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10/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15203

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mars 2003, 15203


Numéro 15203 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2002 Audience publique du 10 mars 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15203 du rôle, déposée le 2 août 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant...

Numéro 15203 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2002 Audience publique du 10 mars 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15203 du rôle, déposée le 2 août 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 7 novembre 2001 portant rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2002;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2002 par Maître Guy THOMAS pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Guy THOMAS et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 décembre 2002.

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En date du 4 novembre1998, Monsieur …, préqualifié, introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971.

Un recours contentieux introduit par Monsieur … contre les décisions du ministre de la Justice des 15 mai et 23 août 2001 portant refus dudit statut dans son chef fut déclaré non justifié par jugement du tribunal administratif du 10 avril 2002, qui fut confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 17 octobre 2002.

Suivant courrier du Comité de Liaison et d’Action des Etrangers du 28 mai 2001, Monsieur … introduisit auprès du ministre de la Justice une demande en obtention d’une autorisation de séjour.

Par décision du 6 août 2001, le ministre de la Justice refusa de faire droit à cette demande au motif qu’une des conditions pour s’établir au Luxembourg comme indépendant serait la production de la copie intégrale certifiée conforme du titre de voyage de la personne concernée afin de pouvoir vérifier si elle est entrée légalement au pays et que Monsieur … ne satisferait pas à cette condition pour être entré sur le territoire en date du 4 novembre 1998 en qualité de réfugié.

Une demande de régularisation introduite le 12 juillet 2001 auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse fut rejetée par décision du 25 septembre 2001 cosignée par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi.

Une itérative demande en obtention d’une autorisation de séjour présentée par Monsieur … par courrier recommandé du 25 octobre 2001 fit l’objet d’une décision de refus du ministre de la Justice du 7 novembre 2001 fondée sur les motifs suivants :

« En effet, une des conditions à remplir consiste à présenter une copie intégrale certifiée conforme de votre titre de voyage, afin qu’il puisse être vérifié si vous êtes entré légalement au pays. Or, cette condition ne se trouve pas remplie dans votre chef, étant donné que vous êtes entré sur le territoire luxembourgeois en qualité de réfugié ».

Le recours gracieux formé par Monsieur … suivant courrier de son mandataire du 6 février 2002 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 22 avril 2002, il a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 7 novembre 2001.

En l’absence de disposition légale instaurant un recours au fond en matière d’autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de la décision litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que la décision ministérielle attaquée serait le résultat d’une erreur manifeste d’appréciation des éléments de fait et de droit en ce qu’elle retient qu’il ne serait pas entré légalement au pays, mais en qualité de réfugié. Il soutient en premier lieu qu’il serait entré dans l’espace Schengen sur base d’un visa Schengen du 10 septembre 1998, de manière que le reproche tiré de son entrée illégale sur le territoire luxembourgeois devrait tomber à faux.

A titre subsidiaire, le demandeur affirme que sa qualité de réfugié lors de son entrée au pays ne pourrait être invoquée à son encontre au vu du devoir de protection imposé par la Convention de Genève qui impliquerait le droit de demeurer légalement dans l’Etat signataire concerné jusqu’à ce qu’une décision définitive ait statué sur le droit à la reconnaissance de ce statut. Le demandeur renvoie encore à la campagne dite de régularisation de certaines catégories d’étrangers séjournant irrégulièrement au pays, mise sur pied par le gouvernement, visant notamment les étrangers arrivés au Luxembourg avant le 1er juillet 1998 et il argue que, même s’il est arrivé au Grand-Duché après cette date butoir, le motif de refus tiré de son entrée illégale serait non pertinent alors que d’autres personnes ayant séjourné illégalement de manière prolongée sur le territoire luxembourgeois et visées par ladite campagne de régularisation ne se verraient pas opposer cette condition, de sorte que le traitement différent lui infligé serait arbitraire, discriminatoire et violerait le principe constitutionnel de l’égalité de tous devant la loi ancré aux articles 10bis et 111 de la Constitution ainsi que plusieurs conventions internationales consacrant des principes universels d’égalité et de non-discrimination, dont l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que l’article 2 de son protocole n° 4.

