulent plus les prendre en charge ne saurait constituer une cause justifiant une impossibilité de pouvoir bénéficier d’une possibilité de fuite interne.

Il s’ensuit que le ministre de la Justice a valablement pu se fonder sur l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996 pour rejeter la demande d’asile des demandeurs comme étant manifestement infondée, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme les demandeurs ont pris position par écrit par le fait de déposer leur requête introductive d’instance, le jugement est contradictoire.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en ce qu’il tend à la réformation de la décision entreprise ;

déclare le recours recevable dans la mesure où il tend à l’annulation de la décision déférée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 12 mars 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15969
Date de la décision : 12/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-12;15969 ?

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