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12/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15347

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mars 2003, 15347


Numéro 15347 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 septembre 2002 Audience publique du 12 mars 2003 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15347 du rôle, déposée le 12 septembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tablea

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Numéro 15347 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 septembre 2002 Audience publique du 12 mars 2003 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15347 du rôle, déposée le 12 septembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 juin 2002, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 6 août 2002 prise sur recours gracieux, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 janvier 2002.

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Le 8 octobre 2001, Madame …, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Madame … fut entendue en date du 10 octobre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame … par décision du 14 juin 2002, notifiée en date du 28 juin 2002, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’elle n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécutions en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par Madame … à travers un courrier de son mandataire du 29 juillet 2002 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 6 août 2002, elle a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 14 juin et 6 août 2002 par requête déposée en date du 12 septembre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse, originaire du Kosovo et appartenant à la communauté bosniaque, expose être mariée avec un Albanais, mais avoir toujours été considérée comme une étrangère par les membres de la communauté albanaise. Elle fait valoir qu’en mai 1999, donc au cours de la guerre du Kosovo, elle aurait été témoin du massacre de quelques 70 Albanais par des paramilitaires serbes à Pec et qu’elle aurait dû se cacher pendant toute la guerre par crainte d’être tuée par les forces serbes en sa qualité de témoin oculaire.

Elle affirme également que depuis la fin du conflit au Kosovo certains membres de la communauté albanaise se livreraient à des actes de vengeance et de persécution à l’encontre tant de la communauté serbe que d’autres minorités, lesquels constitueraient une menace permanente pour les biens et l’intégrité physique des personnes. Elle soutient qu’elle aurait personnellement fait à maintes reprises l’objet de menaces de la part de voisins albanais afin de la faire quitter la ville de Pec. Elle relève qu’un rapport du Haut Commissariat pour les Réfugiés d’avril 2002, en retenant que les Bosniaques ne pourraient utiliser leur langue maternelle au risque d’être pris pour des Serbes, confirmerait sa situation subjective dans sa ville d’origine. La demanderesse critique encore le motif de refus tiré d’une possibilité de fuite interne vers la Serbie ou le Monténégro, en affirmant qu’aucune disposition de la Convention de Genève ne conditionnerait la reconnaissance du statut de réfugié à l’absence d’une possibilité de fuite interne.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition en date du 10 octobre 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, étant donné que, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance de la demanderesse et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine de répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire et qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide de Nations Unies, s’est installée au Kosovo, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place, et il convient d’en conclure que la demanderesse ne peut plus faire état d’un risque actuel de persécution au sens de la Convention de Genève en raison de sa crainte de subir de la part des autorités serbes des actes de persécution du fait de son appartenance ethnique, de sa religion musulmane et de sa qualité de témoin oculaire d’un massacre d’Albanais.

Concernant la crainte de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à son encontre en raison de son appartenance à la minorité des Bosniaques, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bosniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérée individuellement et concrètement, la demanderesse risque de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Bosniaques du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the general security situation of Kosovo Bosniaques remains stable with no incidents of serious violence »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué de s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Bosniaques au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Concernant sa situation personnelle, la demanderesse se prévaut dans son recours contentieux de menaces répétées de la part de voisins albanais, dont elle n’avait pas fait état lors de son audition lors de laquelle elle avait déclaré qu’elle n’avait « pas de problèmes » après l’arrivée des forces internationales de la KFOR, mais qu’elle aurait été « tellement seule ». Or, même à admettre la réalité de ces menaces non autrement circonstanciées, elles ne sont pas d’une gravité suffisante pour rendre la vie intolérable à la demanderesse dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que la demanderesse reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 mars 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15347
Date de la décision : 12/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-12;15347 ?

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