Le demandeur fait finalement valoir que, dans la mesure où l’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 conférerait un pouvoir d’appréciation au ministre pour refuser ou non une autorisation de séjour sans imposer un tel refus dans les hypothèses y énoncées, il pourrait bénéficier d’une « régularisation individuelle » en considération du fait qu’il est associé majoritaire de la société … et ingénieur-mécanicien diplômé de formation, qu’il disposerait de moyens personnels suffisants pour supporter ses frais de séjour et qu’il ne serait pas susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité et l’ordre publics, de manière que son séjour serait dans l’intérêt bien compris du pays qui aurait besoin d’entrepreneurs de construction susceptibles de créer des emplois supplémentaires.

Le délégué du Gouvernement rétorque que l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ;

3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, permettrait au ministre de refuser l’autorisation de séjour à l’étranger qui est dépourvu de visa si celui-ci est requis, de sorte que le ministre aurait valablement pu refuser l’autorisation de séjour alors que le demandeur serait resté en défaut de prouver son entrée régulière au pays. Concernant l’extrait du passeport muni d’un visa versé en cause par le demandeur à l’appui de son recours contentieux, le représentant étatique renvoie au rapport du service de police judiciaire du 4 novembre 1998 pour faire valoir que le demandeur aurait « visiblement inventé toute une histoire pour ne pas avouer d’être rentré de façon légale au Luxembourg » [sic] et qu’on ne saurait reprocher au ministre de ne pas avoir tenu compte d’un visa dont il aurait ignoré l’existence au moment de la prise de sa décision. Le délégué du Gouvernement ajoute que, dans la mesure où, d’après lui, l’article 2 prévisé prendrait en considération non seulement la situation au moment de l’entrée au Grand-Duché, mais également celle du moment de la prise de la décision quant à la délivrance d’une autorisation de séjour, la décision déférée serait encore justifiée par le fait que le demandeur n’aurait pas non plus disposé d’un visa au moment de la prise de la décision litigieuse du 7 novembre 2001, étant donné en effet que, même si un demandeur d’asile est protégé contre le refoulement par la Convention de Genève, l’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 lui resterait applicable et que le demandeur aurait dès lors été juridiquement en séjour irrégulier à défaut de visa et d’autorisation de séjour.

Le délégué du Gouvernement complète la motivation de la décision ministérielle attaquée en se prévalant de la circonstance que le demandeur ne serait pas en possession de moyens d’existence personnels suffisants au sens de l’article 2 de la prédite loi du 28 mars 1972. Il relève à cet égard que le contrat conclu le 23 octobre 2001 avec la société … ferait clairement conclure à l’existence d’une relation de travail nonobstant la détention par le demandeur de 51% des parts de cette société, et que l’autorisation d’établissement émise au profit de ladite société indiquerait Monsieur … …, frère du demandeur, comme gérant, de manière que le demandeur ne saurait être considéré comme indépendant. Le représentant étatique conclut qu’à défaut de permis de travail requis pour pouvoir légalement occuper le poste en cause auprès de la société …, le demandeur n’aurait pas établi l’existence de moyens d’existence personnels suffisants dans son chef.

Le demandeur fait répliquer que l’existence du visa d’entrée émis en sa faveur et sous le couvert duquel il aurait soumis sa demande d’asile ne saurait être contestée même si le ministre prétendrait actuellement ne pas en avoir eu connaissance. Il ajoute que la protection de la Convention de Genève, dont il aurait encore bénéficié au moment de la prise de la décision ministérielle litigieuse, empêcherait le ministre de lui reprocher un séjour irrégulier au Grand-Duché.

Le demandeur soulève l’irrecevabilité de la motivation complémentaire avancée par le délégué du Gouvernement dans son mémoire en réponse, étant donné que la jurisprudence existante lui interdirait de faire valoir de nouveaux moyens à l’appui de son recours et que, par voie de conséquence, la règle de l’égalité des armes ne serait pas respectée dans ces circonstances. Le demandeur fait cependant valoir qu’il ne pourrait pas être qualifié de salarié à défaut de lien de subordination par rapport à la société … et plus particulièrement face à son gérant, qui revêt également la qualité d’associé minoritaire, et qu’il ne serait pas tenu d’obtenir une autorisation d’établissement pour travailler comme indépendant au sein de la société prévisée.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger :

– qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier soumis au tribunal et plus particulièrement du contrat de travail conclu le 23 octobre 2001 entre la société …, représentée par Monsieur … …, et Monsieur …, soumis au ministre en annexe à la demande en obtention d’une autorisation de séjour du 25 octobre 2001, que la première est qualifiée d’employeur et ce dernier de salarié, que le dit contrat est conclu sous l’égide de la loi modifiée du 24 mai 1989 concernant le contrat de travail, que le demandeur est engagé en qualité de « Polier » pour un temps de travail hebdomadaire de 40 heures selon des horaires également précisés et contre une rémunération brute de 80.000 LUF par mois et qu’une période d’essai de 4 semaines y est stipulée.

Si les termes de ce contrat indiquent l’engagement du demandeur afin d’accomplir un travail déterminé contre une certaine rémunération, il n’en reste pas moins qu’il ressort d’un procès-verbal de l’assemblée générale de la société … du 23 octobre 2001, dressé par Maître Christine DOERNER, notaire de résidence à Bettembourg, que Monsieur … … a transmis à cette date au demandeur 11 parts de cette société pour le prix de 1.364 €, de manière à porter sa participation à 51 parts sur un total de 100 parts. Or, un associé d’une société à responsabilité limitée ne peut être considéré comme se trouvant dans un lien de subordination par rapport à cette société s’il en détient la majorité des parts, de manière à pouvoir exercer une influence dominante sur la gestion, et la conclusion d’un contrat de travail n’est pas de nature à infirmer cette conclusion, étant donné qu’il incombe aux juridictions d’interpréter les contrats conclus entre parties aux fins de leur restituer leur véritable nature juridique au vu de l’ensemble des éléments en cause sans que la seule volonté des parties ne puisse soustraire la personne concernée au statut social découlant des conditions d’accomplissement de sa tâche (cf. Cour Sup. 14 janvier 1999, n° 21267, Rodrigues c/ MPK Shop). Etant donné par ailleurs que le centre commun de la sécurité sociale a affilié, conformément à l’article 1er n° 4 du code des assurances sociales, le demandeur en qualité d’artisan/commerçant à partir du 23 octobre 2001 et a ainsi confirmé la qualification mise en avant par le demandeur et la société … pardevant cette institution, force est de conclure que l’activité du demandeur au sein de ladite société s’analyse en activité indépendante et non pas en occupation salariée.

Il s’ensuit que l’argumentation du délégué du Gouvernement consistant à retenir qu’à défaut de permis de travail requis, le demandeur n’aurait pas établi l’existence de moyens d’existence personnels tombe à faux sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur l’irrecevabilité soulevée par le demandeur à l’encontre de cette motivation complémentaire.

Concernant le motif indiqué dans la décision attaquée tiré du défaut d’une entrée légale du demandeur sur le territoire national, il y a lieu de retenir que, s’il est vrai que conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis, force est cependant de constater en l’espèce qu’il se dégage des pièces du dossier que le demandeur est entré sur le territoire du Grand-Duché en tant que demandeur d’asile, de sorte qu’au départ il était dispensé de remplir la condition du port d’un visa (trib. adm. 21 mai 2001, n° 12614, confirmé par arrêt du 18 octobre 2001, n° 13635C), abstraction même faite de la question de savoir s’il est effectivement entré au pays sur pied du visa inscrit dans son passeport. Il s’ensuit que le motif indiqué par le ministre dans la décision litigieuse du 7 novembre 2001 n’est pas de nature à la justifier légalement.

Quant au complément de motivation soumis par le représentant étatique qui se fonde sur la situation irrégulière du demandeur au regard de la loi prévisée du 28 mars 1972 au moment de la prise de la décision ministérielle déférée, il résulte des éléments du dossier qu’à la date du 7 novembre 2001, le recours contentieux du demandeur introduit le 1er octobre 2001 contre les deux décisions ministérielles portant refus de sa demande d’asile était encore pendant devant le tribunal administratif, entraînant que sa dite demande d’asile était toujours en cours de procédure d’examen au sens de l’article 13 (2) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, et que le demandeur séjournait à ce moment encore sous le couvert de l’attestation d’enregistrement de sa demande d’asile lui délivrée sur pied de l’article 4 (3) de ladite loi du 3 avril 1996. Etant donné que le séjour du demandeur se trouvait légitimé à la date de la prise de la décision attaquée du 7 novembre 2001 par son statut de demandeur d’asile, le motif de refus tiré du séjour irrégulier du demandeur tombe également à faux.

Ne se trouvant justifié au fond par aucun des motifs avancés par le ministre et le délégué du Gouvernement, la décision ministérielle attaquée encourt dès lors l’annulation.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, annule la décision attaquée du 7 novembre 2001 et renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 mars 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15203
Date de la décision : 10/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-10;15203 ?

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